Physique du confinement de l’ADN dans la capside théorie et expériences

Physique du confinement de l’ADN dans la capside théorie et expériences

Positionnement physique du problème

Le génome des bactériophages à ADN double brin est très fortement confiné dans la capside. La longueur du génome de T5 est de 122 kilo paires de bases (≈ 41µm longueur totale ; taille de la pelote en solution ≈ 1.5µm) pour un rayon moyen de capside de 40nm [31]. L’ADN occupe la moitié du volume interne de la capside (ρ = 0.5, pour une concentration massique c d’environ 500g.L −1 ) 3 . Ce degré de compaction extrême, commun chez les bactériophages caudés à ADN double brin, constitue un record dans le vivant. A titre de comparaison, ρ ≈ 0.001 pour l’ADN compacté dans un noyau de cellule humaine, ρ = 0.04 pour le virus de la variole et ρ = 0.16 pour l’herpesvirus, deux virus eucaryotes à ADN double brin [104]. Le tableau 9.1 récapitule les dimensions caractéristiques de certains phages, dont T5. Les observations de diffraction aux rayons X [94, 27, 28, 29] puis de cryomicroscopie électronique (cryo-EM) révèlent ainsi que l’ADN des phages est dans une structure hexagonale ordonnée quasi cristalline à l’intérieur de la capside (cf figure 7.2 en annexe et la structure des phages T5 [31, 75], T7 [18], P22 [68], φ29 [126], N4 [20], T3 [36]). A de tels degrés de compaction, on s’attend à ce que la répulsion électrostatique et les forces d’hydration entre les brins d’ADN [109, 110], l’énergie de courbure de l’ADN ainsi que la réduction d’entropie liée à la quasi immobilité de l’ADN créent une énorme pression intra-capside, de l’ordre de plusieurs dizaines d’atmosphères. Cette pression est à l’origine du processus d’éjection passif du génome in vitro, qui est étudié ici.[113, 118, 35] L’objectif du chapitre va être de présenter nos résultats de cinétiques d’éjection puis de les interpréter vis à vis d’un modèle théorique largement utilisé dans le domaine des phages. Nous commencerons par présenter le modèle ainsi que les expériences qui ont permis de le valider en partie : les expériences d’encapsidation (figure 9.6) et les expériences de suppression osmotique (figure 9.7).

Structure de l’ADN confiné dans la capside

Ce paragraphe décrit l’état des connaissances actuelles sur la structure de l’ADN dans la capside de T5. 3. Nous choisirons de manière arbitraire une section de rayon 1nm pour l’ADN double brin. Dans ce cas c(g.L −1 ) = 1027ρ, où ρ est la fraction volumique de l’ADN dans la capside. 9.2 Structure de l’ADN confiné dans la capside 81 Table 9.1 – Tableau récapitulatif des caractéristiques physiques de certains phages. Rcap est le rayon moyen externe des capsides en nanomètres. Gsize est la taille du génome en kilo paires de bases et en µm, calculée pour une longueur par paire de bases de 0.336nm [26]. ρthe est la fraction volumique d’ADN dans la capside, calculée à partir du rayon moyen et de la longueur d’ADN, en supposant que la section d’une paire de bases est de π ∗ 1 ∗ 1nm2 . di est la distance interbrin d’ADN en nanomètres mesurée, soit par diffraction aux rayons X, soit par cryo EM. ρdi est cette même fraction volumique calculée à partir des mesures de la distance interbrin di en suivant la relation 9.1. Les références correspondant aux valeurs sont indiquées dans le tableau. On note une forte variation dans l’estimation de la fraction volumique de l’ADN suivant les publications et le type de calcul. Phage Rcap nm Gsize kbp Gsize µm ρthe di (X) di (cryo EM) ρdi T5st(0)  L’ADN occupe approximativement 50% du volume totale de la capside. A ce degré de compaction, l’ADN s’arrange localement en un réseau hexagonal compact de brins d’ADN parallèles. 4 Cette observation a été réalisée très tôt par des expériences de diffraction aux rayons X sur le phage lambda [27, 28, 29], et cette propriété est généralisable aux phages de fraction volumique identique. A titre de confirmation, il est possible de voir que la surface de la maille élémentaire du réseau, multipliée par la longueur totale de l’ADN est égale au volume de la capside. La distance entre les brins d’ADN vérifie une loi en 1/ √ L, où L est la longueur totale d’ADN encapsidée, conformément aux contraintes géométriques imposées par le volume fixe de la capside. L’avènement de la cryomicroscopie électronique a permis de préciser l’arrangement de l’ADN de manière plus globale. La qualité des images obtenues sur le phage T7 [18] a permis de proposer un arrangement de l’ADN en “pelote de laine” perpendiculairement à la queue du phage. Les résultats obtenus avec d’autres phages ont montré, a posteriori, que cet arrangement est une particularité de T7 liée à l’existence d’un cylindre protéique (correspondant au connecteur) empiétant largement l’espace capsidique. Ce cylindre servirait de guide conduisant à un arrangement en pelote. Pour les autres phages, l’arrangement semble plus complexe. Il reste localement hexagonal mais le cristal présente de nombreuses torsions ainsi que des défauts. Pour T5, des données récentes ( figures 9.2 (i) et (a) issue de [75]) montrent que l’ADN est organisé sous forme de nanodomaines hexagonaux séparés par des plans concentrant les déformations et les défauts de la maille (dislocation / changement de courbure / torsion). 4. L’alignement des ADNs parallèlement à la surface de la capside ajoute un ordre à plus grande distance, visible par une modulation sur le pic de diffraction.  Physique du confinement de l’ADN dans la capside : théorie et expériences Figure 9.1 – Remplissage “inverse spool”, en bobine inverse. Photo droite : capside partiellement remplie par un tore d’ADN condensé par la spermine, micrographie reproduite depuis Leforestier et coll [75]. 9.2.2 Capside partiellement remplie 0 < ρ < 0.5 Initialement, les observations de la structure en bobine de l’ADN de T7 ont conduit à l’élaboration d’un modèle de remplissage de la capside dit en “bobine inverse”. Selon ce modèle, la rigidité de l’ADN lui impose de venir s’enrouler sur la surface externe de la capside, minimisant ainsi son énergie de courbure. La longueur de persistance de l’ADN, typiquement de 50nm, est en effet du même ordre que la taille des capsides de phages. L’ADN remplirait ainsi la capside en commençant par l’extérieur puis formerait des cercles de plus en plus petits au fur et à mesure du remplissage. Ce modèle suggère l’existence d’une zone déplétée d’ADN au centre de la capside, se réduisant peu à peu, comme sur la figure 9.1. Les études de cryo EM récentes ont permis de préciser la validité de cet argument. En contradiction avec le modèle de bobine inverse, les observations des phages phi29 [22] T3 [36] et T5 [75] ont révélé qu’aux stades intermédiaires de remplissage de capside, l’ADN occupe de manière homogène tout l’espace de la capside, comme sur la figure 9.2 (f,g,h). En réalité, les deux cas de figures (remplissage homogène ou remplissage ordonné en bobine) peuvent se présenter selon la solution ionique utilisée : – Lorsque la solution ionique est constituée de contre-ions monovalents ou divalents (Na+, K +, Mg 2+ ou Ca2+), l’interaction entre brins d’ADN est répulsive, et la minimisation de l’énergie de courbure ne permet pas de compenser la perte d’entropie qui serait liée à son arrangement ordonné. L’ADN occupe alors de manière homogène tout l’espace de la capside. – Il est toutefois possible d’observer des anneaux toriques d’ADN de type bobine inverse, mais uniquement en présence d’agents condensants créant des interactions attractives entre brins d’ADN (voir la figure 9.1).

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