Photoactivation femtoseconde de deux nouvelles protéines
Le chromophore flavine en solution
Les flavines, sous forme de riboflavine (RF), flavine mononucléotide (FMN) ou flavine adénine dinucléotide (FAD) sont représentées sur la Figure 1.1. Les flavines ont suscité un grand intérêt parce que ce sont des agents oxydo-réducteurs capables de transférer un ou deux électrons et surtout parce qu’elles sont impliquées dans de nombreux mécanismes biologiques [3]. La flavine toujours présente dans les protéines CPF est FAD. N N NH H3C N H3C O O CH2 CHOH CHOH CHOH CH2 O P O P O OH O OH O CH2 O OH H OH H H N H N N N NH2 cycle isoalloxazine FAD (flavine adénine dinucléotide) N N NH H3C N H3C O O CH2 CHOH CHOH CHOH CH2 OH cycle isoalloxazine chaîne ribityle FM (riboflavine-5′-monophosphate) Riboflavine 8 7 6 9 5 10 1 4 3 2 4a 1 » 2 » 3 » 4 » 5 » 5a 9a 10a 1′ 4′ 3′ 2′ 7′ 9′ 8′ 6′ 5′ Figure 1.1 : Formule semi-développée de RF (riboflavine, à gauche), de FM (flavine mononucléotide, à droite jusqu’à la première flèche) et de FAD (flavine adénine dinucléotide, à droite jusqu’à la seconde flèche). Le cycle isoalloxazine est encadré, la chaîne ribityle non encadrée sur la riboflavine. Les numéros de chaque atome sont indiqués sur la riboflavine pour le cycle isoalloxazine, avec une double apostrophe sur la riboflavine pour la chaîne ribityle, avec une apostrophe sur FAD pour l’adénine. FAD peut exister sous trois formes d’oxydo-réduction : oxydée, semi-réduite et réduite, représentées sur la Figure 1.2. En solution, les flavines semi-réduites ne sont pas stables. Seules les flavines réduites et oxydées peuvent être étudiées [3]. Cependant l’étude des flavines réduites nécessite l’élimination du dioxygène dissous car celui-ci les oxyde rapidement en flavines oxydées [23]. CHAPITRE I : Contexte bibliographique 11 N N NH H3C N H3C O O FADox N H N NH H3C N H3C O O R N H N NH H3C N H3C O O R FADH• FADHR Figure 1.2 : Formule semi-développée de la flavine adénine dinucléotide oxydée (FADox), semi-réduite (FADH•) et réduite (FADH– ). La chaîne latérale est commune à ces différentes formes d’oxydo-réductions (cf. la Figure 1.1) et est notée R. Il faut aussi noter que chaque état d’oxydo-réduction des flavines présente des équilibres acido-basiques rappelés sur la Figure 1.3 :. Dans un milieu neutre à pH 7,0, les formes majoritaires sont : la flavine adénine dinucélotide oxydée neutre (FADox), semi-réduite neutre (FADH• ) et réduite déprotonée (FADH– ). Figure 1.3 : Équilibres acido-basiques de la flavine adénine dinucléotide oxydée (FADox), semi-réduite (FADH•) et réduite (FADH– ) ainsi que les valeurs des pKa correspondants [24, 25].
Flavines oxydées
Spectroscopies UV-vis stationnaires
Absorption
Les spectres d’absorption stationnaire des différentes flavines en solution RF, FMN, ou FAD présentent les mêmes caractéristiques spectrales. Le spectre d’absorption stationnaire CHAPITRE I : Contexte bibliographique 12 de FMN, sous ses formes oxydées neutre et réduite anionique sont représentées sur la Figure 1.4 (extraite de l’article de Ghisla et al. [23]), entre 270 nm et 530 nm. Figure 1.4 : Spectres de coefficients d’extinction molaire de FM en solution aqueuse sous forme oxydée neutre (pointillés, pH = 5), oxydée anionique (alternance tirets et pointillés, pH = 12,5), réduite neutre (tirets, pH = 5) et réduite anionique (trait plein, pH = 8,5). Les réductions sont faites par irradiations en présence de l’acide tétraacétique-diamine-éthylène (EDTA). Cette figure est extraite de l’article de Ghisla et al., Biochem., 1974, 13 (3), 589-597 [23]. En ce qui concerne la forme oxydée neutre (FMNox), le spectre d’absorption stationnaire présente deux bandes larges, centrées à 445 nm et 373 nm. Les coefficients d’extinction molaire sont supérieurs à 104 L mol-1 cm-1, caractéristiques de transitions ππ* [24]. Des calculs semi-empiriques [26] et Hückel étendu sur la lumiflavine montrèrent que la bande homologue à la bande centrée à 445 nm de FMNox correspond à la transition électronique ππ* de plus basse énergie (S0S1). Cette bande n’est pas déplacée lorsque la polarité du solvant est modifiée. Cependant trois structures vibroniques apparaissent quand le milieu devient apolaire ou lors d’un abaissement de température [28]. Sun et al. assignèrent par spectroscopie stationnaire et par des calculs semi-empiriques que les transitions électroniques observées dans les différentes flavines ont pour l’origine des transitions ππ* [29]. Ils trouvèrent aussi que les états nπ* jouent un rôle signifiant dans les processus de luminescence. D’après des calculs TD-DFT sur différents dérivés méthylés de la 10-méthylalloxazine [30] et ab initio sur l’isoalloxazine [31], la deuxième transition observée à 375 nm serait également de nature ππ*. Les auteurs rapportèrent également qu’un couplage entre les états ππ* et nπ* est possible. Il faut noter que la deuxième bande est beaucoup plus sensible que la première bande à la polarité du solvant : en solvant polaire, la bande est décalée vers le rouge [32, 33]. Weigel et al. [34] rapportèrent qu’après excitation de la première transition dans la riboflavine en solution, le couplage ultrarapide (~20 fs) de cet état avec un état nπ* proche est alors observé.
Fluorescence
La fluorescence des flavines oxydées neutres en solution aqueuse est intense avec un spectre centré vers 520 nm (cf. la Figure 1.5, extraite de l’article de Li et al. [25]). Figure 1.5 : Spectres de fluorescence de FM oxydée anionique (vert, pH = -0,5), neutre (bleu, pH = 7) et protonée (rouge, pH = 13). Cette figure est extraite de l’article de Li et al., J. Phys. Chem. A, 2008, 112 (20), 4573-4583 [25]. À pH 7, le rendement quantique de fluorescence des RF et FMN est de 0,26 [35]. Le rendement quantique ne dépend pas de la longueur d’onde d’excitation, ce qui indique que le peuplement d’états électroniques excités supérieurs est suivi d’une conversion interne très rapide [36]. Dans des solvants moins polaires que l’eau, le maximum de fluorescence est décalé vers le bleu et le rendement quantique de fluorescence augmente [37]. Le rendement quantique de fluorescence de FAD oxydée neutre est dix fois plus faible que celui de FMN en solution aqueuse neutre [38]. Il faut rappeler que la structure moléculaire de FAD contient une adénine absente dans FMN. Il a été proposé qu’en solution aqueuse, FADox existe dans les deux conformations schématisées sur la Figure 1.6 : une conformation fermée dans laquelle les cycles isoalloxazine et adénine sont face à face et en interaction π et une conformation ouverte où ils sont séparés [39]. En solution aqueuse avec un pH compris entre 4 et 8, à température ambiante, 80% des molécules de FADox, à l’état fondamental, sont en conformation fermée [39, 40]. Dans la conformation fermée, la CHAPITRE I : Contexte bibliographique 14 fluorescence de FADox est fortement inhibée. Cette inhibition a été attribuée à un transfert d’électron photoinduit depuis l’adénine vers l’isoalloxazine excitée sur la base de résultats de dynamique moléculaire et de fluorescence résolue en temps. FADox conformation ouverte FADox conformation fermée Figure 1.6 : Représentation schématique des formules semi-développées de FADox en conformation ouverte à gauche et en conformation fermée à droite. L’interaction π entre l’isoalloxazine et l’adénine de FADox dans la conformation fermée est schématisée par des traits hachurés.
Photolyse
Sous irradiation, FADox est stable avec un rendement de photodégradation de 3,7×10-4 à pH 8 [43]. En revanche, la photodégradation de FMNox est importante avec un rendement environ dix fois plus grand (4,6×10-3 à pH 8) [43]. Les photoproduits de FMNox sont à 75% du lumichrome et à 25 % des dérivés des lumiflavines représentés sur la Figure 1.7. Dans ces derniers, le groupe méthyle en N10 de la lumiflavine est remplacé par un fragment de la chaîne ribityle présente chez FMN. N N NH H3C N H3C O O CH3 Lumiflavine N N NH H H3C N H3C O O Lumichrome Figure 1.7 : Formules semi-développées du lumichrome à gauche et de la lumiflavine à droite.
Spectroscopies UV-vis résolues en temps
Depuis 2000, plusieurs groupes de recherche essayèrent de vérifier l’hypothèse du transfert d’électron intramoléculaire photoinduit dans la conformation fermée de FADox, par différentes méthodes de spectroscopies résolues en temps [25, 42, 44-47]. Les résultats obtenus par ces groupes dans l’analyse des cinétiques photoinduites de FMNox et FADox sont résumés dans le Tableau 1.1. En 1993, des expériences de fluorescence résolues en temps sur FMNox (résolution temporelle de 80 ps, excitation à 457,9 nm) furent conduites par Leenders et al. [48], montrant un déclin de fluorescence monoexponentiel de 4,8 ns. En 2000, Stanley et al. étudièrent FMNox et FADox par spectroscopie d’absorption transitoire sub-picoseconde (impulsion d’excitation de 80 fs à 389 nm) [46]. Les cinétiques furent ajustées avec la somme d’un déclin exponentiel de 5 ps et d’une fonction plateau. L’amplitude relative de la composante courte fut trouvée plus grande pour FADox que pour FMNox. Cette composante courte fut attribuée à l’inhibition de la fluorescence de l’état excité de l’isoalloxazine par l’adénine pour FADox et à une inhibition due à des dimères pour FMNox. La composante longue fut attribuée au déclin de la conformation ouverte de FADox, identique à FMNox qui ne peut exister que sous une seule conformation. En 2002, van den Berg et al. réalisèrent des expériences de fluorescence résolue en temps sur FMNox et FADox (impulsion d’excitation de 4 ps à 450 nm ou 460 nm) [49]. FADox présente deux déclins de composantes principales 7 ps et 2,7 ns. La désexcitation lente de CHAPITRE I : Contexte bibliographique 16 l’état excité est attribuée à la conformation ouverte. La désexcitation rapide est attribuée à la conformation fermée et interprétée par un transfert d’électron depuis l’adénine vers l’isoalloxazine, suivi d’une recombinaison de charge. Pour FMNox la composante courte ne fut pas observée, appuyant l’hypothèse que l’inhibition de fluorescence est liée à la présence d’adénine. En 2003, Chosrowjan et al. firent des expériences de fluorescence résolue en temps sur FADox avec une meilleure résolution temporelle (impulsion d’excitation de 120 fs à 410 nm). Ils observèrent une composante ultracourte de 0,81 ps qu’ils attribuèrent à la dynamique de solvatation de FADox excitée [42]. Les deux autres composantes observées 9,5 ps et 2,6 ns furent attribuées au déclin des conformations fermée et ouverte, respectivement. Des expériences d’absorption IR résolues en temps en excitant FADox avec des impulsions inférieures à 150 fs à 400 nm, furent réalisées par Kondo et al. en 2006. Ils montrèrent que l’état excité de la conformation fermée décline sans intermédiaire détectable vers l’état fondamental en 15 ps [45]. Kao et al., en 2008, réalisèrent des expériences d’absorption transitoire sur FADox en solution aqueuse avec une résolution inférieure à 300 fs et des expériences de fluorescence résolue en temps avec une résolution comprise entre 400 fs et 500 fs [44]. Ils décrivirent leurs observations à l’aide d’un mécanisme de séparation de charge photoinduite en 5-9 ps suivie d’une recombinaison de charge en 30-40 ps avec retour à l’état fondamental de la conformation fermée de FADox. Un déclin de 2,5 ns fut attribué au déclin de l’état excité de la conformation ouverte. La même année, Li et al. rapportèrent ne pas observer la signature spectrale de l’espèce à transfert de charge dans des expériences de spectroscopie d’absorption transitoire sur FADox (impulsion d’excitation de 110 fs à 400 nm) [25]. Ils proposèrent alors que la recombinaison de charge soit trop rapide pour être observée. Pour FMNox ils observèrent la dégradation, partielle, de FMNox en lumichrome, avec une vitesse de 5,4 × 109 s-1 et la formation de l’état triplet de FMNox par croisement intersystème avec la vitesse de 2 × 108 s -1 .
Introduction générale |