Phénomènes interprétatifs retrouvés à l’issue du croisement des thématiques

Phénomènes interprétatifs retrouvés à l’issue du croisement des thématiques

La rechute : le temps d’élaboration psychique de la maladie

La chronicité de la maladie induit pour les patients une alternance entre phases de rechute et de rémission. Cette caractéristique de la maladie de Crohn ne semble pourtant pas s’imposer d’emblée pour les sujets. Si elle a pu être verbalisée durant le temps de l’annonce par le corps médical, elle ne semble pas de fait être entendue par l’ensemble des sujets. L’annonce d’une maladie correspond pour Fischer (2008) au moment où tout bascule ; « c’est l’entrée dans une autre vie» (p 8). En effet, l’apparition de la maladie marque la fin du sentiment d’être invulnérable. Cette défense au préalable opérante chez le sujet non malade s’est construite sur l’illusion que le malheur ne pouvait toucher qu’autrui, et quand bien même il porterait sur soi, nous aurions certainement assez de forces pour y faire face. La maladie agit alors comme une désillusion puisqu’elle confronte le sujet à une image de lui-même devenue vulnérable. Cette nouvelle réalité peut rapidement être considérée comme un véritable choc. Elle devient insoutenable puisqu’elle le confronte à l’impensable de sa propre mort, pouvant donner lieu comme nous le verrons ultérieurement à des traumatismes psychiques. L’annonce marque alors 10 Au fur à mesure de notre exposé, nous inserrons des renvois aux thématiques discutées afin que le lecteur puisse s’y référer dans la partie « présentation des résultats qualitatifs ». Phénomènes interprétatifs retrouvés à l’issue du croisement des thématiques 472 un arrêt brutal du cours de la vie. Ainsi pour Fischer (2008, p17) « La vie d’avant s’arrête et une tout autre vie commence. ». De par son caractère effractant et sidérant, l’annonce de la maladie peut être vécue comme un véritable choc, bloquant les capacités réflexives des patients (Célérier, 2003). L’événement traumatique matérialisé par l’annonce engendre un sentiment d’effroi chez le sujet et vient marquer la fin de l’illusion d’immortalité (Lebigot, 2005). Le traumatisme psychique abordé à partir du contexte médical n’a pas été fréquemment évoqué dans la littérature (Chahraoui, 2014) pourtant il se retrouve dans notre clinique. En effet, un nombre important de patients décrit l’incompréhension et les angoisses de mort ressentis au moment de l’annonce diagnostique. Le discours médical souvent décrit comme peu intelligible par les patients rencontrés, ne leur permet pas de se représenter la maladie à partir de signifiants capables de mettre en sens leur expérience. A titre d’exemple, nous avons pu voir que dans les premiers temps, la maladie a souvent été nommée par les patients comme un « truc ». Devant l’incompréhension, l’angoisse ressentie et l’effondrement des repères corporels à ce moment précis, certains sujets préfèrent mettre en place des stratégies défensives basées sur l’évitement. D’autres s’enferment dans une dénégation de la maladie s’accompagnant d’une dépersonnalisation (Pujol, 2011). Ce n’est que lors de la réapparition de la maladie à travers un épisode de rechute violente que celle-ci parait retrouver une place centrale dans la vie du sujet. A partir des entretiens que nous avons conduits, nous formulons l’hypothèse que ce qui n’a pu être élaboré à l’annonce de la maladie, se rejoue lors d’un épisode de rechute. Ainsi l’annonce de la maladie comprend des potentialités traumatiques, qui se retrouvent dans le vécu de la rechute. Cette dernière parait alors donner lieu à un vécu dépressif et/ou post traumatique qui marque l’entrée du patient dans la maladie et l’amène progressivement à une élaboration, une reconstruction narcissique et une remobilisation vers le système de soin. 7.1.1 Le traumatisme de la rechute La rechute parait être vécue très inégalement par les sujets. En effet, certains patients ont pu être en mesure de l’anticiper, pour d’autres elle marque un véritable choc dans leur histoire de la maladie. Cette variabilité parait découler du vécu de l’annonce de la pathologie. Il convient dans un premier temps de distinguer les différents contextes desquels résulte l’annonce diagnostic. Dans certains cas, elle est déjà amorcée par le patient qui devant de fortes  douleurs abdominales, s’inquiète et tente par lui-même de mettre du sens sur les dysfonctionnements corporels. L’annonce de la maladie semble apparaitre dans ce cas comme un véritable soulagement puisqu’elle permet d’identifier l’origine des troubles (cf : soulagement à l’annonce). Pour d’autres patients, l’entrée dans la maladie s’effectue par l’apparition violente des troubles entrainant une hospitalisation d’urgence. C’est dans ce contexte que nous allons à présent nous situer. Lors de cette première rencontre avec la maladie, la demande des patients revient à calmer la crise et cesser la manifestation des symptômes. La maladie est assimilée à un trouble aigu qu’il convient de stopper dans l’urgence. En conséquence, l’annonce de la chronicité de la pathologie ne semble pouvoir être intégrée par certains sujets qui restent fixés sur la prise en charge de la crise présente. A postériori, plusieurs patients relatent l’incompréhension liée à cet épisode. Ils reviennent sur le manque d’explications reçues, l’angoisse ressentie ainsi que sur leurs impressions de solitude et d’irréalité. Plusieurs patients relatent une forme d’insouciance et se reprochent alors de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux la gravité de leur pathologie durant cette période (cf : déni de la maladie). Une fois cette première crise résolue, beaucoup insistent sur leur volonté de ne pas prendre en compte la maladie dans leurs activités quotidiennes. Ils savent au fond d’eux-mêmes qu’ils sont malades, mais dispensent toute leur énergie pour retrouver la sécurité de leur quotidien. Etrangères aux patients, la survenue de futures nouvelles crises parait être une idée abstraite et lointaine. Retrouvant un état de bien être somatique en phase de rémission, quelques patients soulignent l’inutilité perçue à cette époque de poursuivre un suivi médical, animés par le désir d’éloigner la maladie et de poursuivre leur vie d’avant la crise. Toutefois, la survenue d’une nouvelle crise vient sortir les patients de l’état de dénégation, voire de déni dans lequel ils s’étaient réfugiés. Non préparés à celle-ci, la rechute vient bouleverser l’aménagement défensif des sujets et les confronte au caractère immuable de la chronicité. Elle agit alors comme un principe de réalité et amène les sujets à repenser la maladie mais également leur identité. Cette nouvelle rechute est très souvent décrite comme encore plus violente que la crise originaire. Elle est vécue comme un choc et semble sidérer les patients dans leur capacité à élaborer. Elle parait plonger ces patients dans un vécu d’effroi, rendant toutes défenses inopérantes (Freud, 1920). Au moment de la rechute, nous retrouvons les phénomènes de déréalisation associés à l’annonce dans la littérature. La survenue de cette rechute devient traumatique pour certains sujets en ravivant des angoisses de mort vécue à l’annonce. Elle bouleverse leur homéostasie aussi bien somatique que psychique et fait voler en éclats leurs repères et assises narcissiques. Elle agit comme une blessure narcissique, en marquant la différence existante entre le patient et autrui. Le rapport à soi est bouleversé, et le moi du patient se clive (Pujol, 2011). Les limites entre dedans et dehors s’effritent et perdent de leur contenance. L’appareil psychique ne parait plus en mesure de gérer l’accumulation des excitations pulsionnelles, devant « des excitations externes assez fortes pour faire des effractions dans le pare-excitations. » (Freud, 1920, p78). La rechute amène le patient à une nouvelle hospitalisation en soins intensifs ou en réanimation, en fonction de la gravité de la récidive. C’est notamment ces hospitalisations, qui rendent visible l’effondrement psychique chez divers patients,signant selon notre hypothèse, la véritable entrée dans la maladie. Ainsi les éléments qui n’ont pu être élaborés lors de l’annonce diagnostique semblent ressurgir, plaçant les patients dans une profonde détresse. Cette confrontation à la mort par le biais de la récidive entraine une incapacité à relier l’image traumatique à des représentations et ainsi complique considérablement le travail d’élaboration. Dans ce contexte, la sphère identitaire est mise en péril par l’absence de communication médicale sur la santé des patients, l’absence de désirs et l’éloignement d’avec les proches (Spoljar, 2005). Grosclaude (2009) décrit le processus traumatique induit par l’hospitalisation en réanimation. Celle-ci engendre pour de nombreux patients une déstructuration identitaire en venant faire ressurgir un imaginaire archaïque. Le patient est alors confronté à un autre univers symbolique, que Grosclaude qualifie de « psychotiforme » puisqu’il dévoile des productions imaginaires psychotiques. L’hospitalisation vient marquer une rupture car elle soulève des angoisses de persécution et de dislocation dans le Moi. Ainsi c’est tout l’environnement médical qui véhicule des images de « boucherie ». Dans la nécessité d’assurer la survie du patient, appareils médicaux et corps du malade ne font plus qu’un. « Composantes matérielle et corporelle sont indifférenciées ». Les sujets se trouvent alors sous le joug de représentations contradictoires. D’une part l’équipement médical est vécu comme persécuteur et d’autre part il assure en connexion au corps du patient sa propre survie. Maintenu en vie par la technicité des outils, l’imaginaire du patient régresse vers un statut fœtal qui vient apparaitre comme sécurisant. Toutefois cette régression se présente comme un processus particulièrement anxiogène puisqu’elle immobilise momentanément le corps du sujet et le soumet à l’agressivité des interventions. Avec la suite de l’amélioration de leur état de santé, cet épisode régressif devient vite oublié par les patients. Ce phénomène nommé « trou réa » par Grosclaude (2015) entraine 475 une difficulté importante à reprendre le cours de sa vie consciente en intégrant cet épisode où le psychisme a fait l’expérience d’un fonctionnement archaïque. L’agressivité est souvent déplacée sur la figure du soignant, à qui peut être attribuée la surprise de la rechute (cf : hostilité envers un médecin disqualifié). Ce phénomène est reporté dans la clinique du cancer. En lien avec l’épisode de récidive du cancer, le patient exprime une déception quant à son accompagnement thérapeutique. Il reproche au médecin son impuissance (Espié, 2005). Certains patients atteints de la maladie de Crohn, verbalisent cette déception à travers leur sentiment d’avoir été trahis par leur médecin. Ils utilisent cet épisode de rechute pour souligner l’incompétence de leur praticien.

Un temps de mise en sens de la maladie et une inscription dans un parcours de soin

Si la rechute est vécue comme un véritable choc pour les patients n’ayant pu l’anticiper à la suite de l’annonce diagnostique, tous ne manifestent pas pour autant un vécu de stress post traumatique. Cependant, à la suite de cet épisode de rechute l’idée d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, se renforce. D’autres représentations psychiques liées à la 476 maladie de Crohn émergent. La douleur somatique se transforme progressivement en douleur psychique. A cet instant les patients sont en mesure de faire face aux différentes pertes. Il devient alors possible de mettre des mots sur les éprouvés corporels. Pour Pujol (2011) l’atteinte de sa propre imago est inévitable mais il s’agit d’une étape par laquelle le sujet doit passer pour amorcer sa propre reconstruction narcissique qui sera effectuée par une élaboration imaginaire des organes malades en questionnant l’image du corps du sujet et en permettant une distinction entre soma et psychée (Winnicott, 1949). L’enjeu pour les patients va être de réussir à combler ce « manque de soi », moteur de désir (Winnicott, 1949, p271). A la suite de la rechute, on voit apparaitre diverses tentatives de représentations corporelles qui n’avaient pu émerger jusqu’alors. La réapparition de la maladie à travers la rechute offre l’opportunité aux patients de mettre en mots également leurs ressentis émotionnels. Dès lors des affects dépressifs peuvent émerger. Les patients racontent l’atteinte narcissique vécue et les difficultés associées au travail de renoncement. Le constat des conséquences d’une nouvelle rechute, modifie les représentations de la maladie. Elle n’apparait plus comme un phénomène aigu mais davantage comme une entité dont on ne peut se soustraire et avec laquelle il faut s’efforcer de composer tout au long de sa vie. Avec la rechute, nous voyons apparaitre le début d’un travail d’élaboration et de mise en sens des expériences des patients, relançant le travail de la maladie (Pédinielli 1994). De là, la pathologie s’inscrit dans la vie du patient, qui fait le choix de mobiliser ou non son entourage pour se sentir soutenu. D’un vécu individuel, on constate au fur et à mesure que la maladie est vécue dans la relation à l’autre. Elle devient alors pour certains une source de honte marquant la différence entre soi et autrui. La prise en compte de la gravité de la maladie et l’état de vulnérabilité dans lesquels ils se trouvent, semblent remobiliser les patients vers la mise en place d’un suivi thérapeutique régulier. Ainsi, pour contrer l’angoisse relative à la survenue d’une nouvelle récidive ou des angoisses hypocondriaques, les patients évoquent le besoin de se sentir sécurisés par leur prise en charge. Parallèlement au temps d’élaboration sur la maladie, on remarque une élaboration sur leur suivi médical en cours. Les critiques adressées au corps médical signent une reprise de contrôle des sujets vers le fait de prendre soin de soi. Conscient du risque qu’ils encourent, ils souhaitent s’investir ou même s’inscrire dans un parcours de soin. Les équipes médicales mises entre parenthèses durant le temps de rémission retrouvent une place centrale dans la vie des patients, quitte parfois à en devenir dépendants.  

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