Phénomènes hypermodernes qui façonnent l’individu contemporain

Hypermodernité

En effet, d’autres chercheurs voient plutôt les transformations actuelles comme une évolution sur la base de la modernité et ils contribuent à définir et élaborer ce que l’on entend par hypermodernité. Selon eux, pour comprendre ce monde, il faut mettre l’accent sur « l’exacerbation, sur la radicalisation de la modernité9 ». Ceci permet de comprendre que l’hypermodernité n’est pas la suite ou une conséquence de la postmodernité, mais plutôt une évolution sur la base du modèle de la modernité. Apparait ainsi selon le sociologue Marc Augé: « la surabondance événementielle du monde contemporain» qui « provoque la difficulté de « penser» le temps parce qu’il est « surchargé d’évènements qui encombrent aussi bien le présent que le passé proche.1D » Or, le temps était la notion phare de la modernité dans la mesure où l’objectif principal était de dominer la nature pour que la société et l’individu, si possible, perdurent. Suivant Augé, le premier paramètre indicateur de la transformation de la société serait donc le changement quant à la perception du temps qui, se surcharge d’évènements et d’objets, s’accélère.

Ce constat nous amènera plus bas à tenter de cerner le principal phénomène générateur de cette surcharge du temps qui est le consumérisme. La technologie, dans cette ère hypermoderne, en devient l’outil indispensable et transforme autant notre rapport à la nature que notre rapport à la nature humaine, entre autres en ce qui concerne les relations sociales et interpersonnelles en en brouillant les frontières, les cultures, les genres et les âges pour faire en sorte que se profile, réel ou non, un bonheur à portée de la main. Voilà, nous semble-t-il, un deuxième indicateur de changement: la technologie. Conséquences de cette accélération, de cet encombrement, la toutepuissance de la technologie qui semble dominer les autres par son impact sur la santé individuelle, sur l’environnement ou encore la santé mentale des individus. Bref, la technologie a un impact sur la façon de vivre de chacun et cela n’est pas sans engendrer un sentiment d’incertitude quant à la définition de soi ll . C’est que la peur12 accompagne paradoxalement le sentiment de liberté et le désir d’émancipation, tous les deux plus tangibles et concrets que jamais auparavant. Nous en venons au troisième indicateur, celui de l’identité de l’individu qu’il semble désormais manipuler dans une recherche continuelle d’un statut satisfaisant. Nous verrons plus loin que si ce statut peut être atteint par certains de nos contemporains dans certaines conditions bien précises où la satisfaction et la dimension humaine semblent conservées, cela n’invalide pas pour autant l’hypothèse principale de ce travail de recherche. En effet, qu’en est-il de la majorité des individus? Qu’arrive-t-il aux gens que cette quête perpétuelle de satisfaction épuise ou qui ne se retrouvent pas dans celle-ci ?

1. Consumérisme C’est depuis les années 1970 que cette société est hyperconsommatrice, flexible, sans frontières et sans limites, comme « Iiquide13 ». L’un des traits de l’individu hypermoderne qui sera exploité dans ce mémoire sera le consumérisme qui l’influence et le mène à la fatigue de soi. Condition dramatique propice au théâtre s’il en est une, on y perçoit une succession de conflits, car s’opposent dans ce rapport qu’entretient l’individu avec la consommation, la liberté et ses promesses de bonheur et de réalisation de soi et la peur de perdre, dans son sens absolu, celui de ne plus avoir en sa possession; une contamination de la métaphysique par la logique de la rentabilité. Zygmund Bauman et son concept de modernité ({ liquide» souligne la pression que cette société plus que flexible dans ses attentes et exigences impose à l’individu. Son expression désormais bien connue était d’ailleurs une première tentative pour nommer cette nouvelle époque, différente de la postmodernité. Pour Lipovetsky, on observe dans notre société contemporaine la mise en tension des préoccupations de l’individu hypermoderne : la consommation, le bonheur et cette insaisissable mais persistante insatisfaction qui mène à un état de déception. Il nomme le phénomène ({ l’empire de la déception: cette liberté sur fond d’âpreté libérale et d’eschatologie en berne étendue à toutes les sphères de la vie humaine. De là la « fatigue d’être SOi » 14 ». Il souligne que le pire pour l’individu vient du choc entre recherche de la liberté et consommation.

En effet, comment sortir satisfait des schèmes oppositionnels « rapport qualité/prix, satisfaction/déplaisir, compétition/relégation15 » qui semblent broyer et fragiliser l’individu? Cette grille d’analyse montre un individu hypermoderne qui évite la réalité du présent et fabrique le futur, passé et présent, dans son aspiration constante à la liberté de se réaliser comme bon lui semble. Autrement dit, les limites du projet de l’individu hypermoderne se trouvent au fond de lui, dans sa condition humaine et ainsi science et nature s’affrontent encore, depuis les Lumières et l’avènement de l’individu mais dans une dimension temporelle comme contractée en un espace-temps flou où l’individu vit J’illusion de créer la solution à un problème ou de satisfaire un besoin en obéissant à la logique de la consommation et de la jouissance de l’objet du désir qui se confond avec l’objet lui-même. Cet état de confusion tient à distance la réalité naturelle et garde l’individu occupé mais non satisfait puisqu’un nouveau désir s’ajoutera à l’ancien si peu satisfait; et ces derniers rejoindront des désirs encore plus fondamentaux comme celui d’un moi fort, assumé et respecté. C’est la dimension problématique du sujet, dont Kaufmann trouve un premier écho chez Édouard Abramowski : « Notre « moi» n’est basé sur rien, n’a aucune raison d’être, aucun criterium de certitude, constitue pour soi-même une raison suffisante, son unique principe légitime.16 » Or, sans substance, comment l’individu/rien pourrait-il résister à une consommation/tout? La consommation efface les frontières même entre les différents types de temps et surcharge la réalité d’objets et de décisions à prendre pour nommer et satisfaire tous les désirs créés par cette profusion. Bref, la « fatigue d’être soi» de Gilles Lipovetsky est ce qu’il reste d’un soi soumis à un contact quotidien avec la consommation; d’où l’inhérente et omniprésente déception qui en découle pour l’individu. Il nous apparaît donc que le consumérisme a un impact direct sur l’inconfort vécu par l’individu hypermoderne et que, de toute évidence, cet aspect est révélateur pour saisir l’époque.

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Influence des médias et de la technologie

Même si cet individu hypermoderne menace, de se retrouver piégé, tel Narcisse, ceci est contrebalancé par l’importance de la socialisation et de la médiatisation comme composantes fortes et essentielles de cette hypermodernité. Or, celles-ci s’imposent désormais par le biais de technologies, qui viennent s’insérer dans le processus bien plus ancien de la médiation culturelle qui « met en oeuvre l’ensemble des dynamiques constructives de la sociabilité: la médiation fonde la dimension à la fois singulière et collective de notre appartenance et, au-delà, de notre citoyenneté17 », explique Bernard Lamizet. Pour lui, le rôle des médias les inscrit au sein de la culture « dans des stratégies et dans des processus d’information accessible aux acteurs de la sociabilité18 », de sorte que les médias dans une certaine mesure, mais aussi la médiation culturelle dans son ensemble, servent de « miroir social19 ». C’est-à-dire qu’ils nous renvoient une image de l’individu hypermoderne et de sa façon de vivre à cette époque. Le Web en serait un bon exemple, ainsi que le fait remarquer Jean-Paul Fourmentraux, tout particulièrement le Web 2.02°, car plusieurs choses ont changé depuis les débuts du Web, autant dans sa forme que dans son usage et tant dans ce qu’il tire de l’individu hypermoderne que par ce qu’il lui apporte. L’ambivalence des sentiments à l’égard du Web est significative: que les individus hypermodernes y trouvent un moyen d’émancipation et de réelle liberté, ou qu’il fasse surgir des effets pervers, voire pathologiques et morbides chez certains, comme l’exhibitionnisme. La notion de « miroir social» permettrait donc de faire le portrait de l’individu par le média culturel dominant. Si l’on prend en compte les observations de Fourmentraux, on pourrait également y voir la confirmation que l’individu hypermoderne vivrait bel et bien ces tensions abordées plus haut dans le paragraphe sur le consumérisme (consommation, recherche du bonheur, liberté, insatisfaction et déception), car le média culturel dominant les reflète. Ce phénomène de recherche ou de reconnaissance de son appartenance à la société n’est pas nouveau et est bien connu comme le processus par lequel l’individu affirme son existence21 .

Et le fonctionnement de ce phénomène lie irrémédiablement l’individu à sa société en tant que sujet et implique deux notions fondamentales qui sont l’appartenance et l’identité en laissant un rôle primordial au rapport à l’autre dans le processus. Lamizet explique: « Les formes de la culture, dans ces conditions, représentent bien autre chose que l’ensemble des représentations esthétiques ou symboliques constitutives d’une esthétique. Elles représentent, en fait, pour le sujet, l’ensemble des faits symboliques constitutifs de son appartenance sociale, politique et institutionnelle: l’ensemble des formes qui le constitue comme acteur social dans l’espace de l’histoire.22» Par conséquent, il est possible de considérer que les médias de notre époque et Internet en particulier sont les pivots de notre sociabilité et par extension de qui nous sommes. Mais ces mêmes médias ne diffusent pas avec exactitude que des informations fondées, ils nous imposent l’inconfort du choix continuel à faire dans les contenus consultés ou sur les plateformes de communications empruntées entre des informations vraies ou mensongères, des observations plus documentées et volontairement ancrée de la réalité ou à une fabrication plus arbitraire de la réalité. Par ailleurs, cet inconfort semble se compliquer d’un cran selon la recherche menée par le psychiatre Serge Tisseron et qui a identifié ce besoin profond de l’individu à socialiser par le recours aux médias. L’extimité renvoie donc « au désir qu’aurait tout être humain, consciemment ou inconsciemment de rendre visible tout ou partie de ce qui est de la sphère de l’intime23 ». Tout opère aujourd’hui comme si les médias devenaient partie prenante du développement de l’identité de l’individu.

Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
1 NTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE L’INDIVIDU HYPERMODERNE
CHAPITRE 1 LA CONDITION DE L’INDIVIDU HYPERMODERNE
Hypermodernité et postmodernité
1. Postmodernité
Il . Hypermodernité
1. Consumérisme
II. Influence des médias et de la technologie
III. Manipulation de soi
Insatisfaction et déshumanisation
CHAPITRE Il DE LA PAROLE INTIME ET DU MONOLOGUE CHEZ MYNIANA ET JELlNEK
La pièce paysage de Michel Vinaver et la dramaturgie de la subjectivité Jean-Pierre
Sarrazac
Parole « verticale », monologue intérieur, objets et corps dans Inventaires de Philippe
Minyana
Monologue et vêtements dans Jackie d’Elfriede Jelinek
Le monologue pour raconter l’être
DEUXIÈME PARTIE BRUTUS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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