Pharmacologie des récepteurs mélatoninergiques
Un des concepts de base de la pharmacologie se résume par l’adage de J.N. Langley (1852- 1925) et de P. Ehrlich (1845-1915) : « corpora non agunt nisi fixata », c’est à dire « les substances n’agissent pas si elles ne sont pas fixées ». Cette citation met en avant la capacité de certaines molécules, les ligands, à se fixer spécifiquement sur une protéine partenaire, le récepteur, afin d’activer un système cellulaire. Une action pharmacologique déclenchée par un récepteur engendre une séquence de phénomènes cellulaires spécifiques. 2.1.Ligands : Généralités Un ligand est donc une molécule qui en se fixant sur un récepteur déclenche un effet. Les effets des ligands peuvent être mesurés par des paramètres qualitatifs (agonistes, antagonistes) et quantitatifs (affinité, spécificité, sélectivité).
Paramètres qualitatifs
Une molécule capable de déclencher, par sa liaison aux récepteurs, une action biologique, est par définition un agoniste. Les produits capables de stimuler un récepteur de la même façon que l’agoniste de référence sont dits des agonistes pleins. Ceux qui ont un effet d’intensité moindre par rapport à l’agoniste de référence seront considérés comme des agonistes partiels. Le site de liaison d’un agoniste est généralement le même que celui du ligand endogène. Cependant, il existe des situations où l’agoniste ne se fixe pas sur le même site que le ligand endogène, on parle alors de sites allostériques (par exemple sur les récepteurs du glutamate (Pin and Acher, 2002)). Les agonistes pleins stabilisent la forme active du récepteur et par conséquent décalent au maximum l’équilibre vers l’état actif. Le même déséquilibre est produit par les agonistes partiels mais dans une moindre mesure. Par opposition à un agoniste, un antagoniste est un ligand s’opposant à la liaison de l’agoniste endogène en se liant au même site de liaison (antagonisme compétitif réversible ou irréversible), ou en se liant à un site distinct du site de liaison de l’agoniste (antagonisme non compétitif réversible ou irréversible). La réponse à la liaison de l’antagoniste correspond à la diminution de la réponse au ligand endogène : l’antagoniste n’a pas d’effet par lui-même. Il ne possède donc pas d’activité intrinsèque, et ne fait que diminuer l’effet de l’agoniste endogène. Les antagonistes neutres ne modifient ni l’équilibre entre les formes active et P inactive du récepteur, ni le niveau d’échange GDP/GTP de la sous-unité Gα. En revanche, ils bloquent les effets stimulateurs des agonistes et les effets inhibiteurs des agonistes inverses. Les agonistes inverses sont des ligands qui possèdent une activité intrinsèque négative. Ces ligands révèlent l’activité constitutive d’un récepteur. Cette propriété sera développée dans le paragraphe suivant. Contrairement aux agonistes pleins, les agonistes inverses pleins stabilisent au maximum la forme inactive du récepteur et réduisent ainsi l’échange GDP/GTP de la sous-unité Gα. Les agonistes inverses partiels sont moins efficaces que les agonistes inverses pleins. En plus de réduire le taux d’échange du GTP/GDP, les agonistes inverses inhibent l’effet des agonistes. C’est pour cette raison que la majorité des agonistes inverses sont initialement décrits comme des antagonistes (Figure 20).
Paramètres quantitatifs
Les paramètres quantitatifs permettent d’évaluer l’affinité, la spécificité ou encore la sélectivité d’un ligand pour le récepteur d’intérêt. L’affinité d’un ligand pour un récepteur correspond à la puissance de l’interaction physicochimique entre les deux composés. Plus l’affinité est élevée, plus faible est la concentration d’agoniste nécessaire pour activer le récepteur, ou plus faible est la concentration d’antagoniste pour empêcher l’activation du récepteur par un agoniste. Un ligand est spécifique quand il se lie uniquement à un seul type de récepteur. Le terme spécificité est souvent utilisé, à tort, à la place de sélectivité. La sélectivité est un terme relatif correspondant au rapport entre l’affinité du ligand pour le récepteur et celle pour d’autres cibles.
Les récepteurs couplés aux protéines G hétérotrimériques : Généralités
Les récepteurs à la mélatonine, MT1 et MT2, appartiennent à la superfamille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G hétérotrimériques (RCPG). La famille des RCPG comprend plusieurs milliers de membres, représentant ainsi 1% du génome. Les RCPG sont capables d’assurer la reconnaissance et la transduction de messages très variés, comme des acides aminés, des peptides, des protéines, des amines, des lipides, des nucléotides et nucléosides, des ions, des photons, des molécules gustatives ou odorantes et des phéromones (Pour revue: Foreman and Johanson, 2003). Pourtant, à ce jour, la plupart des RCPG sont des récepteurs orphelins, dont le ligand endogène n’a pas été encore identifié.
Structure des RCPG
Les RCPG, de par leur structure, sont fortement ancrés dans la membrane plasmique, qui participe à la stabilisation de leur structure tridimensionnelle. C’est pour cette raison que leur purification et leur étude conformationnelle sont difficiles. Néanmoins, divers modèles structuraux (Schertler and Hargrave, 1995; Unger et al., 1997; Unger and Schertler, 1995), ainsi que quelques structures cristallographiques de RCPG disponibles à ce jour (la rhodopsine, le récepteur β1-adrénergique, le récepteur β2-adrénergique, le récepteur à l’adénosine A2A et le récepteur à l’histamine H1) ont permis de mettre en évidence une structure commune pour l’ensemble de cette famille de récepteurs (Cherezov et al., 2007; Jaakola et al., 2008; Li et al., 2004; Palczewski et al., 2000; Park et al., 2008; Rasmussen et al., 2007; Scheerer et al., 2008; Shimamura et al., 2011; Warne et al., 2008). Les RCPG sont des protéines monomériques qui comportent trois parties : 1) le domaine N-terminal extracellulaire, impliqué dans la liaison du ligand, 2) la partie transmembranaire avec ces sept hélices α hydrophobes qui forment les sept domaines transmembranaires (TM). Ces domaines sont interconnectés par trois boucles extracellulaires intervenant dans la liaison du ligand et trois boucles intracellulaires impliquées dans le recrutement de protéines partenaires et l’activation de voies de signalisation, 3) le domaine C-terminal intracellulaire qui participe également au recrutement et à l’activation des voies de signalisation (Figure 21). Plusieurs familles ont été établies en fonction des différences structurelles qui existent entre les RCPG: la famille A, la plus importante avec comme modèle la rhodopsine ; la famille B qui comprend la famille des récepteurs à la calcitonine/VIP/glucagon et, la famille C qui regroupe les récepteurs métabotropiques (glutamate) et les chémosenseurs. La famille A comprend la majorité des RCPG. Cette famille possède des résidus très conservés dans les domaines transmembranaires. Ballesteros et Weinstein ont établi une nomenclature des résidus de ces domaines transmembranaires. Le résidu le plus conservé au sein du RCPG de classe A dans chaque hélice transmembranaire reçoit le numéro 50 et tous les autres résidus de l’hélice transmembranaire sont numérotés relativement par rapport à ce résidu de référence. De plus, afin d’identifier l’hélice transmembranaire dans laquelle le résidu se situe, la numérotation du résidu est précédée par le numéro de l’hélice transmembranaire. Ainsi, la nomenclature 7.50 se réfère au résidu le plus conservé dans la septième hélice transmembranaire (Ballesteros and Weinstein, 1995). Les domaines transmembranaires des RCPG de la famille A, aussi bien au niveau de la séquence en acides aminés qu’au niveau de la structure, sont fortement conservés au cours de l’évolution. Des acides aminés font la signature de ce groupe. Le résidu le plus conservé serait un résidu arginine (R, 3.50) à l’extrémité intracellulaire du troisième domaine transmembranaire. Cette arginine fait partie du motif E/DRY/W impliqué dans la signalisation des protéines G. Deux cystéines conservées au cours de l’évolution forment un pont disulfure entre la première et la seconde boucle extracellulaire. De plus, des acides aminés hydrophobes tels que la proline (P), la phénylalanine (F), et l’asparagine (N) situés dans les domaines transmembranaires 6 et 7 semblent être importants pour l’activation du récepteur. Les récepteurs des familles B et C ne présentent pas de motifs particuliers. Les récepteurs de la famille B ont un domaine extracellulaire très structuré, capable de lier de grands peptides comme le glucagon. Les récepteurs de la famille C ont également un domaine extracellulaire très grand qui possède une similitude de séquence avec certaines protéines périplasmiques des bactéries Gram négatifs (Figure 22). L’ensemble des RCPG possède une poche dûe au positionnement des sept hélices α, initialement identifiée comme le site de liaison de l’agoniste. Cette cavité retrouvée dans les différentes familles de RCPG a connu au cours de l’évolution des modifications afin de reconnaître les ligands spécifiques. En fonction de la nature du ligand, le site de liaison ne serait pas exclusivement au niveau de la cavité. En effet, il a été montré que la liaison de certains peptides impliquait la partie N-terminale, les boucles extracellulaires ainsi que la partie supérieure des domaines transmembranaires (Trumpp-Kallmeyer et al., 1995). Initialement, il été envisagé que les antagonistes se liaient au même site que les agonistes, et qu’ils fonctionnaient en perturbant simplement la liaison de l’agoniste au récepteur. Les agonistes inverses, puisqu’ils possèdent la capacité de fonctionner en absence d’agoniste et d’inhiber l’activité intrinsèque du RCPG, peuvent posséder des sites de liaison propres, qui peuvent coïncider ou pas avec le site de liaison de l’agoniste.
Activation des RCPG
L’activation du RCPG fait suite au changement de conformation des domaines transmembranaires du récepteur suite à la liaison du ligand. Le TM 6 joue un rôle crucial lors de ce changement conformationnel. Un mouvement caractéristique de ce domaine a été mis en évidence pour la rhodopsine (Scheerer et al., 2008) et a été généralisé à l’ensemble des RCPG de la famille A (Figure 23). A l’état inactif, la rhodopsine est maintenue dans une conformation inactive grâce à un réseau d’interactions moléculaires. Deux motifs sont très importants pour contraindre les 7 hélices transmembranaires dans une conformation inactive : le motif E/DRY/W du TM 3 ainsi que le motif NPxxY(x)5,6F du TM 7. A l’état inactif, les liaisons hydrogènes entre l’arginine du motif E/DRY/W, le glutamate du motif E/DRY/W et du TM 6 (E 6.30) forment un verrou ionique. Ces liaisons hydrogènes permettent de relier le TM 3 et le TM 6. Le motif NPxxY(x)5,6F est impliqué dans deux types d’interaction à l’état inactif. La tyrosine du motif NPxxY(x)5,6F forme une liaison avec la phénylalanine (F 7.60) de l’hélice 7. L’asparagine du motif NPxxY(x)5,6F forme un réseau de liaisons hydrogènes avec l’alanine (A 7.46) et la sérine (S 7.45) du TM 7, l’asparagine (N 1.50) du TM 1 et l’asparagine (N 2.50) du TM 2 afin d’établir un réseau entre les TM 1, 2 et 7. L’activation de la rhodopsine par son ligand provoque un mouvement des TM 5 et 6 suite à un réarrangement des résidus impliqués dans le verrou ionique et interagissant avec le motif NPxxY(x)5,6F. La rupture des liaisons hydrogènes du verrou ionique permet le déplacement de 6Å du TM 6 qui se rapproche du TM 5. Le pont di-sulfure formé entre le glutamate (E 6.50) du TM 6 et la lysine (K 5.65) du TM 5 permet de stabiliser l’interaction entre le TM 5 et le TM 6. L’arginine du motif E/DRY/W se lie alors à la tyrosine (Y 5.57) du TM 5 pour former la base de la cavité de la liaison de la protéine G. La rupture de la liaison entre la tyrosine du motif NPxxY(x)5,6F et la phénylalanine (F 7.60) de l’hélice 7 provoque un retournement de la tyrosine ainsi libérée qui se place alors sous l’arginine du motif E/DRY/W ce qui permet de maintenir le TM 6 à l’extérieur de la cavité de liaison de la protéine G. La fente ainsi créée suite à l’ensemble de ces réarrangements permet le couplage de la protéine G au RCPG activé. Les résidus arginine du motif E/DRY/W et tyrosine du motif NPxxY(x)5,6F ont également été décrits comme étant importants pour l’interaction protéine G/ RCPG, l’arginine formant une liaison hydrogène avec le résidu de la partie C-terminale de la sous-unité α de la protéine G (Hofmann et al., 2009) (Figure 24).
Couplage aux protéines G
La transduction du signal passe donc par l’activation des protéines G couplées au récepteur activé. Les protéines G hétérotrimériques sont constituées d’une sous-unité α et d’un dimère β-γ. Il existe 17 types de Gα, 5 de Gβ et 12 de Gγ. Potentiellement il existe donc un grand nombre de combinaisons, cependant toutes ne sont pas possibles. Quatre grandes familles de protéines G sont proposées sur la base d’homologies entre les séquences protéiques des sousunités α : Gs, Gi, Gq et G12. En absence de ligand sur le récepteur, la protéine G est sous forme inactive, c’est à dire que la sous-unité α est liée au GDP (guanine nucleotide diphosphate) et qu’ils forment avec le dimère β-γ un trimère. Une fois le ligand fixé au récepteur, la sous-unité α s’active en échangeant le GDP avec un GTP (guanine nucleotide tri-phosphate). Ce processus d’échange diminue l’affinité des sous-unités entre elles et aboutit à la dissociation de la protéine G en deux modules, d’une part la sous-unité α et d’autre part, le dimère β-γ. La sous-unité α interagit avec les différents effecteurs des voies de signalisation impliquées dans la réponse pharmacologique. Il est désormais admis que le dimère β-γ pouvait également être impliqué dans la signalisation (Clapham and Neer, 1993). La sousunité α possède une activité GTPase (hydrolyse du GTP en GDP) qui permet de limiter la demi-vie du module Gα-GTP. Une fois le GTP hydrolysé en GDP la protéine G reforme alors un complexe hétérotrimérique inactif (Figure 25).
2.2.4. Activité constitutive des récepteurs couplés aux protéines G
Un équilibre dynamique existe entre les formes active et inactive des RCPG (Kenakin, 1996). La forme inactive des RCPG n’est pas couplée à la protéine G hétérotrimérique, alors que l’état actif est couplé et active celle-ci. Dans le cas d’un récepteur dit constitutivement actif, cet équilibre est décalé vers l’état actif. L’activité constitutive d’un récepteur correspond à la capacité de celui-ci à adopter la conformation active et d’engager des voies de signalisation en absence d’agoniste. Par conséquent, le niveau basal d’activité des protéines G associées est augmenté. Ce phénomène d’activité constitutive a été mis en évidence pour la première fois pour les récepteurs aux opiacés de type δ (Koski et al., 1982) et pour les récepteurs β2- adrénergiques (Cerione et al., 1984). Depuis, de nombreux exemples de RCPG ayant une activité constitutive ont été publiés. Les mutations touchant les RCPG ont été largement étudiées car elles peuvent être la cause de maladies génétiques. Certains sites de mutations, comme l’aspartate du motif E/DRY/W, sont connus pour induire l’activité constitutive des RCPG, tels que par exemple les récepteurs H2 à l’histamine (Alewijnse et al., 2000), les récepteurs mu opioïdes (Li et al., 2001) ou encore les récepteur β1 adrénergiques (Scheer et al., 1996). Ce phénomène d’activité constitutive a été largement décrit in vitro, dans des systèmes sur-exprimant les RCPG. Une sur-expression des RCPG, même faiblement constitutivement actifs, augmente la proportion des RCPG à l’état actif et les rend capables d’activer les protéines G et les effecteurs associés. Par exemple, dans un modèle de souris transgénique sur-exprimant le récepteur β2- adrénergique, l’accumulation de ces récepteurs a permis d’identifier des agonistes inverses (Bond et al., 1995). Par ailleurs, une augmentation du niveau d’expression des récepteurs 5- HT1B induit une augmentation significative de l’activité constitutive de ce récepteur (Newman-Tancredi et al., 2000)