Peut-on se passer du cuivre en protection des cultures biologiques ?
Le cuivre
Caractéristiques
Le cuivre (numéro atomique 29 ; masse atomique de 63,5 g et masse volumique de 8,96 g.cm−3) est un élément lourd métallique, constituant le 25e élément par ordre d’abondance dans la croute terrestre (Adrees et al., 2015). Présent à l’état natif ou combiné dans de nombreuses régions du globe, aisément malléable, le cuivre est l’un des plus anciens métaux utilisés par l’homme, en particulier sous forme d’alliages comme le bronze, le laiton ou le cupronickel. Conducteur de l’électricité, ductile et non corrodable, il a de multiples applications industrielles (câblages électriques, canalisations, électronique, bâtiment…). Le cuivre est un élément important pour les systèmes biologiques. Constituant vital impliqué dans le transport des électrons et donc dans le métabolisme énergétique (Baron et al., 1995), il est aussi doté de propriétés antimicrobiennes générant diverses applications en santé humaine (textiles), animale et végétale. Pour ces utilisations sanitaires, il est formulé soit sous forme ionique (sels de cuivre), soit sous forme de nanoparticules pouvant être incorporées à différents supports, en particulier textiles (Borkow et al., 2009; Gabbay et al., 2006). Un consensus se dégage aujourd’hui pour penser que la gestion par l’hôte de l’homéostasie du cuivre, entre composant vital et poison cellulaire, est utilisée par de nombreux organismes pour réguler les infections microbiennes (cf. par exemple, Boyd, 2012; Hodgkinson and Petris, 2012; Samanovic et al., 2012).
Profil toxicologique et écotoxicologique
Concentration et accumulation dans les sols La concentration normale en cuivre dans les roches de la croute terrestre est en moyenne de 55 mg.kg−1 (Wuana and Okieimen, 2011). Elle varie de 3 à 100 mg.kg-1 dans les sols naturels, selon le substrat sous-jacent et le type de sol, et entre 5 et 30-45 mg.kg−1 dans les sols agricoles non pollués (Marschner, 2012; Wyszkowska et al., 2013). Dans ces sols non pollués, la concentration en cuivre dans la solution du sol est généralement très basse, et s’établit en moyenne entre 11 et 0,8 μM en sols sableux et calcaires, respectivement (Mench, 1990). Une fraction importante du cuivre du sol est en effet retenue sur les matrices argilo-humiques, et ne passe donc pas dans la solution du sol (Barancikova and Makovnikova, 2003; Covelo et al., 2007). Les activités humaines, et en particulier l’application répétée de pesticides à base de cuivre, sont la principale source de pollution cuprique des sols agricoles, et causent une accumulation parfois massive de cet élément dans les horizons superficiels. En Europe, l’application quasi ininterrompue de bouillie bordelaise [Ca(OH)2+CuSO4] pour lutter contre le mildiou de la vigne a très fortement accru le niveau de contamination des sols viticoles en cuivre, jusqu’à des concentrations pouvant atteindre 200, voire 500 mg.kg−1 (Brun et al., 1998; Mackie et al., 2012; Michaud et al., 2007). Chaque application de bouillie bordelaise apporte durablement entre 3 et 5 kg.ha-1 de cuivre métal dans les sols viticoles champenois (Brun et al., 1998). Phytotoxicité Des concentrations excédentaires en cuivre ont des effets nocifs reconnus sur la croissance et le développement de la plupart des plantes. Elles réduisent en particulier la biomasse totale et le développement des systèmes aérien et racinaire. Certaines espèces ou familles, en particulier les légumineuses, la vigne, le houblon ou les céréales, sont tout spécialement affectées (Wyszkowska et al., 2013). Il existe également des différences variétales au sein des espèces dans leur tolérance aux fortes concentrations de cuivre. 10 La toxicité du cuivre est directement reliée à la biodisponibilité des ions cuivriques. Ainsi, les concentrations médianes toxiques pour les plantes sont de seulement 2 µM en solution nutritive (Kopittke et al., 2010). Une partie importante de l’effet toxique du cuivre provient de l’inhibition de la photosynthèse et de la dégradation des chloroplastes (Petit et al., 2012), conduisant ainsi à une chlorose plus ou moins sévère. Le cuivre en excès dégrade la membrane lipidique des chloroplastes (Szalontai et al., 1999), affectant les réactions claires de la photosynthèse liées aux photosystèmes I et II (Baron et al., 1995; Sandmann and Boger, 1980). Il inhibe également la synthèse de l’acide δ-amino-lévulinique, précurseur de la chlorophylle, et l’activité de la proto-chlorophyllide réductase, une enzyme qui catalyse la réduction de la proto-chlorophyllide en chlorophyllide (Stiborova et al., 1986). Enfin, une inhibition directe de l’activité de la Rubisco par substitution des ions Mg2+ ou par interaction avec les groupes SH de l’ATPase pourrait également intervenir dans la réduction de l’activité photosynthétique (van Assche and Clijsters, 1990). Perturbant le métabolisme oxydatif de la plante, le cuivre en excès induit également les défenses générales de la plante, contribuant ainsi à un coût métabolique. Certains auteurs ont même imaginé pouvoir employer cette induction de résistance par le composé toxique lui-même pour accroitre la résistance des plantes aux herbivores (Boyd, 2012). Enfin, il faut noter que les applications de cuivre ne sont pas sans incidence sur la composition à la récolte des plantes traitées, et donc sur leur qualité d’utilisation. Il est ainsi avéré que l’application de cuivre, quelle qu’en soit la forme chimique (sulfate, oxychlorure, hydroxyde), diminue la teneur en polyphénols des feuilles d’olivier (Ferreira et al., 2007), et donc leurs propriétés anti-oxydantes et antimicrobiennes exploitées en phytothérapie, mais aussi pour la préservation des denrées agro-alimentaires (De Leonardis and Macciola, 2010). Elle change également la concentration et l’équilibre en composés aromatiques des cônes de houblon employés en brasserie (Morimoto et al., 2010). Ecotoxicologie Si les effets délétères d’excès en cuivre sur les communautés microbiennes des sols semblent bien établis (Bunemann et al., 2006), ils sont plus controversés pour d’autres espèces indicatrices, en particulier les vers de terre. Certains travaux montrent des surmortalités significatives pour des concentrations voisines de 150 mg.kg-1 de sol (e.g., Bundy et al., 2008), alors que d’autres ne détectent aucun effet sur la mortalité ou sur le poids corporel à des concentrations équivalentes (Nahmani et al., 2007). Le cuivre semble toutefois avoir une faible toxicité aigüe pour l’espèce test de ver de terre Eisenia foetida, avec des concentrations létales 50 supérieures à 555 mg.kg-1 de sol sec dans une série de 12 études de laboratoire en conditions standardisées ; il est beaucoup plus toxique pour d’autres composants de la faune du sol, comme le Collembole Folsomia candida (Frampton et al., 2006). A des concentrations plus faibles, une toxicité chronique pour les vers de terre est souvent observée : retard à la maturité sexuelle, diminution du nombre de cocons et réduction du taux d’éclosion (Cedergreen et al., 2013; Nahmani et al., 2007; Spurgeon and Hopkin, 1996), toxicité qui semble augmenter aux températures basses (Cedergreen et al., 2013). Ce dernier point est toutefois controversé, d’autres études rapportant au contraire une toxicité plus forte à des températures élevées (Heugens et al., 2001) ; cette différence de résultats est peut-être attribuable, au moins en partie, à des différences de méthodologie (durée constante d’exposition versus stade physiologique constant), même si ce facteur ne semble pas suffisant pour rendre compte à lui seul de l’inversion de tendance entre études. Des doses sub-létales de cuivre, même sans effets mesurables sur les paramètres du cycle de vie, ont par ailleurs des effets notables sur la physiologie des vers de terre (Bundy et al., 2008). Il est donc raisonnable de penser que les pollutions cuivriques des sols ont des effets chroniques de long terme sur la dynamique des populations de vers de terre et d’autres composantes de la faune des sols importantes pour le bouclage des cycles biogéochimiques, même si des modèles de dynamique des populations calibrés à partir de mesures de traits d’histoire de vie en conditions expérimentales de laboratoire suggèrent que le développement des populations de vers de terre n’est affecté que par des concentrations de cuivre létales pour les adultes (Spurgeon et al., 2003). Signalons enfin un dernier effet secondaire, potentiellement important dans des stratégies de protection intégrée, des applications de cuivre : leur toxicité pour des espèces fongiques impliquées dans le biocontrôle, comme Beauveria bassiana (Martins et al., 2014). Les rejets de cuivre, qu’ils soient réguliers ou sous forme d’à-coups ponctuels comme c’est vraisemblablement le cas lors d’applications agricoles, impactent également fortement les organismes aquatiques. Un modèle récent, incluant des éléments déterministes (simulation des processus démographiques) et stochastiques, montre que les effets sur le phytoplancton (microalgues) et les crustacés aquatiques (daphnies) sont drastiques (extinction complète des populations) à des concentrations supérieures ou égales à 28 µg de cuivre par litre d’eau, et qu’à des 11 concentrations plus faibles (10-15 µg.l-1), des rejets ponctuels rendent la dynamique des populations très oscillatoire (Camara et al., 2017). Ces résultats complètent les nombreux travaux sur les effets nocifs du cuivre ingéré par les organismes aquatiques (DeForest and Meyer, 2015). Signalons également que divers cas d’intoxication chronique au cuivre chez des animaux d’élevage sains par simple ingestion d’eau ont été rapportés, avec des effets très délétères sur le système nerveux, ce qui soulève des questions importantes sur les concentrations de cuivre admissibles pour les eaux potables (Pal et al., 2014). Enfin, notons que le cuivre d’origine alimentaire est reconnu comme responsable principal chez l’Homme de la maladie de Wilson, et est fortement suspecté d’être également impliqué dans les troubles de la cognition des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer (Brewer, 2012). Les nanoparticules contenant du cuivre et relarguées dans l’environnement sont également toxiques sur les deux compartiments du système plante-sol, du fait d’une augmentation de la génération de formes réactives de l’oxygène (Anjum et al., 2015). Toutefois, il n’est pas encore clair si les mécanismes impliqués dans cette toxicité concernent les nanoparticules elles-mêmes, ou le relargage d’ions cuivriques. Les effets sont néanmoins similaires à ceux d’une hyper-accumulation d’ions dans les couches superficielles des sols, à savoir une réduction forte de croissance des plantes exposées et une modification de la balance ionique des tissus végétaux (Anjum et al., 2015). Les effets écotoxicologiques de ces nanoparticules sur le compartiment microbien des sols restent encore peu caractérisés, mais sont cependant avérés : réduction de la diversité microbienne, effets antimicrobiens sur certaines composantes favorables à la croissance des plantes dans les communautés bactériennes telluriques (Baek and An, 2011; Mahapatra et al., 2008), ou réduction de la production de sidérophores (Dimkpa et al., 2012), molécules bactériennes impliquées dans la chélation du fer depuis le sol et dans son assimilation par les végétaux et les microbes. Ces effets délétères sur le fonctionnement microbiologique des sols sont généralement attribués à la libération d’ions cuivriques, même si les effets au champ sont encore mal caractérisés et insuffisamment connus (Collins et al., 2012). Il semble par ailleurs que ces nanoparticules impactent fortement d’autres compartiments environnementaux que le sol, en particulier les milieux aquatiques : les poissons, crustacés et algues semblent en effet plus sensibles que les bactéries du sol à la toxicité des nanoparticules à base d’oxydes de cuivre (CuO) (Bondarenko et al., 2013).
Introduction |