Peut-on se passer du cuivre en protection des cultures biologiques ?
Les usages phytosanitaires du cuivre : agents pathogènes ciblés, impacts environnementaux et réglementation
Les utilisations phytosanitaires du cuivre
Indispensable à la vie cellulaire mais toxique au-delà d’une certaine concentration, le cuivre est largement utilisé pour ses propriétés antimicrobiennes, tant en contexte agricole que pour des applications en médecine vétérinaire et humaine. Le mécanisme exact par lequel il agit sur les microorganismes est aujourd’hui encore inconnu; cependant, plusieurs hypothèses (fuite d’électrolytes cellulaires, perturbation de la balance osmotique, chélation par les sites actifs de certaines protéines, génération d’un stress oxydant) ont pu être avancées. Pour ces utilisations sanitaires, le cuivre est principalement employé sous forme ionique, dans des formulations à base de sels (sulfate ou hydroxyde) combinés à divers adjuvants. La bouillie bordelaise (sulfate de cuivre + chaux) est emblématique de ce type de formulation. En agriculture, ces produits sont généralement utilisés en pulvérisation sur les parties aériennes des cultures ; ils peuvent aussi être employés en traitement des semences (pour les céréales) ou en application locale (badigeon sur les plaies des arbres, applications localisées au sol).
Les agents pathogènes ciblés par les usages du cuivre
Les produits à base de cuivre sont utilisés pour lutter contre certaines mycoses et bactérioses. Les mycoses cibles du cuivre sont causées par des ascomycètes (tavelure du pommier…) ou des oomycètes (mildious), qui présentent des cycles biologiques comparables : une phase de survie, généralement dans des résidus de culture restés dans ou à proximité des parcelles (litières de feuilles, repousses, tas de déchets de tri) permettant les infections primaires, puis une phase d’extension épidémique (contaminations secondaires) permettant au parasite de coloniser plus ou moins rapidement un grand nombre d’organes sensibles (voir la figure page 4). Les bactérioses cibles présentent également des épidémies polycycliques. Le cuivre vise essentiellement la prévention des infections secondaires ; il n’est que très rarement employé pour réduire ou détruire l’inoculum primaire, peu accessible aux traitements. Le cuivre est ainsi homologué en protection des plantes pour plus de 50 « usages », définis chacun par une combinaison culture / agent(s) pathogène(s). Ces usages homologués du cuivre concernent des maladies fongiques et des bactérioses qui affectent des cultures pérennes (vigne, fruits à pépins, à noyau ou à coque), des cultures maraîchères (une douzaine de genres appartenant à diverses familles botaniques), des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), des espèces ornementales et des cultures porte-graine, ou qui se développent sur les plaies du bois. En grandes cultures, les usages homologués du cuivre sont limités au mildiou de la pomme de terre et à quelques maladies fongiques du blé et du seigle transmises par les semences
L’accumulation du cuivre dans les sols, sa phytotoxicité pour les cultures et son écotoxicité
L’application répétée de pesticides à base de cuivre est la principale source de pollution cuprique des sols agricoles, et cause une accumulation parfois massive de cet élément dans les horizons superficiels. En Europe, l’application quasi-ininterrompue de bouillie bordelaise pour lutter contre le mildiou a ainsi très fortement accru les teneurs des sols viticoles en cuivre, jusqu’à des valeurs pouvant atteindre 200, voire 500 mg/kg (contre 3 à 100 mg/kg dans les sols naturels). Des concentrations excédentaires en cuivre ont des effets phytotoxiques reconnus sur la croissance et le développement de la plupart des plantes, se manifestant notamment par des chloroses et une réduction de la biomasse totale. Certaines cultures, en particulier les légumineuses, la vigne, le houblon ou les céréales, sont particulièrement affectées. Les effets délétères d’excès en cuivre sur les communautés microbiennes des sols, ainsi que sa toxicité pour certaines composantes de la faune du sol comme les collemboles, semblent bien établis. Les impacts sont plus controversés pour d’autres groupes, en particulier les vers de terre (la dose létale est assez élevée pour certaines espèces, mais une toxicité chronique est souvent observée, avec des impacts mesurables sur les paramètres de la reproduction et sur la physiologie des vers). Il est donc raisonnable de penser que les pollutions cupriques des sols ont des effets chroniques de long terme sur la dynamique des populations de vers de terre, et sur d’autres composantes de la faune des sols importantes pour le bouclage des cycles biogéochimiques. Enfin, les applications de cuivre sont toxiques pour des espèces fongiques utilisées comme agents de biocontrôle (par exemple Beauveria bassiana, employé contre des insectes ravageurs). ü Les restrictions réglementaires d’usage La mise en évidence de ces effets environnementaux négatifs des produits à base de cuivre a motivé des restrictions réglementaires d’usage. L’emploi du cuivre à des fins phytosanitaires est actuellement autorisé en France et dans la plupart des autres pays de l’UE, en agriculture conventionnelle (AC) comme biologique, à une dose maximale de 6 kg/ha/an de cuivre métal. Certains pays ont toutefois décidé de limiter plus encore ces doses autorisées. C’est le cas de la Suisse, qui restreint cet emploi à 4 kg Cu/ha/an sur la plupart des cultures (moyenne lissée sur 5 ans, avec des pics possibles jusqu’à 6 kg en cas de forte pression phytosanitaire une année donnée), et même à 2 kg/ha/an pour les petits fruits et 1,5 kg pour les fruits à noyaux. D’autres pays (Pays-Bas, Scandinavie) ou associations (Demeter en Allemagne par exemple) ont choisi d’interdire totalement les utilisations phytosanitaires du cuivre, en AB comme en AC, tout en lui conservant un usage fertilisant. Il en est de même de la plupart des cahiers des charges en biodynamie, qui prohibent très généralement l’emploi phytosanitaire de cuivre
|