Pertinence et procédures démocratiques en contextes parlementaires non démocratiques : la Syrie, l’Afghanistan et le « cercle vertueux »
Le débat syrien
Séquence du débat et questions procédurales
C’est dès l’entame du débat que la question du respect des règles de procédure fait irruption. Après avoir ordonné la lecture du rapport de la commission compétente, le président de l’assemblée ouvre la discussion générale et donne la parole au député Khudr al-Nâ‘im. Celui-ci proteste contre le fait que le projet de loi n’ait pas été inscrit à l’ordre du jour. Par cette référence à l’ordre du jour, le parlementaire indexe le Règlement d’ordre intérieur, c’est-à-dire qu’il pointe par son intervention la source normative sur laquelle il appuie l’autorité de son argument. En l’espèce, il s’agit de l’article 36 du Règlement intérieur, qui stipule qu’« Il n’est pas permis de discuter d’un décret-loi, d’un projet ou d’une proposition de loi s’il n’est pas enregistré sur l’agenda de travail ». Par cette indexation, al-Nâ‘im met en cause la correction procédurale de l’activité sollicitée par le Président. Ce dernier, interrompant l’orateur, manifeste qu’il comprend le registre de cette mise en cause en invoquant la nature spécifique de la séance (« consécutive ») – sous-entendant ainsi qu’elle peut déroger aux règles qui s’appliquent aux séances normales (non consécutives). Par sa réponse, le Président de l’Assemblée s’aligne donc sur le registre de pertinence procédurale instauré par Khudr al-Nâ‘im, tout en proposant une lecture alternative de la situation dans laquelle l’Assemblée se trouve. Poursuivant son tour de parole interrompu par le Président, al-Nâ‘im maintient son désaccord, tout en l’explicitant. S’il ne conteste pas la nature « consécutive » de la séance, il fait remarquer que l’ordre du jour ne parlait que d’une décision de renvoi aux commissions spécialisées et non d’une discussion en séance plénière. En somme, on observe comment les tours de parole du Président et du parlementaire permettent aux gens engagés dans ce processus, par ajustements successifs, d’identifier le registre discursif en vigueur, de s’aligner dessus et de préciser l’objet des éventuels divergences d’interprétation sur sa substance. Ainsi, c’est dans les termes de la question soulevée par al-Nâ‘im qu’une réponse est apportée, le Président sollicitant un vote de l’Assemblée dans le but d’inscrire la discussion du projet de loi à l’ordre du jour de la séance. Par cette action, le Président entreprend de réparer l’atteinte faite à la normalité procédurale, d’une manière qui ne prête pas à contestation. C’est lui qui se sert à son tour de la ressource du Règlement intérieur qui stipule, toujours au même article 36, que l’Assemblée peut décider d’ajouter à son ordre du jour, à la majorité absolue des membres présents, la discussion de textes législatifs. Notons qu’il opère cette réparation tout en soulignant rhétoriquement une divergence de point de vue (« En dépit de mon désaccord »), ce qui lui permet de projeter une image de consensualisme et de légalisme tout en évitant les risques d’une confrontation sur cette question de procédure. Une fois cette question réglée, le débat se poursuit par une série de tours de parole au travers desquels les intervenants expriment leur adhésion au projet.
La pertinence démocratique : ressort d’ordre et éthique procédurale
Dans ce débat, au demeurant fort court, l’argument formel et procédural est utilisé de manière abondante. Il peut être utile, pour les besoins de l’article, de mentionner les différentes occurrences. C’est tout d’abord l’intervention de Khudr al-Nâ‘im : « Ce projet de loi s’est glissé dans la séance d’aujourd’hui alors qu’il n’est pas inscrit à l’ordre du jour des travaux. Je demande que soit demandé l’accord de l’Assemblée sur cette inscription à cet ordre du jour ». Sous couvert d’une simple exigence de respect des formes requises pour la soumission des projets de loi à l’Assemblée du Peuple, c’est en réalité le respect de l’esprit de la discussion parlementaire que revendique le député, ce que confirme une intervention ultérieure de Muhammad al-‘Îsâ qui, indexant les propos de « nos collègues Khudr al-Nâ`im et Ahmad Ghuzayl au cours de la présentation des articles de cette loi », affirme sans ambiguïté que « présenter cette loi à cette vitesse n’est pas logique » et constitue une atteinte à la charge que « nous assumons […] devant notre peuple ». Après avoir tenté de parer l’objection sur une base procédurale (« Je pense que tout le monde sait que cette séance est une séance consécutive (mutâba‘a) et non une séance nouvelle »), le Président de l’Assemblée y fait droit pour des raisons de nature plus démocratique que juridique (« En dépit de mon désaccord, ceux qui désirent inscrire à l’ordre du jour des travaux de l’assemblée l’indiquent en levant la main »).La deuxième objection de type procédural, formulée par ‘Abd Allâh al-Hasan, porte sur l’absence d’exposé des motifs : « Attendu qu’il s’impose que tout projet de loi soit accompagné de [l’exposé] nécessaire de ses motifs, qui indiquent les objectifs et les buts du projet, [je constate] que malheureusement nous ne lui trouvons pas [l’exposé] nécessaire de ses motifs. Je propose au gouvernement de fournir à l’assemblée [l’exposé] nécessaire des motifs de ce projet ». L’argument est formel (c’est la forme requise) et le registre argumentatif est procédural (c’est une règle propre à la procédure d’adoption des lois). Le type de pertinence dont relève ce registre n’est pas explicite au moment de l’intervention du député, mais les reprises qui en sont faites ultérieurement lui confèrent indubitablement une visée dépassant le seul registre procédural : le respect de l’institution parlementaire est à la base du fonctionnement démocratique de l’Etat.