Pertinence et diversification des offres de l’éducation de base
LA CLARIFICATION CONCEPTUELLE
Dans cette partie, il s’agit de clarifier certains concepts clés autour desquels s’est bâtie notre analyse afin de faire leurs corrélations permettant de mieux appréhender le phénomène du « non-envoi » des enfants de Touba dans les écoles formelles du département de Mbacké. Il s’agit : – D’abord du concept de « résistance » qui constitue la variable principale de la recherche et dont la conséquence principale est le « non-envoi » des enfants dans cette catégorie d’écoles implantée par le législateur ; – Ensuite des concepts de : « socialisation», « éducation », « l’éducation de base » et « pertinence », voire « diversification ». 28 1.6.1 Le concept de « résistance » Selon le Petit Larousse, le concept de « résistance » a au moins neuf (9) acceptations qui ont toutes comme dénominateur commun « le fait de s’opposer à quelqu’un (quelque chose), à une autorité ». Il s’agit de la propriété d’un corps de s’opposer aux effets d’un agent extérieur. Dans le contexte de la psychanalyse, la résistance est « une force qui s’oppose au retour dans le conscient, de pensées inconscientes, qui pourraient participer à la guérison du patient ». Selon dictionnaire libre Wikipédia, le concept de « résistance », désigne en psychologie analytique « le fait de ne pas être ouvert à soi, à sa réalité et à la réalité extérieure. Et finalement de rester en lutte d’abord contre soi-même mais aussi finalement contre le reste du monde. Il s’agit pour le sujet, de rester dans une forme d’aliénation, fut-elle légère, à l’exemple de la névrose (…)39 ». Si la résistance est synonyme d’opposition, qui, en droit veut dire « Acte par lequel une personne empêche légalement l’accomplissement d’un acte (opposition à mariage, à paiement, etc.) ou rend un titre indisponible entre les mains de son dépositaire », la résistance est due ici au fait que ce qui est proposé à « l’école française » en termes de contenus à enseigner est totalement en déphasage de ce qui est attendu par la population mouride de Touba. Ainsi, la réaction générale pour manifester cette opposition est le fait de ne pas inscrire les enfants dans le modèle d’école proposé par le gouvernement (modèle français). Dès lors, il s’avère nécessaire de souligner le comportement d’ensemble de la population de Touba face à l’offre d’éducation formelle publique en français dont la principale conséquence est le « non-envoi » des enfants dans cette catégorie d’écoles : un phénomène qui nécessite d’être clarifié. Le concept de « non-envoi » n’existe pas dans les dictionnaires et autres documents spécifiques de définitions ; toutefois, celui d’« envoi » est défini. Ainsi, dans le Littré, « envoi » signifie : « Action d’envoyer, d’expédier des marchandises. Par le dernier envoi, j’ai reçu…. La chose même qu’on a envoyée. J’ai reçu votre envoi. Votre envoi est arrivé franc de port. Lettre d’envoi, lettre qui annonce qu’une chose a été envoyée. 39 https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sistance_%28psychanalyse%29; (24/08/2013) 29 Terme de jurisprudence : Envoi en possession, jugement qui autorise à prendre possession de certains biens, les héritiers présomptifs des absents déclarés, les héritiers irréguliers des défunts, les enfants naturels, les conjoints et l’État40 (…) ». Partant de ces différents aspects de « l’envoi » et de la réalité vécue, « l’envoi des enfants à l’école » est la conséquence de leur autorisation parentale de fréquenter l’école. Une autorisation qui se traduit par leur inscription régulière dans les établissements d’Education et de Formation. Sous ce rapport, le concept « d’envoi » pourrait être assimilé à celui de « fréquentation » quand bien même que ce dernier est plus englobant car partant de l’envoi jusqu’à la sortie après un séjour à l’école. « La Fréquentation scolaire indique si oui ou non une personne a fréquenté, à plein temps ou à temps partiel, un établissement ou un programme d’enseignement reconnu pendant l’ensemble ou une partie d’une période de référence donnée. La personne peut avoir fréquenté plus d’un établissement d’enseignement ou avoir été inscrite à plus d’un programme. La fréquentation est comptée seulement pour les cours permettant d’accumuler des crédits en vue de l’obtention d’un certificat, d’un diplôme ou d’un grade décerné par un d’établissement ou un programme d’enseignement tel que école primaire ou secondaire, programmes d’apprenti inscrit, école de métiers, collège ou université (…). La fréquentation scolaire s’inscrit dans une logique de norme. Ainsi, la présente norme diffère de la norme précédente à plusieurs égards. La définition de la fréquentation scolaire est plus détaillée que dans l’ancienne norme et fournit des précisions supplémentaires quant à ce qu’il faut inclure et exclure. De plus, la norme actuelle comprend trois classifications pour la fréquentation scolaire, ce qui permet des classifications croisées selon les différentes dimensions (fréquentation, inscription et établissement) de la fréquentation scolaire. Des définitions sont maintenant fournies pour chaque classe dans la classification. Dans le cas de la fréquentation à temps partiel, la classification actuelle ne fait pas de distinction entre la fréquentation le jour ou le soir, alors que c’était le cas dans la norme précédente. Ce changement reconnaît le fait que les élèves à temps partiel peuvent suivre à la fois des cours de jour et du soir; en outre, étant donné l’augmentation des cours par correspondance et des cours offerts sur Internet, la distinction entre la fréquentation le jour et la fréquentation le soir est de moins en moins pertinente. Une classification de l’établissement fréquenté a été incluse. 40 Dictionnaire, Le Littré, 1.0 30 Enfin, cette norme offre une plus grande souplesse puisque la période de référence n’est pas limitée à huit (8) mois, comme dans la norme précédente, et peut varier selon les exigences de l’enquête » 41 . En somme, il faut retenir que la scolarisation des enfants se fait en trois (3) étapes qui s’imbriquent les unes des autres selon une logique de progression : (i) L’envoi des enfants ; (ii) La fréquentation des établissements, et ; (iii) Le suivi-encadrement. Par opposition, le « non-envoi » est alors le contraire de «l’envoi» : c’est la nette opposition et la non-mobilisation des facteurs d’envoi. Pour le cas de ces enfants de Touba, il s’agit de leur rétention par leurs parents qui ont refusé de les inscrire dans les écoles formelles pour diverses causes que nous cherchons à élucider dans cette étude. Et pourtant, la fonction première de toute Education est la socialisation. Socialisation dans la mesure où les valeurs véhiculées par les lieux d’éducation soient les mêmes que celles de la société. 1.6.2 La socialisation « La socialisation est le processus au cours duquel un individu apprend et intériorise les normes et les valeurs tout au long de sa vie, dans la société à laquelle il appartient, et construit son identité sociale. Elle est le résultat à la fois d’une contrainte imposée par certains agents sociaux, mais aussi d’une interaction entre l’individu et son environnement. Si elle favorise la reproduction sociale, elle n’élimine pas pour autant les possibilités de changement social.»42 En relisant le contenu de cette définition de la socialisation, nous touchons la finalité même de l’éducation qu’est la socialisation, c’est le processus d’intégration de nouvelles générations dans la société. Elle suppose des acteurs et des structures appropriées pour la réussite d’une telle démarche. L’enfant naît avec une table rase en matière sociale et culturelle mais avec une prédisposition à l’éducation et à la socialisation. La famille, l’école, le milieu de vie sont des lieux où se passe cette socialisation. Elle tient aussi compte du sexe, de l’âge, de l’ethnie, etc. Dans cette démarche de socialisation l’on pouvait s’attendre à une révolution sociale, un changement radical mais il est regrettable de constater que l’école qui est une structure officielle de socialisation des enfants est en même temps une structure de reproduction sociale. Deux écoles connues en parlent assez à travers deux théories : il s’agit des théories de Pierre Bourdieu qui sont qualifiées de conflictualistes tout comme celles de Bernard Lahire ou de Baudelot-Establet ; on les oppose aux théories externalistes de Raymond Boudon quand bien même elles se complètent.43 Chez Bourdieu, ce sont les rapports sociaux qui détermineront l’orientation scolaire, la réussite ou l’échec. L’origine sociale a une importance mais pas uniquement. Il parle de l’école comme « Machine de reproduction des inégalités ». 44 Le second considère que les individus sont des êtres libres et rationnels qui font des calculs coûts/avantages pour s’orienter. L’origine sociale ne jouerait ici qu’en tant que facteur économique. Cependant Berthelot souhaite dépasser ce conflit et explique que les parents sont libres de leur choix mais qu’il existe des surdéterminations : temporelles, géographiques et positionnelles. Faut-il parler de la reproduction des inégalités sociales de manière négative au sens typiquement conflictuel sans aucune nuance? Nous pensons que non ! Que ce soit les rapports sociaux en jeu, que ce soit la liberté des individus manifestée à travers les choix qu’ils opèrent, que ce soit le dépassement de ce conflit amorcé par Berthelot, une chose demeure déterminante: C’est l’interaction entre les enfants et la société. Selon Jean Piaget, il convient d’étudier la sociologie de l’éducation sous ce prisme. Ceci pour mieux étudier en profondeur les interactions des enfants et la société dans laquelle ils évoluent. On parle de fonctionnement « homéostatique »45 pour désigner le mécanisme par lequel les êtres humains changent et évoluent. Pour Piaget, la socialisation correspond à un processus actif d’adaptation discontinue à l’environnement et à des formes mentales ou sociales de plus en plus complexes. La notion de structure est importante chez Jean Piaget. Pour lui, la structure mentale est principalement la résultante de deux dimensions: cognitive et affective. En effet, si Piaget y voit le mouvement de rupture et de reprise, Emile Durkheim y voit un mouvement continu, un continuum. 43 Idem. 44 Idem. 45 Idem. 32 L’adaptation de l’individu se réalise à travers deux mouvements : l’assimilation (incorporation) et l’accommodation (ajustement des structures). Autrement, il y a toujours cette interaction entre l’individu et la société qui débouche à l’intégration de l’enfant et la transformation de la société qui s’accommode en offrant l’espace social et vital à ses nouveaux membres. En conclusion, l’histoire de l’éducation dans le monde nous montre que chaque société a toujours su trouver sa méthode de socialiser les siens et de maintenir son équilibre. Aujourd’hui l’école telle que nous la connaissons est une instance officielle de socialisation et qui entretient des relations intimes avec la société. Pour reformer la société, il convient de réformer l’école et vis-versa. Car en effet la société dynamise l’école et l’école dynamise la société. Les deux sont dans une dynamique d’interaction qui ne doit jamais connaître de rupture culturelle.
L’Education
La charge symbolique du concept d’éducation est telle que nous évitons l’aventure d’une définition personnelle en citant quelques définitions représentatives. Dans la philosophie scolastique, l’éducation est « l’action par laquelle une cause provoque un changement dans un être corporel pour y faire apparaitre une forme déterminée. A proprement parler, l’éduction ne produit pas la forme nouvelle mais constitue plutôt la cause efficiente de son apparition, en transformant la matière partiellement ou totalement. » Dans Pédagogie : dictionnaire des concepts clés-apprentissages, formation et psychologie cognitive46 (Rieunier) – Pour Kant, l’éducation doit « développer dans chaque individu toute la perfection dont il est capable » ; – Pour Durkheim, l’éducation est « l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. » ; – Pour l’américain Deway, «le but de l’éducation a toujours été pour tous essentiellement le même- donner au jeune être ce dont il a besoin pour devenir d’une manière ordonnée et continue membre de la société.» ; – Pour Sillamy, auteur d’un Dictionnaire de psychologie remarquable, « l’éducation est l’art de développer les qualités potentielles physiques, intellectuelles et morales d’une personne. » ; – Pour Piaget, « éduquer c’est adapter l’individu au milieu social adulte, c’est-à-dire transformer la constitution psychobiologique de l’individu en fonction des réalités collectives auxquelles la conscience commune attribue quelque valeur. Donc deux termes dans la relation que constitue l’éducation : d’une part l’individu en croissance ; de l’autre, les valeurs sociales, intellectuelles et morales auxquelles l’éducateur est chargé de l’initier. » Dans les sociétés de type occidental, qui valorisent la réussite individuelle, l’éducation vise à développer l’autonomie, à éveiller au monde, à permettre l’épanouissement de l’individu, à « faire éclore tous les bourgeons », comme se plaisent à le dire les adeptes de la pédagogie Freinet. L’éducation vise à développer « le respect de l’autre, la tolérance, le dialogue, le respect des droits des minorités… », Etc. Si nous le comparons au concept de pédagogie, le concept d’éducation, saturé de valeurs, est plus large. « L’éducation n’est point un ensemble de techniques que l’on pourrait mettre au point par des expériences appropriées comme l’on fait des techniques agricoles. Sans doute, les techniques comptent-elles, et il ne faut point négliger les didactiques particulières ni la pédagogie expérimentale. Mais au-dessus d’elle, il est une recherche plus difficile et plus urgente, c’est de la fin et de l’esprit de l’éducation. Cette recherche engage l’éducateur, elle engage aussi le philosophe, elle engage le politique. Et si on ne la tente d’abord, si l’on ne prend garde de la conserver toujours à l’horizon de ses pensées, le souci des techniques ne vaut pas cher. »47 Par ailleurs, dans le Tome 1 du Dictionnaire Général des sciences humaines48, on note plusieurs définitions du concept d’éducation selon les domaines et les intérêts. Ainsi : – En pédagogie, l’éducation est selon les auteurs, «l’Ensemble des actions et des processus par lesquels une société donnée, par l’intermédiaire d’un ou plusieurs spécialistes, amène les jeunes à participer à la culture et aux activités du groupe et à s’intégrer dans leur milieu de vie. Aussi, en fonction des idéologies de la société, l’éducation pourra-t-elle porter principalement sur l’un ou l’autre aspect de la vie et adopter une forme et un style particuliers. Dans les sociétés où les rôles sociaux sont fortement diversifiés, on distinguera autant de formes d’éducation qu’il y a de spécialistes (éducation civique, culturelle, gestuelle, manuelle, etc.). La théorie générale de l’éducation comprend les théories du programme, de l’instruction, de l’orientation, de l’évaluation et de l’administration. » L’éducation est généralement matérialisée par un Système d’éducation mis en place par chacune des différentes sociétés qui est l’Ensemble fonctionnel fermé sur lui-même peu perméable aux influences et aux démarches d’organisation externes susceptibles de le modifier. Envisage la réalisation d’un but défini auquel sont subordonnés des moyens et des agents divers. Il peut se manifester sous différents cycles et programmes tels que : L’éducation des adultes englobe, outre les campagnes d’alphabétisation, des recyclages, des cours du soir, à temps partiel, par correspondances radiophoniques ou télédistribués, organisés par les pouvoirs publics ou au sein d’entreprises privées, permettant à des sujets ayant dépassé l’adolescence de terminer des études interrompues prématurément, d’accroitre leur formation et leur qualification et de répondre aux besoins d’une société en évolution. L’éducation des masses : action systématique menée en vue d’amener l’ensemble d’une population à des comportements déterminés et accessoirement à un niveau de connaissances élémentaires (par exemple, les soins d’hygiène, comportements adaptés en cas de catastrophe, 47 Raynal (F.) et Rieunier (A.) ; Pédagogie : dictionnaire des concepts clés-apprentissages, formation et psychologie ; Op.cit. 48 Thines (G.) et Lempereur (A.) ; Dictionnaire Général des sciences humaines ; Tome 1 ; CIACO Editeur 1984 ; p. 313-314 35 etc.). Elle implique la vulgarisation des connaissances à faire acquérir et la mise en œuvre de moyens de persuasion en vue d’induire les comportements souhaités. L’éducation permanente : éduction de tous les sujets, quel que soit leur âge, visant leur participation aux valeurs et à la culture de la communauté dont ils font partie. Dans un sens large, éducation continue, de la naissance à la mort, de l’individu considéré dans sa totalité. Les principes de l’éducation permanente reposent sur l’affirmation de la nécessité : 1) d’une continuité réelle entre la formation initiale dispensée au cours de la scolarité et celle acquise ultérieurement, celle- ci devant se prolonger sur toute la durée de la vie humaine et devant sans cesse être adaptée aux besoins continuellement changeants de la société ; 2) d’une utilisation souple de tous les moyens éducatifs, dans des cadres variés, scolaires aussi bien qu’étatiques que scolaires, donnant à chaque individu un accès facile à des connaissances en accord avec ses besoins et ses intérêts personnels.
LEXIQUE DES MOTS ET EXPRESSIONS WOLOF xii |