Pertinence du scanner cérébral sur la prise en charge des traumatismes crâniens
Généralités
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (1) définit les traumatismes crâniens légers (TCL) comme une lésion cérébrale aiguë résultant d’une énergie mécanique à la tête, provenant de forces physiques externes avec les critères d’identification suivants (un ou plusieurs) : – Confusion ou désorientation – Perte de connaissance (PC) de maximum 30 minutes – Amnésie post traumatique de maximum 30 minutes – Signes neurologiques transitoires tels que les signes focaux – Crise d’épilepsie et lésion intracrânienne n’exigeant pas de chirurgie – Score de Glasgow (GCS) de 13, 14 ou 15 ; à 30 minutes maximum du traumatisme crânien (TC) Échelle de Glasgow 2 B. Épidémiologie Le TC est un enjeu majeur en accidentologie. L’impact socio-économique que représente l’ensemble des TC est majeur en France, pouvant entrainer un isolement social, une rupture des relations familiales ou une perte d’emploi pour les personnes en activité (2). En 2015, une méta-analyse recensant les données de passage aux urgences pour TC, retrouvait un taux moyen d’incidence de 262 pour 100 000 habitants par an (3). Parmi eux, 70 à 90% étaient des TCL (4). Le taux de décès global des patients consultant au Service d’Accueil des Urgences (SAU) pour un TC est compris entre 10 et 15 pour 100 000 habitants par an (2). Une étude observationnelle prospective réalisée en 2013, ayant inclus 982 patients, retrouvait un risque de saignement intracrânien (SIC) de 6,1% lors des TCL. Respectant la définition d’un TCL, elle ne faisait ainsi pas de distinction entre les patients avec un score de Glasgow de 13, de 14 ou de 15 (5). C. Population Le vieillissement de la population a amené logiquement à une augmentation du nombre de patients traités par antiagrégants plaquettaires (AAP) ou anticoagulants (ACG). En 2011, en France, on comptait 2,6 millions d’utilisateurs d’ACG et 3,12 millions en 2013 (6). Ce nombre ne fait qu’augmenter depuis. Hors, plusieurs études ont évalué les risques liés à l’utilisation de ces traitements, et ont notamment retrouvé : – Une augmentation de 10% du risque de SIC sous AAP (7), – Une augmentation de 19% de la mortalité sous anti-vitamine K (AVK) et nouveaux anticoagulants oraux (NACO) (8), 2) Prise en charge du patient traumatisé crânien A. Rappels lésionnels La gravité d’un TC et son devenir dépendent de la sévérité de l’atteinte lésionnelle cérébrale initiale. Ces lésions peuvent être identifiées à l’aide d’un scanner cérébral sans injection. Les différentes lésions focales que nous pouvons retrouver sont : 3 ◊ Hématome sous dural aigu Il se définit par une collection hémorragique intracrânienne située entre la convexité externe du cerveau et la face interne de la dure-mère. Il est causé par la déchirure d’une veine « pont » corticodurale dans l’espace sous-dural, le plus fréquemment à leur point de fixation. L’imagerie retrouve un épaississement spontanément hyperdense le long de la voute crânienne en forme de croissant. Hématome sous dural aigu de la convexité droite ◊ L’hématome extra dural Il se définit par une collection hémorragique située entre la dure mère et la voute crânienne, en regard de la table interne de l’os du crâne. Il est causé le plus souvent par une fracture de l’écaille temporale entrainant une plaie de l’artère méningée moyenne ou d’une de ses collatérales. L’imagerie retrouve une lentille biconvexe spontanément hyperdense ne franchissant pas les sutures, avec, le plus souvent, une visualisation du trait de fracture. 4 Hématome extra dural de Fracture temporale droite la convexité droite ◊ La contusion cérébrale Elle est la résultante d’un traumatisme direct en regard du parenchyme cérébral. Elle est majoritairement située dans les lobes temporaux et frontaux en raison de l’impact contre les proéminences osseuses. Leur coalescence est à l’origine d’hématomes cérébraux. L’imagerie caractéristique retrouve une lésion hyperdense à bords irréguliers, située sur la convexité cérébrale. Contusion hémorragique frontale droite 5 ◊ L’hémorragie sous arachnoïdienne Elle se définit par une suffusion hémorragique en regard des sillons méningés sous arachnoïdiens. Elle est le plus souvent focale, et touche majoritairement les sillons corticaux. Hémorragie sous arachnoïdienne frontale gauche
Recommandations françaises de 2012
Les recommandations actuelles sont basées sur des recommandations formalisées d’experts émises par la société française de médecine d’urgence (SFMU) en 2012 (9). Elles définissent un TCL par un score de Glasgow de 13, 14 ou 15. Elles indiquent la nécessité qu’un médecin évalue rapidement un patient se présentant pour un TCL. Le diagnostic des lésions cérébrales aiguës est réalisé à l’aide d’un scanner cérébral. Il doit-être réalisé dans les 8 heures si le patient présente un de ces critères : – Déficit neurologique focalisé – Amnésie des faits de plus de 30 minutes avant le TC (amnésie rétrograde) – GCS inférieur à 15, deux heures après le traumatisme – PC ou amnésie des faits associée à un des mécanismes traumatiques suivants : piéton renversé par un véhicule motorisé ; éjecté d’un véhicule ou chute de plus d’un mètre ; – Age supérieur à 65 ans. 6 – Suspicion de fracture ouverte ou d’embarrure – Tout signe de fracture de la base du crâne (hémotympan, ecchymose périorbitaire bilatérale, otorrhée ou rhinorrhée de liquide cérébro-spinal (LCS)) – Plus d’un épisode de vomissement chez l’adulte – Trouble de la coagulation (traitement par ACG, AAP…) Il doit être réalisée dans l’heure si le patient présente un de ces critères : – Déficit neurologique focalisé – GCS inférieur à 15, deux heures après le traumatisme – Suspicion de fracture du crâne ou d’embarrure – Signe de fracture de la base du crâne – Convulsions post-traumatique – Traitement par AVK – Plus d’un épisode de vomissement chez l’adulte En l’absence de ces critères, il n’y a pas lieu de réaliser une imagerie cérébrale. 3) Utilisation du scanner cérébral sans injection A. Coût financier Sur le plan financier, la réalisation d’un scanner cérébral non injecté coute 25,27€, selon la cotation des actes de la Classification commune des actes médicaux (CCAM), tarif standard, hors horaires de nuit (10). A cela, s’ajoutent le cout du personnel, du brancardage et des consommables tels que l’archivage, le matériel et l’entretien. B. Problématiques individuelles La réalisation d’une imagerie pour un patient des urgences peut retarder celle d’autres examens, et pour certains plus urgents. Cela peut avoir pour conséquence une aggravation des lésions ou un retard de prise en charge chez d’autres patients (altération du pronostic vital, du pronostic fonctionnel, etc.). 7 De plus, en terme de radioprotection, l’irradiation d’un scanner est de 2 mSv lorsqu’elle est exprimée en dose efficace (11), ce qui équivaut à l’irradiation naturelle annuelle moyenne en France, ou bien de 1013 mGy.cm lorsqu’elle est exprimée en dose moyenne délivrée par organe (12). 4) Impact du scanner sur la prise en charge A. Impact sur la prise en charge initiale Les examens complémentaires n’ont d’intérêt que s’ils apportent une plus-value dans la prise en charge thérapeutique des patients (intervention chirurgicale, modification des traitements médicamenteux, antagonisation de médicaments ACG). Hors, le taux de prise en charge neurochirurgicale semble très faible. En effet, une étude américaine de 2013 a montré que sur 982 patients présentant un TCL sous AAP ou ACG, 60 (6,1%) ont présenté un saignement intracrânien, et seulement 12 ont bénéficié d’une intervention chirurgicale (5). Sur 60 patients, 10 sont décédés durant l’hospitalisation, l’étude n’explicite pas si ces patients avaient tous reçu une intervention spécialisée ou non. B. Impact sur la prise en charge ultérieure Plusieurs études ont été réalisées pour rechercher la prévalence des saignements intracrâniens sur des scanners de contrôle lorsque le scanner initial était normal. Par exemple, une étude réalisée en 2014 retrouvait un risque de saignement entre 0,6 et 6% (13). Autre exemple, une étude française de 2017, réalisée sur 419 patients, retrouvait des lésions retardées chez 1,7% des patients sous ACG, sans qu’aucun n’ait bénéficié d’une prise en charge neurochirurgicale (14). C. Intérêt de l’hospitalisation Devant la faible proportion de saignement (direct ou retardé) et la faible proportion de prise en charge chirurgicale (directe ou retardée), nous nous sommes interrogés sur la pertinence des scanners dans certaines situations. En effet, diminuer le nombre de 8 scanners cérébraux réalisés aux urgences ne semblerait pas avoir d’impact négatif sur le devenir des patients. La surveillance clinique du patient pourrait par ailleurs être réalisée par un tiers au domicile, lorsque celle-ci est possible. Cela pourrait être un élément de réponse aux problématiques de la réalisation du scanner citées précédemment, sans pour autant avoir un impact défavorable sur le patient.
I. INTRODUCTION |