La méthodologie wébérienne face au débat initié par l’école historique de l’économie allemande
En premier lieu, Max Weber est issu de l’école historique allemande. Il fut d’abord un juriste, c’est en science juridique qu’il fut officiellement diplômé en 1889 et habilité à enseigner en 1892. Mais ses études universitaires inclurent aussi des disciplines qu’il maîtrisa parfaitement telles que la théologie et la philosophie, et deux autres qui seront très importantes dans l’édification de sa pensée : l’histoire et l’économie politique. Il était ainsi au croisement des « sciences humaines », d’une hétérodoxie qui caractérisera sa carrière de savant : la science de l’Etat et du droit, l’économie, l’histoire autour desquelles évolueront ses intérêts intellectuels.
Weber s’intéressa de près aux affrontements nés d’une crise de la pensée économique, appelée Methodenstreit, qui opposèrent les tenants d’une tradition historiciste et ceux sous l’influence de Carl Menger qui voulaient affranchir l’économie de l’histoire, et donc plus généralement du contexte, pour en faire une science théorique sous l’égide de lois abstraites qui transcendent les phénomènes sociaux. C’est à l’origine du marginalisme et de l’économie générale qui jusqu’à actuellement ont pu s’imposer d’une manière significative dans les études économiques.
L’influence déterminante de Marx à la source du concept wébérien
S’il est vrai que la pensée de Weber s’oppose sur bien de points de vue à celle de Marx, et que l’on puisse même parler d’analyse critique de la pensée de Marx, l’influence de Marx sur Weber n’en est pas moins indéniable. Ce n’est nullement une hérésie d’affirmer, que non seulement Weber admirait la puissante pensée de Marx, mais à bien des égards leurs interrogations et leurs réflexions présentaient une parenté et une similarité bien notables. Bien que notre analyse se concentrera plus sur l’analyse anthologique de Weber sur «le protestantisme et capitalisme», qui visiblement et indéniablement se heurtera d’une manière générale à la pensée de Marx, l’ensemble des écrits de Weber démontre cette paradoxale proximité qui les lie. D’ailleurs, Weber reconnut que « le monde intellectuel dans lequel nous vivons (de son époque) a été en grande partie formé par Marx et Nietzsche».
Dans ses écrits, Weber ne fut pas très prolixe sur ce qu’il devait aux autres chercheurs contemporains comme Simmel ou prédécesseurs comme Marx, ses références intellectuelles sont plutôt implicites, et c’est pour cette raison que Weber et Marx furent essentiellement opposées sans que des analyses de leurs similarités furent faites. Colliot-Thélène (1990) a fort heureusement abordé leurs points communs. Ceux-ci se rapportent en premier lieu sur leur objet d’étude qui est le
capitalisme devenue la valeur référence de la vie moderne. Mais nous pouvons également voir leur forte proximité, notamment dans l’approche de la production des idées, des représentations et de la conscience. Si Marx estime que celles-ci sont directement et intimement mêlées à l’activité, et au commerce matériel des hommes, et qu’ainsi on part des hommes dans leur activité réel pour aboutir à une analyse crédible. C’est à partir de ce processus de vie réelle qu’on représente les reflets et les échos idéologique de ce processus vital. Weber s’attache aussi à cette science de la réalité.
L’Individualisme wébérien face à l’individualisme méthodologique néoclassique
Cette question qui est évoquée à ce stade de notre analyse, est cruciale, pour éclaircir d’une manière décisive la position de Weber vis-à-vis des théories classiques et néoclassiques, et ainsi sa probable affiliation à l’orthodoxie économique. Son adhésion à certaines théories économiques pour des raisons heuristiques avons-nous dit, complexifie sa place exacte, son positionnement vis-à-vis des néoclassiques.
Actuellement, certains courants d’idées n’hésitent pas à coupler la théorie néoclassique orthodoxe à d’autres pensées économiques plus hétérodoxes, et pour cette raison, il nous faut d’autres éléments de comparaison pour pouvoir sérieusement édifier notre essai d’intégration de Weber dans une pensée économique. Par exemple, l’approche institutionnelle est approchée par des recherches orthodoxes. Un néo-institutionnaliste tel que Williamson66 par exemple est qualifié d’«institutionnaliste néoclassique» donc standard dans le sens où s’il a intégré la question centrale de l’institution ou de la rationalité limitée (que nous verrons plus loin) dans sa réflexion économique, sa théorie des coûts de transaction relève bien de l’orthodoxie. Ce qui rend désormais compatible néoclassique et institutionnalisme (qui est ainsi de moins en moins le domaine réservé des hétérodoxes).
Approche évolutionnaire de Weber dans son interprétation de l’éthique protestante
Il est historiquement indiscutable, que l’esprit du capitalisme a précédé la réforme. Les grandes activités commerciales des villes-Etats italiennes du XVe siècle ont été très probablement précurseur du capitalisme. J.-U. Nef cite des grands financiers de l’époque antérieures à la Réforme, tel Jacques Cœur, qui étaient des capitalistes. Calvin était loin d’avoir imaginé ou conçu la naissance ou le développement du capitalisme, quand il évoque la richesse et les biens matériels comme signe de la grâce de Dieu, préfigurant l’abondance du royaume céleste ; la pauvreté n’en est pas pour autant l’expression de la malédiction.
La manière dont Weber avait mené son analyse du protestantisme nous fait admettre qu’il a intégré une approche évolutionnaire de la société, et de la science sociale. Certes, le débat reste entier à propos de l’appartenance, ou non de Weber à la pensée évolutionnaire, mais nous estimons que soutenir cette appartenance est crédible. La problématique essentielle de cette question est évidemment une éventuelle adhésion à la pensée darwinienne et plus particulièrement au darwinisme social.
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE. Weber : une pensée complexe
PREMIERE PARTIE : HETERODOXIE WEBERIENNE DANS L’HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE: L’INSTITUTIONNALISME ECONOMIQUE
Introduction de la première partie
CHAPITRE 1: WEBER FACE AUX AUTRES COURANTS DE PENSEE ECONOMIQUES
1.1 La méthodologie wébérienne face au débat initié par l’école historique de l’économie allemande
1.2L’influence déterminante de Marx à la source du concept wébérien
1.3 Weber et les classiques
1.3.1 Weber n’est pas contre le capital
1.3.2 Weber et l’offre
1.3.3 Weber et la considération classique de la monnaie
1.3.4 Weber et la théorie de la valeur
1.4 Liens entre Max Weber et les marginalistes de l’école autrichienne
1.5 Weber va au-delà de l’approche moniste
CHAPITRE 2. CONCEPT WEBERIEN FACE AU PARADIGME DE L’HOMO-ŒCONOMICUS
2.1 L’Individualisme wébérien face à l’individualisme méthodologique néoclassique
2.1.1 L’individualisme indiscutable de Weber
2.1.2 L’individualisme institutionnel wébérien dans son analyse du protestantisme
A) Caractéristiques de l’individualisme institutionnel
B) L’individualisme institutionnel : un individu complexe face à sa communauté
C) L’individualisme institutionnel: légitimation par la théorie de la complexité
2.1.3 : Divergence entre Weber et l’individualisme méthodologique néoclassique
2.2 Rationalité wébérienne face à la TCR néoclassique
2.2.1 : La rationalité dans le protestantisme
2.2.2: une affinité marginaliste par la rationalité en finalité
2.2.3: Des liens avec la rationalité limitée d’Herbert Simon
2.2.4: Une rationalité axiologique wébérienne indissociable de l’approche par la valeur
2.2.5: Rapprochement avec la théorie de rationalité ordinaire (TRO) de Boudon
2.2.6:Conclusion : de la rationalité exclusivement finaliste vers un raisonnement en valeur
CHAP 3. DE LA TRANSVERSALITE DE WEBER A SON INTERDISCIPLINARITE: UNE APPROCHE HETERODOXE DE L’ECONOMIE
3.1 L’influence néo-kantienne et de Rickert sur Weber
3.2 Approche évolutionnaire de Weber dans son interprétation de l’éthique protestante
3.3 Rapprochement de Max Weber avec la théorie de la complexité d’Edgar Morin
3.3.1 Leur commun refus des approches unidimensionnelles du savoir
3.3.2 Leur plaidoyer unique pour la transversalité des disciplines
3.3.3 Vers l’interdépendance des approches de la science
3.3.4 Leur approche du métapoint de vue de la réflexion économique
3.3.5 La pertinence de la pensée complexe dans l’analyse économique de Weber
CHAP 4. COMPATIBILTE DU CONCEPT WEBERIEN A L’INSTITUTIONNALISME ECONOMIQUE
4.1 Principes d’économie institutionnelle
4.2 Légitimité empirique de l’approche institutionnelle
4.3 L’approche évolutionnaire de Weber est institutionnelle
4.4 L’approche complexe de Weber est institutionnelle
4.5 L’interdisciplinarité de Weber l’intègre dans l’institutionnalisme économique
4.6 : Weber est un économiste institutionnaliste
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : PERTINENCE PAR L’APPROCHE INSTITUTIONNALISTE DE L’ETHIQUE PROTESTANTE-CAPITALISME DANS LE CONTEXTE MALGACHE
Introduction de la deuxième partie
CHAP 5 : PRESENTATION DU CONCEPT WEBERIEN : INTERPRETATION DE LA PENSEE CALVINISTE
5.1 Le capitalisme selon Weber
5.2 Théorie wébérienne sur l’esprit du capitalisme et éthique protestante
5.2.1 Ascétisme calviniste intramondain : Travail et non-consommation
5.2.2 Les origines extra-économiques (théologiques) de la priorisation du Travail : une analyse hétérodoxe de Weber
5.2.3 Du travail à la rationalité économique
5.2.4 Le désenchantement du monde à la source de la rationalisation
5.3 Réintégration par J. M. Buchanan de l’origine de l’éthique du travail et de l’épargne dans le contexte économique
5.4 Approche institutionnaliste du concept : le modèle transformationnel d’Hédoin
5.5 Protestantisme wébérien : une approche crédible sur la théorie de l’affinité capitaliste du protestantisme
CHAP 6 : APPLICATION DU MODELE TRANSFORMATIONNEL WEBERIEN FACE AU TEMPS MALGACHE
6.1. Cas du temps circulaire dans la pensée malgache
6.1.1 Le temps circulaire dans la pensée malgache
6.1.2 Limites du concept de temps circulaire dans la réflexion par l’économie institutionnelle
6.2 Le temps en spirale dans la pensée malgache
6.2.1 Notion de temps en spirale
6.2.2 Conséquences du temps en spirale dans la pratique économique
6.3 Temps malgache et pratiques économiques selon d’Oyvind Dahl
6.3.1 Présentation du temps malgache selon O. Dahl : l’apport du temps événementiel
6.3.2 Le Temps événementiel et ses conséquences dans la pratique économique et dans l’institutionnalisme économique
6.4 Conclusion : Atténuation et décalage du processus transformationnel d’Hédoin dans le contexte temporel malgache
CHAP 7: APPLICATION DU CONCEPT DE WEBER FACE A L’HOMO MALAGASI (RATIONALITE ET INDIVIDUALISME)
7.1 Rationalité de l’homo malagasi
7.1.1 Une rationalité instrumentale bridée dans un contexte malgache
7.1.2 La rationalité axiologique wébérienne et le monde malgache : rapprochement et divergence
7.1.3 La rationalité malgache: une approche par le magique
7.2 Individualisme Wébérien face à l’individualisme malgache
7.2.1 L’individualisme malgache: un individualisme institutionnel complexe
7.2.2 Individualisme malgache – individualisme wébérien : un rapprochement possible
CHAP 8: LE TRAVAIL DANS LE PROTESTANTISME MALGACHE FACE AU CONCEPT WEBERIEN
8.1La fonction d’utilité néoclassique du travail
8.2 Essai de conceptualisation de la fonction d’utilité du travail protestant
8.2.1 Equation simple de l’utilité du travail protestant
8.2.2 Etude empirique de Robert Barro
8.2.3 Convergences entre Weber et Barro sur la Religion, la croissance et travail
8.3 Le travail dans le protestantisme malgache
8.3.1La motivation au travail dans le protestantisme malgache
8.3.2 Les causes de l’inapplicabilité du concept du travail protestant dans le contexte malgache
A) La théorie de la prédestination évacuée
B) La rationalité magique ou la substituabilité de la pratique religieuse au travail
8.3.3 Le travail : un facteur exogène à l’éthique protestante malgache
CHAP 9: LE PROTESTANTISME MALGACHE : DE L’INSTITUTIONNALISME POLITIQUE A L’INSTITUTIONNALISME ECONOMIQUE
9.1 : Le poids de l’histoire du protestantisme malgache : la prédominance du politique
9.2 : La dépendance du sentier (path dependence) du protestantisme malgach
9.3: Du Protestantisme malgache vers le concept de Weber: le rôle institutionnel central du Travail et de la rationalité
9.3.1 : Le débat sur l’individualisme n’est pas le facteur de blocage principal du développement économique malgache
9.3.2 La nécessité d’un discours en faveur du travail et d’une rationalité moins magique
9.3.3 Importance du prêcheur «économique» de J.M. Buchanan
9.3.4 Problématiques du discours en faveur du travail
A) Le contexte de l’ordre d’Etat naturel : cas de Madagascar (Modèle d’accès limité de North, Wallis, Weingast : NWW)
B) La difficulté d’évolution des institutions informelles malgaches vers la priorisation du travail (application du concept de D. North)
9.4 : L’enjeu de l’économie malgache : vers un objectif de capitalisme triomphant ou une économie substantive?
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
REFERENCES & BIBLIOGRAPHIES