Perspectives à moyen et long termes sur le taux de change de l’euro
Depuis la création de l’Union économique et monétaire (UEM) en janvier 1999, l’euro s’est d’abord déprécié fortement par rapport au dollar (de 1,17 dollar par euro en janvier 1999 à 0,86 en moyenne pour février 2002), puis il s’est apprécié plus vigoureusement encore pour atteindre plus de 1,50 dollar par euro en mars 2008. Bien que ces fluctuations ne soient pas exceptionnelles au regard de l’histoire (voir graphique 1), elles créent des difficultés pour les entreprises de la zone, particulièrement pour celles, telle EADS, dont les marchés sont en dollars tandis que les coûts sont en euros. Néanmoins, toutes les entreprises de la zone euro ne sont pas également exposées aux fluctuations du taux de change bilatéral euro/dollar. Pour tenir compte de la diversité des marchés sur lesquels les entreprises de la zone sont présentes, il faut ainsi considérer un taux de change moyen pondéré vis-à-vis des partenaires étrangers, appelé taux de change effectif. Le graphique 2 montre que le taux de change effectif de l’euro s’est nettement moins apprécié que le taux bilatéral par rapport au dollar, tout simplement parce que d’autres monnaies que l’euro se sont appréciées vis-à-vis de la monnaie américaine au cours de cette période : entre février 2002 et avril 2008, l’euro s’est apprécié de 81 % par rapport au dollar, mais de « seulement » 37 % par rapport aux 42 principaux partenaires de la zone euro. En outre, une inflation légèrement plus faible en zone euro que dans le reste du monde a encore limité l’appréciation en termes réels : 32 % entre février 2002 et avril 2008 Dans ce chapitre, nous n’étudions pas l’impact, sur l’économie de la zone euro, d’une appréciation réelle de 32 % en six ans(1), mais tentons de fournir des explications à cette appréciation. Puis, nous recherchons dans la théorie économique des indications sur ce que pourraient être les valeurs d’équilibre de l’euro à long terme, sachant que la prévision à court terme est un exercice presque impossible. Bien qu’entachés de grosses incertitudes, nos calculs conduisent tous à conclure qu’à la fin de l’année 2007, l’euro et le dollar étaient tous deux surévalués en termes effectifs réels. Le diagnostic est moins clair pour le taux bilatéral euro/dollar. Néanmoins, l’analyse conduit à penser qu’un affaiblissement de l’euro en termes effectifs devrait se faire par rapport à d’autres monnaies que le dollar, notamment par rapport aux monnaies asiatiques. Il nous semble qu’une telle évolution nécessite l’expansion des marchés financiers asiatiques afin que les investisseurs internationaux y trouvent une autre manière de réduire leur exposition au dollar.
L’euro au crible des théories du taux de change
Comme tout prix de marché, le taux de change d’une monnaie flottante se fixe à tout instant de manière à égaliser l’offre et la demande. Qu’est-ce que l’offre et la demande sur le marché des changes ? Pour le comprendre, plaçons-nous dans le cadre euro/dollar. Supposons que tout ce que vend la zone euro au reste du monde (biens, services, actions, obligations, biens immobiliers, comptes bancaires, billets de banque) est libellé en euros, tandis que tout ce que vendent les États-Unis est libellé en dollars(2). Ainsi, un non-résident désirant acquérir un bien, un service ou un titre financier de la zone euro doit se procurer pour cela des euros : il contribue à la demande d’euros. S’il est américain, il cédera en échange des dollars et contribuera ainsi à l’offre de dollars. Dans un monde réduit à ces deux zones économiques, la demande d’euros correspond au côté « ressources » (à gauche) de la balance des paiements de la zone euro et l’offre d’euros au côté « emplois » de cette balance. De même, la demande de dollars correspond au côté « ressources » de la balance des paiements des États-Unis et l’offre de dollars au côté « emplois » (tableau 1). Dans ce cadre très simple à deux pays, le marché de l’euro est équilibré si la demande d’euros (de la part des Américains désirant acquérir des biens, services ou actifs européens) est égale à l’offre d’euros de la part des résidents de la zone euro (désirant acquérir des biens, services ou actifs aux États-Unis). Le marché du dollar est alors équilibré par construction (loi de Walras).Supposons que, ex ante, le déficit extérieur courant américain ne soit pas compensé par des entrées de capitaux en quantité suffisante. Dans le tableau 1, la colonne de gauche de la balance des paiements américaine est trop courte par rapport à la colonne de droite. Il y a donc un excès d’offre de dollars. Symétriquement, la colonne de droite de la balance des paiements de la zone euro est trop courte par rapport à celle de gauche et il y a un excès de demande d’euros. Ce déséquilibre se résout par une dépréciation du dollar par rapport à l’euro qui entraîne : • des gains de compétitivité aux États-Unis par rapport à la zone euro, d’où davantage d’exportations américaines et moins d’importations ; • un renchérissement des actifs européens par rapport aux actifs américains, encourageant les détenteurs de portefeuilles à vendre des titres en euros pour acquérir des titres en dollars. Ces deux effets conduisent à rééquilibrer les deux colonnes dans les deux balances des paiements. Le second est le plus puissant à court terme, pour deux raisons : • les flux bruts de capitaux sont beaucoup plus importants aujourd’hui que les recettes et paiements courants ; • l’effet de la compétitivité sur les volumes importés et exportés n’est pas immédiat, tandis que la dépréciation du dollar réévalue immédiatement les importations américaines, ce qui peut éventuellement dégrader le solde courant américain à court terme (courbe en J). Le tableau 1 montre aussi que tant que les États-Unis présentent un déficit extérieur courant, les entrées de capitaux dans ce pays doivent l’emporter sur les sorties de capitaux. Avec un déficit courant de 738,6 milliards de dollars en 2007(3), les États-Unis ont dû convaincre les investisseurs internationaux d’acquérir un supplément d’actifs en dollars représentant 1,35 % du PIB mondial. Or les épargnants étrangers ont traditionnellement un goût plus modéré pour le dollar que ne l’ont les résidents des États-Unis, en vertu d’un phénomène bien connu de biais national. Ainsi, on s’attend à ce que le transfert de richesse des États-Unis (dont l’épargne nette est négative) vers d’autres pays (dont l’épargne nette est positive) s’accompagne d’une baisse du dollar afin d’amener la demande de dollars au niveau de l’offre (Blanchard, Giavazzi et Sa, 2005).
Les différents concepts de taux de change d’équilibre Qu’est ce qu’un taux de change « d’équilibre » ?
Le concept peut paraître trivial puisqu’à tout instant, le niveau du taux de change correspond à un équilibre de marché : le taux de change observé à chaque instant est un taux de change d’équilibre. On entend en général par taux de change « d’équilibre » le taux de change qui équilibrerait le marché en l’absence de ce « bruit » qui fait varier le taux de change à court terme suite aux multiples informations divulguées par les agences de presse et à d’éventuels phénomènes spéculatifs. On ne se situe donc pas à court terme, mais à moyen ou long terme. Pour les pays développés, le taux de change d’équilibre de très long terme est le taux de change dit de « parité de pouvoir d’achat » (PPA) : c’est le taux de change nominal théorique qui égaliserait le niveau des prix dans deux pays ou régions du monde. À très long terme, il n’y a aucune raison pour que le niveau des prix diffère entre des pays intégrés économiquement. En effet, lorsqu’un bien est échangeable sur des marchés concurrentiels, son prix devrait être identique pour tous les pays en vertu de la loi du prix unique. Pour les biens et services non échangeables, les prix devraient s’égaliser lorsque la productivité devient la même dans les différents pays. Dans les années quatre-vingt, les travaux empiriques concluaient généralement à la non-vérification de la PPA. Cette conclusion reposait sur des analyses en séries temporelles d’un certain nombre de taux de change « clés » sur la période 1970-1980. Depuis les années quatre-vingt-dix, la plus grande disponibilité des données et le recours à l’économétrie des données de panel ont conduit à reconsidérer ce résultat. Il est désormais admis qu’il existe une force de rappel du taux de change réel vers une valeur stable de long terme au sein des économies avancées. Cependant, le processus de convergence vers la PPA est lent(4), de sorte que la PPA ne constitue pas une référence véritablement opérationnelle pour la politique économique. Par exemple, la PPA est muette sur le problème des déséquilibres mondiaux et la manière de les résorber.