PERSPECTIVE METHODOLOGIQUE POUR UNE ETUDE DE L’AFFICHE

PERSPECTIVE METHODOLOGIQUE POUR UNE ETUDE DE L’AFFICHE

Paulo COELHO dans L’Alchimiste affirme : « Dans la vie, tout est signe » 84 . Cette affirmation rend compte du fait qu’il y a une signification latente dans ce que nous pouvons voir, toucher, entendre ou sentir. Le projet sémiotique est de rendre intelligible toutes ces significations. La sémiotique se caractérise à la fois par son domaine d’investigation et par l’approche particulière qui fonde ses analyses. Pour ce qui est de son domaine d’investigation, la sémiotique se propose d’analyser tous les langages (verbaux et non verbaux) et toutes les pratiques sociales porteuses de significations. En effet, le champ de réflexion de la sémiotique peut apparaître bien large. Les pratiques sociales, en tant que manières de faire individuelles ou collectives, révèlent plusieurs dimensions du contexte social de l’individu ou de la collectivité. Ces dimensions intéressent les disciplines tels l’histoire, la sociologie, la psychologie, le marketing etc. La sémiotique semble « empiéter » sur des espaces de réflexions dévolues traditionnellement à ces disciplines. De ce fait, il est important de préciser à l’entame de ce chapitre, qui aborde les perspectives théoriques que nous nous proposons d’utiliser pour l’analyse de notre corpus, en quoi la sémiotique est légitime vis-à-vis de ces autres approches. Pour Jean-Marie FLOCH : …la sémiotique ne cherche pas à rendre compte des réalités mathématiques, physiques, idéelles ou autres. Par contre, le contexte dans lequel s’inscrivent ou apparaissent les objets de sens – le fameux « contexte de communication » – sera pris en considération… à partir du moment où il est lui-même abordé comme un objet de sens, comme un « texte ».Ainsi, la sémiotique est une réflexion qui attache une importance particulière à la relation entre contexte (ou entour), pratique et sens. Il s’agit pour le sémioticien d’identifier des pratiques ou des objets, de postuler que ceux-ci font sens et de mettre au jour les structures sémio-narrative qui fondent ces objets comme textes. Deux principes guident la démarche sémiotique et fondent sa légitimité : l’intelligibilité du monde du sens et la recherche du système de relations qui sous-tend ce monde : « Tout d’abord, pour la sémiotique, le monde du sens est intelligible. La sémiotique ne partage donc pas le goût de l’ineffable qui caractérise certaines esthétiques ou certaines critiques. » 86 A propos de la recherche du système de sens qui sous-tend ce monde, FLOCH affirme : « Autre principe : la sémiotique recherche le système de relation que forment les invariants de ces productions et de ces saisies à partir de l’analyse de ces variables que sont les signes. » 87 La notion de signe est capitale dans l’analyse sémiotique88. Cependant, le signe n’est pas l’objet de la sémiotique. Les signes ne constituent donc pas l’objet même de la sémiotique : ce sont des unités de surface à partir desquelles il s’agit de découvrir le jeu des significations sous-jacentes, « l’invariance dans la variation » pour reprendre la formule de R. Jakobson. Comme on appelle forme le niveau ou se situent ces invariants, la sémiotique peut être considérée – en ce sens – comme « une discipline de la forme » (…) cette discipline de la forme signifiante se reconnaît toujours à son objectif premier : rechercher le système de relation qui fait que les signes peuvent signifier.89 De ce fait, la sémiotique peut être divisée en différents niveaux d’études : la sémiotique générale, la sémiotique particulière et la sémiotique appliquée. Jean-Marie KLINKENBERG nous présente dans son ouvrage, Précis de sémiotique générale, ces trois niveaux.

L’ÉCOLE DE PARIS ET LES ÉTUDES SUR L’AFFICHAGE ET L’AFFICHE

 Les travaux de SAUSSURE et de HJELMSLEV ont inspiré plusieurs cercles de recherches. Parmi ces cercles de recherches nous pouvons citer l’« Ecole de Paris ». Algirdas Julien GREIMAS (1917-1992) est la figure iconique de cette école. Ses travaux sur la sémiologie générale portent sur de nombreux systèmes de significations. Ainsi, l’affiche et plus tard l’affichage seront des textes qui capteront l’attention des chercheurs de cette école.

LA FIGURE DE GREIMAS

Les bases de la réflexion de GREIMAS sont contenues dans ses ouvrages : Sémantique structurale (1966), Du sens (1970), Du sens II (1983). A l’origine, il fonde à Paris le « Groupe de Recherche Sémio-linguistiques » (GRSL). Il s’agit d’un groupe de chercheurs qui se réunit autour de GREIMAS pour réfléchir sur des questions de sémiotiques. Eric LANDOWSKI raconte comment le (GRSL) devint l’Ecole de Paris. Pour réaliser son projet, Greimas s’était entouré d’un club assez convivial d’une dizaine de chercheurs venus d’un peu partout : c’était le « Groupe de recherches sémio-linguistiques » (GRSL), une petite équipe parmi tant d’autres à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. – Ce n’était pas suffisant non plus : trop confidentiel, trop amateur, pas assez prestigieux. On inventa donc ce titre ronflant : « l’École de Paris ». Greimas n’avait pourtant jamais rêvé de devenir maître d’école. Mais on ne lui avait pas demandé son avis.93 La base théorique des travaux de GREIMAS repose sur des concepts que l’on retrouve chez les grands théoriciens SAUSSURE et HJELMSLEV. Il s’agit des concepts : langue / parole, signifiant / signifié, système / procès. GREIMAS partage avec ces théoriciens l’idée que tout système de signification est de nature relationnelle. Le « carré sémiotique » et le concept d ’ « isotopie » permettent de comprendre une telle thèse. Le carré sémiotique permet d’analyser un texte à travers la dynamique des oppositions sémantiques que l’on peut y voir. La notion d’opposition est primordiale dans toutes les grammaires. Selon le principe d’opposition, une unité n’a de valeur descriptible que si elle s’oppose à une autre unité. Ainsi, la notion de « petitesse » ne peut être appréhendée que dans la relation qu’elle entretient avec son contraire « grandeur ». (…) Si on généralise ces remarques, le principe d’opposition peut s’énoncer de la manière suivante : la valeur d’un élément dépend des relations qu’il entretient avec les autres éléments (qu’ils soient physiques ou conceptuels).94 Traditionnellement les classes analytiques découlant d’une opposition donnée se constituaient de deux termes. Les travaux de GREIMAS et RASTIER distinguent plusieurs termes (entre quatre et dix termes). Sur la base du carré sémiotique de Louis HEBERT95 montrant l’opposition (homme/femme) nous donnons l’exemple cidessous : – Masculin / féminin : « homme » / « femme » – Non féminin / non masculin : « hommasse », « macha »/ « efféminé » – Masculin et féminin/Non-féminin et non masculin : « androgyne », « hermaphrodite »/ « ange » – Masculin et non féminin/féminin et non-masculin : « vrai homme », « macho »/ « femme ultra-féminine.

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DES ORIGINES : LES ANALYSES ICONO-TEXTUELLES

 L’autre grand nom des recherches sémiotiques françaises est Roland BARTHES. Dans son article intitulé, Rhétorique de l’image, il montre qu’il y a du texte dans un message visuel. Cet article, premier du genre, demeure un modèle pour l’étude des affiches publicitaires. En effet, à travers l’étude de la publicité des pâtes de la marque PANZANI, BARTHES explique que le message visuel peut se lire comme un texte. Ainsi, la publicité des pâtes PANZANI dévoile trois types de signes dans cette affiche : les signes linguistiques, les signes iconiques, les signes plastiques. L’analyse de BARTHES consiste à identifier ces signes dans l’image et à relever leurs différentes significations. Sans vouloir inférer trop tôt de l’image à la sémiologie générale, on peut cependant risquer que le monde du sens total est déchiré d’une façon interne (structurale) entre le système comme culture et le syntagme comme nature : les œuvres des communications de masse conjuguent toutes, à travers des diverses et diversement réussies, la fascination d’une nature qui est celle du récit, de la diégèse, du 97 J. Courtés, Analyse sémiotique du discours, op. cit., p. 193. 57 syntagme, et de l’intelligibilité d’une culture, réfugiées dans quelques symboles discontinus, que les hommes « déclinent » à l’abri de leur parole vivante.98 L’étude des signes apparait, de ce fait, comme l’étude des significations mises en récit dans nos cultures. D’ailleurs, son ouvrage Mythologies99 explorait quelques années avant cet article, un ensemble d’objets « mythiques ». Il s’agit d’objets qui sont enracinés dans nos cultures, et qui, en quelque sorte, acquièrent par la force de leurs significations un statut de mythe. Plusieurs articles aborderont la question de l’image et de ces significations. La revue « communication » consacre sa collection XV à l’ « Analyse de l’image ». Jacques DURAND et Georges PENINOU dans leurs articles respectifs, montrent la dimension rhétorique de l’image publicitaire. Pour PENINOU, l’affiche publicitaire manifeste différentes fonctions de langage qui sont : la fonction référentielle, la fonction poétique, la fonction conative et la fonction poétique. Ces différentes fonctions sont tirées des travaux de Roman JAKOBSON100 sur les fonctions du langage. Ainsi, il affirme que : … elle se déploierait dans un espace circonscrit par l’objet (toute publicité étant publicité de quelque chose est nécessairement référentielle, le message (toute publicité faisant effort sur ses signes pour leur faire produire effet, assume nécessairement la fonction poétique) et le destinataire (toute publicité étant tournée vers le public visé, met l’accent sur la fonction conative) : l’image de publicitétype, adossé à une technique artistique sans laquelle elle ne serait pas (en tant que manifeste d’essence poétique) se déplacera à l’intérieur de cet arc, le manifeste équilibrant le mieux les fonctions se situant en quelque sorte au point de rencontre de la droite bissectrice avec l’arc.101 A la suite de ce constat, PENINOU retrouve dans ces différentes fonctions de langage plusieurs figures de style. Jacques DURAND identifie dans différentes affiches publicitaires toutes les figures de style. Il est convaincu qu’image publicitaire et figure rhétorique sont une même réalité. Il envisage une rhétorique formelle qui participerait à la création publicitaire. C’est dire que l’écriture du message publicitaire deviendrait un acte automatique généré par un ordinateur. Dans la création publicitaire règne actuellement le mythe de « l’inspiration », de « l’idée ». En fait les idées les plus originales, les annonces les plus audacieuses apparaissent comme la transposition de figures de rhétorique répertoriées depuis de nombreux siècles. Cela s’explique puisque la rhétorique est en somme le répertoire des différentes manières par lesquelles on peut être « original ». Il est donc probable que le processus créatif pourrait être facilité et enrichi si les créateurs prenaient conscience d’un système qu’ils utilisent intuitivement.102 Un ouvrage majeur dans la réflexion sur l’affiche est celui de Jean-Marie FLOCH, Sémiotique, marketing et communication : sous les signes103 . Dans cet ouvrage FLOCH montre comment l’approche sémiotique convient à l’étude d’objet divers : les voitures, le métro, la banque, l’hypermarché, la crise de foie et des états dépressifs. Jean-Marie FLOCH engage la sémiotique, dans cet ouvrage, au cœur des pratiques marketing et de communication. Fervent disciple de GREIMAS, FLOCH considère que la formule : « HORS DU TEXTE, POINT DE SALUT », chère à son maitre, peut être considérée comme la devise des sémioticiens. Cette vigoureuse formule si souvent répétée par A. J. GREIMAS pourrait être la devise des sémioticiens. Elle indique ou rappelle assez que la sémiotique est d’abord une relation concrète au sens, une attention portée à tout ce qui a du sens ; ce peut être un texte bien sûr mais ce peut être n’importe quelle autre manifestation signifiante : un logo, un film, un comportement… Cette formule dit encore que les « objets de sens » – comme on dit – sont les seules réalités dont s’occupe et veut s’occuper la sémiotique. Ils constituent le point de départ et le point d’ancrage de sa pratique : la sémiotique ne cherche pas à rendre compte des réalités mathématiques, physiques, idéelles ou autres. Par contre, le contexte dans lequel s’inscrivent ou apparaissent les objets de sens – le fameux « contexte de communication » – sera pris en considération… à partir du moment où il est luimême abordé comme un objet de sens, comme un « texte ». 

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