Performances laser de nouveaux cristaux grenats, borates et silicates
Un grenat pour concurrencer le YAG : le GGG dopé à l’ytterbium
Le cristal le plus connu dans le monde des lasers est sans conteste le YAG (Y2Al5O12), un acronyme pour Yttrium Aluminium Garnet (grenat d’aluminium et d’yttrium). Grand nombre de systèmes laser commerciaux, pompés par lampe ou par diode, sont aujourd’hui fabriqués à base de YAG dopé au néodyme [Laser Focus World annual report 2002]. Le YAG est également, et de loin, le cristal dopé à l’ytterbium le plus étudié. Cela tient à trois propriétés remarquables : 1) il a de grandes sections efficaces d’absorption et d’émission (relativement aux autres…) ; 2) il a d’excellentes propriétés thermomécaniques, en particulier une grande conductivité thermique (10.7 W.m-1.K-1 pour un cristal non dopé) ; 3) il est possible de le faire croître par la méthode de Czochralski, un procédé qui permet d’obtenir des monocristaux de grande taille et d’excellente qualité optique. Ces propriétés sont plus généralement celles des matériaux de la famille des grenats, dont plus de vingt éléments ont été synthétisés et caractérisés [Slack 71]. Le GGG (Gd3Ga5O12), grenat de gadolinium et de gallium, est un de ceux-là. C’est un cristal connu depuis des décennies, disponible commercialement (non dopé) auprès de nombreux fournisseurs. Il a beaucoup été utilisé comme substrat pour des dispositifs magnétiques ou supraconducteurs, avant d’être identifié comme une matrice hôte intéressante pour des ions laser actifs. Des études spectroscopiques et des tests laser ont été rapportés dans des cristaux de GGG dopés au néodyme [Geusic 64, Yoshida 88], à l’erbium [Dinermann 92], ou au chrome et au calcium [Carrig 96]. Le Nd:GGG, en particulier, a été reconnu comme un matériau laser très attractif en raison de sa capacité à être synthétisé en monocristaux de grandes dimensions (jusqu’à 15 cm de diamètre), avec une excellente qualité optique. Des lasers à base de GGG dopé à l’ytterbium ont été rapportés (à notre connaissance) deux fois dans la littérature [Belovolov 96, Shimokozono 96]. Dans ces expériences, un laser au saphir dopé au titane venait pomper soit un matériau massif [Belovolov 96], soit un dispositif de type guide d’onde intégré [Shimokozono 96]. Les puissances obtenues en sortie ne dépassaient pas quelques milliwatts dans les deux cas. Nous avons étudié, pour la première fois à notre connaissance, les performances laser de l’Yb:GGG en pompage par diode. Nous commençons par une description des propriétés de ce cristal, suivies de l’examen de ses performances laser. Nous terminerons par une comparaison avec l’Yb:YAG, effectuée dans les mêmes conditions. Le crist al d’Yb:GGG que nous avons utilisé a été élaboré par le LPCML de Lyon. III.1.1. Propriétés optiques et thermiques du cristal de GGG Nous présentons dans ce paragraphe une revue bibliographique de quelques propriétés optiques et thermiques du cristal de GGG. Nous indiquons les paramètres pour un cristal non dopé, à l’exception de la conductivité thermique, qui sera également donnée pour des cristaux dopés. Le GGG est un cristal cubique, comme le YAG : il est donc optiquement isotrope. Wood et Nassau [Wood 90] ont mesuré l’indice de réfraction sur la gamme de transparence du GGG, qui 44 Première partie – Chapitre III : Performances laser de nouveaux cristaux grenats, borates et silicates. s’étend de 380 nm à 6 microns, et en ont déduit les coefficients de Sellmeier. L’indice est donné par l’expression suivante, en fonction de la longueur d’onde : ∑ = − − = 3 1 2 2 2 2 1 i i i L A n λ λ (III.1.) avec λ : longueur d’onde en µm (0.38 < λ < 6 µm) ; A1 = 1.7727 ; A2 = 0.9767 ; A3 = 4.9668 ; L1 = 0.1567 ; L2 = 0.01375 ; L3 = 22.715. L’indice de réfraction moyen du GGG vers 1 µm vaut donc 1.94. Pour les problèmes liés à la montée en puissance, il est important de connaître un certain nombre de paramètres thermiques et thermo-optiques, au premier rang desquels on trouve le dn/dT, la chaleur massique cp , et la conductivité thermique Kc . Wood et Nassau [Wood 90] donnent une relation empirique reliant le dn/dT mesuré à la longueur d’onde : / C . . dT dn ⎟× ° ⎠ ⎞ ⎜ ⎝ ⎛ = + −5 3 10 0 06 1 69 λ λ en µm (0.38 < λ < 6 µm) ; Ce coefficient vaut 1.75×10-5 °C-1 vers 1 µm, ce qui est supérieur (bien que du même ordre de grandeur), à la valeur mesurée par Wynne et al. dans le YAG (0.9×10-5 °C-1) [Wynne 99]. J. Ahn [Ahn 82] s’est intéressé aux propriétés thermiques du GGG, et a en particulier effectué des mesures d’émissivité dans l’infrarouge. Il donne également la chaleur massique à différentes températures, une donnée utile pour les lasers de puissance fonctionnant dans le régime impulsionnel (voir seconde partie, § I.2.). Sa valeur à 324 K est 415 J.kg-1.K-1. Pour les lasers continus, c’est la conductivité thermique qui est le paramètre essentiel. À notre connaissance, deux valeurs différentes sont disponibles dans la littérature. La première est due à Slack et al. [Slack 71] qui rapportent une conductivité de 8 W.m-1.K-1 pour le GGG à 300 K. La seconde est due à Ahn [Ahn 82] qui donne 12 W.m-1.K-1, d’après des mesures de diffusivité thermique effectuées à 1400 K. Mais il est bien connu que la conductivité thermique d’un cristal décroît de façon significative avec le taux de dopage (on trouvera une étude approfondie de cet aspect dans [Gaumé 02]). Nous présentons à la figure III.1.1. des mesures de conductivité thermique effectuées par R. Gaumé à l’ESPCI grâce à une technique de réflectométrie photothermique [Fournier 01]. L’échantillon de GGG dopé à 5.7% en ions ytterbium (utilisé dans les tests présentés plus loin) a été comparé à un échantillon non dopé. La conductivité a également été mesurée dans plusieurs échantillons de YAG (dopés à 0, 3, 6, 8, et 15 % en ions Ytterbium). Il apparaît à la figure III.1.1. que la conductivité thermique du GGG non dopé est de 8 W.m-1.K-1, alors qu’elle vaut 7.5 W.m-1.K-1 dans l’échantillon dopé. En revanche, la conductivité thermique du YAG décroît beaucoup plus rapidement avec le taux de dopage. Ce comportement a été modélisé par R. Gaumé [Gaumé 02] : l’ajustement théorique est également représenté sur la même figure. On peut expliquer physiquement ce phénomène de la façon suivante : dans le GGG l’ion Yb3+ vient substituer un ion Gd3+ dont la masse est comparable. La propagation des phonons dans le cristal se retrouve alors peu affectée. Par contre, dans le YAG où c’est un ion Y3+ (de masse plus faible) qui est substitué, les ions Yb3+ agissent comme des centres diffusants pour les phonons de la matrice, ce qui a pour effet de rendre moins « aisée » leur propagation, et de réduire la conductivité thermique.
Propriétés du GGG dopé à l’ytterbium
Le GGG fond de manière congruente à une température relativement basse, 1725 °C, ce qui est inférieur d’environ 200°C à la température de fusion du YAG. La croissance a été effectuée par la méthode de Czochralski au LPCML de Lyon, impliqué de longue date dans le développement de cristaux grenats avec des dopages en ions Cr3+, V4+, Cr3+-Tm3+, Yb3+ – Tm3+, et Ho3+. Les conditions expérimentales de croissance sont détaillées dans [Chénais 02]. Le dopage est de 7.2 1020 ions/cm3 , ce qui représente 5.7 at.%. Les spectres d’absorption et d’émission, mesurés à température ambiante, sont présentés à la figure III.1.2. Ils sont très similaires à ceux du YAG, exposés à la figure III.1.3., à une notable différence près : le pic d’émission se situe à une longueur d’onde plus basse dans l’Yb:GGG (λpic = 1025 nm contre λpic = 1031 nm pour l’Yb:YAG). Le spectre d’émission est aussi large que celui du YAG (∆λ = 12 nm à mi hauteur autour de λpic ).