Performance des équations du risque cardio-vasculaire par rapport à l’échographie vasculaire dans l’évaluation de ce risque au cours de deux affections systémiques
Evaluation du risque cardio-vasculaire
Dans la population générale Il est possible d’estimer le risque coronarien et cérébro-vasculaire absolu chez chaque patient (qui représente pour un patient, la probabilité de présenter un évènement cardiovasculaire sur une période de temps), grâce à des équations établies sur des populations, la plus utilisée étant celle de Framingham. Les variables incluses dans l’équation de prédiction du risque d’accident coronarien prennent en compte le sexe, l’âge, la valeur de la PA systolique, la valeur du cholestérol total et du HDL cholestérol, la consommation de tabac (figure 1). Ces différents paramètres sont pondérés par des coefficients traduisant leur impact sur le risque [94]. L’utilisation de ce score dans l’évaluation du RCV présente toutefois des limites. La première difficulté concerne la validité de la prédiction. Ainsi, dans certaines conditions, les scores peuvent être très imprécis: la valeur prédictive est considérablement moins fiable chez les sujets jeunes et pour des niveaux de risque faible. Les facteurs qui ne sont pas pris en compte dans ce modèle, tels que les antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire, le type d’obésité, de nouveaux facteurs de risque (taux de fibrinogène plasmatique, certains paramètres génétiques, le taux de CRP…) peuvent expliquer la sur- ou la sousestimation du risque dans certains cas. Une autre difficulté concerne la validité dans le temps et la validité géographique de la prédiction du risque. La validité temporelle doit être analysée en raison des modifications avec le temps du profil de risque d’une population. La validité géographique porte sur l’applicabilité de cette mesure à différentes populations selon leurs caractéristiques propres. Ainsi, malgré que le risque de maladie coronarienne soit inferieur en France à celui constaté aux Etats-Unis ou dans le nord de l’Europe, les risques relatifs observés pour les FDRCV classiques demeurent comparables [79]. 19 La figure ci-après illustre les différents éléments du score de Framingham. Fig1-a : score Framingham du risque cardio-vasculaire : modèle applicable aux hommes 20 Fig-b : score Framingham du risque cardio-vasculaire : modèle applicable aux femmes Figure 1 : score Framingham du risque cardio-vasculaire [81]. 21 Plus récemment, un modèle européen a été développé à partir de la grande base de données du projet SCORE. Les diagrammes SCORE existent pour les pays européens à haut risque et à faible risque. Ils estiment le risque d’un décès de cause cardio-vasculaire (et pas seulement coronaire) sur dix ans, et une calibration en est possible pour un pays particulier, pour autant que les statistiques nationales de mortalité et la prévalence des grands facteurs de risque soient connues pour ce pays (Figure 2) [17]. La notion de risque global est suffisamment pertinente pour avoir été intégrée dans les dernières recommandations pour la pratique clinique soit de manière implicite (encouragement à traiter les patients à plus haut risque pour un même niveau tensionnel) voire de manière explicite. Dans le contexte de la prévention primaire, un haut niveau de risque cardio-vasculaire à 10 ans, justifie une stratégie thérapeutique agressive et le recours à des traitements pharmacologiques [17]. Les différents paramètres de ces équations sont pondérés, permettant ainsi l’obtention d’un score en pourcentage définissant le risque cardiovasculaire à 10 ans. Ce risque sera considéré comme faible, modéré ou sévère en fonction du pourcentage et de l’équation utilisée. L’équation SCORE est représentée dans la figure suivante. 22 Figure 2 : score SCORE du risque cardio-vasculaire [13]. Le score calcique (SC) est un score qui quantifie le calcium présent dans les artères coronaires. Il repose sur le rationnel qu’il n’existe de calcifications dans les coronaires que sur les plaques d’athérome. Ainsi, en quantifiant les calcifications coronaires, on peut avoir accès indirectement à la quantité d’athérome présent dans les coronaires. Le SC se réalise grâce à un scanner cardiaque sans injection de produit de contraste. Un logiciel dédié permet de calculer le score qui va de 0 (pas de calcium) à quelques milliers. Plusieurs études prospectives réalisées dans de grandes cohortes ont montré que plus le SCC est élevé, plus le RCV est important. À l’inverse, s’il est nul, le RCV est faible quelque soit la pathologie sous-jacente. On parle de SC élevé s’il est>400 et intermédiaire entre 100 et 400. Ce score doit être interprété en fonction de l’âge et de l’ethnie. Le SC a aussi montré qu’il améliorait la prédiction des évènements cardio-vasculaires en plus des équations de risque habituelles et qu’il était 23 meilleur que beaucoup d’autres marqueurs de risque et même meilleur que le bilan lipidique. Par ailleurs, le SC est un outil puissant permettant de reclasser les patients à risque intermédiaire et pour lesquels la stratégie thérapeutique n’est pas claire vers une catégorie supérieure ou inférieure. L’inconvénient principal est l’irradiation (même si elle est faible). Ce score est utile en prévention primaire [77]. En 2013, l’American College of Cardiology et l’American Heart Association (ACC / AHA) ont développé un outil d’évaluation du RCV pour la population générale. Cet outil intègre des variables supplémentaires à ceux de Framingham comme la race et l’existence d’un diabète. Toutefois, la présence d’une maladie rhumatologique n’influence pas le calcul du RCV selon ACC / AHA 2013
Au cours de deux maladies systémiques : lupus systémique et polyarthrite rhumatoïde
Lupus systémique
Les stratégies de prévention du RCV en population générale reposent actuellement sur l’estimation du RCV individuel, à l’aide d’algorithmes tels que le score de Framingham ou l’indice Européen SCORE, et sur une intervention graduée en fonction du risque estimé [7]. Le score de Framingham sous-estime le RCV au cours du LS. Le LS augmente le risque vasculaire au moins 4 fois par rapport à les prévisions basées sur le score de Framingham selon une étude canadienne [28]. Dans ce sens, Urowitz et al ont tenté de mieux déterminer le RCV au cours du LS en utilisant une forme modifiée du score de Framingham par la multiplication par un facteur 1.5, 2, 3 ou 4. Ainsi, ils ont objectivé que la multiplication par un facteur 2 offrait la meilleure sensibilité et spécificité dans la prédiction du RCV [89]. Comme discuté plus haut, les outils validés en population générale ne sont pas adaptés à l’estimation du RCV au cours du LS, car ils sous-estiment le risque réel [7]. Plusieurs alternatives sont alors envisageables: 24 − utiliser les scores déjà validés en population générale sans facteur correctif, ce qui ne permet de dépister que les patients à très haut RCV; − utiliser lesscores validés en population générale et considérer le LS comme un facteur de RCV supplémentaire, à l’instar de ce qui a été proposé par les rhumatologues français dans la PR [72]; − Utiliser un coefficient multiplicateur (×2) pour le poids de chaque item qui constitue le score de Framingham, ce qui permet de doubler la sensibilité de ce score au prix d’une réduction modérée de sa spécificité [90]. − En ce qui concerne le score Européen SCORE, une recommandation de l’EULAR pour la PR propose d’utiliser un coefficient multiplicateur (×1,5) à appliquer au risque d’événement à 10 ans, mais cette attitude issue d’un consensus d’expert n’a pas été évaluée au cours du LS et ne peut donc être recommandée [69]. − Enfin, il est possible d’utiliser un score spécifique du RCV du LS, dérivé de l’observation d’une cohorte multicentrique de patients, toutefois, ce score n’est pas validé et que sa pertinence clinique n’est donc pas formellement établie [70]. À côté des approches cherchant à prédire le RCV individuel à l’aide de scores, certains auteurs ont proposé d’utiliser la quantification de la dysfonction endothéliale et de la rigidité artérielle comme marqueurs de RCV au cours du LS [12]. La standardisation des techniques permettant l’étude des biomarqueurs endothéliaux reste cependant un pré requis majeur avant que ceux-ci ne puissent être utilisés pour prédire le RCV à l’échelon individuel au cours du LS [7]. La figure ci-dessous résume les différents FDRCV identifiés au cours du LS. 25 Figure 3 : facteurs de risque cardio-vasculaires identifiés au cours du lupus systémique [7]. Il existe une très forte corrélation entre l’athérosclérose coronaire et la mesure échographique de l’épaisseur intima-média carotidienne (EIMc) [49]. Dans la population générale, l’épaisseur intima-média et la plaque carotidienne sont des marqueurs pronostiques indépendants du risque de survenue d’événements cardio-vasculaires [76]. La prévalence de la maladie coronarienne symptomatique dans le LS est de 8 % à 16 % alors que celle de l’atteinte coronarienne infraclinique est de 38 % chez les adultes et de 16% chez les enfants. Cette différence a pu être détectée grâce aux méthodes ultrasonographiques non invasives qui permettent de détecter une athérosclérose chez 28-40% des patients lupiques et qui constituent donc dans ce sens un outil objectif et performant pour préjuger du risque vasculaire des patients [97]. L’âge plus avancé, la longue durée d’évolution de la maladie, la dose cumulative des corticoïdes, la présence d’une néphropathie mais aussi l’hypertension artérielle, le tabagisme et la présence d’un syndrome métabolique ont été mis en évidence comme étant des facteurs de risque de survenue de maladies cardio-vasculaires chez les patients lupiques [75]. La CRP, la fibrinogénémie, le taux d’IL6 et des molécules CD40/CD40L et les 26 anticorps anti-Ox-LDL ont été décrits comme étant des marqueurs potentiels du RCV. Cependant, le LS avec un syndrome des anticorps anti phospholipides (SAPL) secondaire semble être la situation où l’athérosclérose était la plus prononcée. De fait, des concentrations élevées en molécules d’adhésion et en TNFα ont été corrélées à une athérosclérose coronarienne plus importante chez les malades lupiques [75]. Il a été proposé donc de considérer le LS comme FDRCV à part entière dans l’évaluation globale du RCV. Dans le LS, un algorithme spécifique tenant compte de la durée d’évolution, des traitements utilisés, de l’existence ou non d’un SAPL et/ou de manifestations viscérales sévères, est nécessaire [81]. Dans le tableau I, nous résumons les différents facteurs cliniques, biologiques et radiologiques utilisés et potentiels à prendre en considération dans l’évaluation du RCV au cours des connectivites. Tableau I : outils d’évaluation du risque cardiovasculaire du LS et de la PR [81]. Éléments non propres à la maladie Éléments potentiels propres à la maladie 1. Facteurs de risque cardio-vasculaire − Diabète − Hypertension artérielle − Hypercholestérolémie − Tabagisme − Âge − Sexe − Antécédent cardiovasculaire 1. Lupus systémique − Durée de la maladie − Dose cumulative des corticoïdes − Présence d’une néphropathie − CRP − Fibrinogène − Antiphospholipides − IL-6 − CD40/CD40L* − Anticorps anti-Ox-LDL* − TNF2. Syndrome métabolique 3. Sédentarité 4. Épaisseur intima-média carotidienne 2. Polyarthrite rhumatoïde − Durée d’évolution de la maladie − Dose cumulative des corticoïdes − Atteintes extra-articulaires − Facteur rhumatoïde − Anticorps anti-CCP − HLA-DRB1 27 L’inflammation, induite par les apolipoprotéines et les phospholipides oxydés dans la paroi artérielle, contribue à la fois au développement de l’athérosclérose et à la calcification vasculaire. Le stress oxydatif peut être un lien clé entre l’inflammation et la calcification vasculaire [34]. Ainsi, le SC pourrait être particulièrement intéressant dans la prédiction du RCV des maladies systémiques. Les calcifications artérielles, y compris les calcifications aortiques et la calcification des artères coronaires, sont plus fréquents chez les patients atteints de LS par rapport aux témoins appariés selon l’âge et le sexe. Même les premiers stades de calcifications artérielles et calcification des artères coronaires peuvent être associés à une augmentation de la morbidité cardio-vasculaire et cérébrovasculaire et de la mortalité des patients lupiques. Par conséquent, le contrôle des facteurs de risque peut prévenir la genèse ou la progression des calcifications artérielles et calcification des artères coronaires et diminuer la morbidité et la mortalité vasculaires dans le LS [40]. Une étude française portant sur l’évaluation du RCV 147 patients suivis pour LS a trouvé que 18 % des patients avaient un SC non nul : 11 % entre 1 et 99 ; 3,4 % entre 100 et 399 et 3,4 % ≥ 400. La présence d’un SC positif était significativement associée à l’âge [OR (IC95 %) à 1,34 (1,16–1,55) par année supplémentaire], au tabagisme [OR (IC95 %) à 9,48 (1,79–50)] et à la présence d’une néphropathie lupique [OR (IC95 %) à 8,43 (1,10–65)] [92]. Une étude suggère que le score de risque ACC / AHA de 2013 peut classer davantage de patients atteints de LS et de PR comme présentant un risque élevé par rapport au score de Framingham, ceci même après ajustement de ce score par la multiplication par un facteur 1,5. Le score de risque ACC / AHA pourrait mieux refléter l’exposition à une inflammation systémique
Polyarthrite rhumatoïde
La PR est un FDRCV à part entière et les équations du risque cardio-vasculaire sous-estiment ce risque. En effet, lorsque les taux d’événements cardio- 28 vasculaires majeurs (IDM, AVC, mortalité cardio-vasculaire) attendus en appliquant le score de risque vasculaire de Framingham sont comparés aux taux réellement observés dans des populations de PR exposées, ce dernier est deux à trois fois plus élevé que ce qui est attendu. Ce point est également souligné par la comparaison des RCV associés à diabète de type 2 qui est de 2,3 versus 3,1 pour la PR lorsqu’on ajuste les données sur l’âge, sur le sexe et sur les deux et de 2,7 lorsque l’ajustement inclut les facteurs de risque traditionnels [14]. Le sur risque cardio-vasculaire est d’autant plus élevé que les patients ont une maladie rhumatismale inflammatoire mal contrôlée (inflammation biologique, vascularite, atteinte pulmonaire ou autre atteintes extra articulaires) et que les patients ont une activité immunologique forte (anti CCP ou facteurs rhumatoïdes positifs) [14]. L’EULAR recommande de considérer la PR comme une pathologie à haut risque cardio-vasculaire (comme le diabète) nécessitant un contrôle strict de la PR ellemême, une évaluation du RCV de façon annuelle et une estimation du risque majorée d’un facteur 1, 5 quand la PR présente deux des trois critères suivants : évolution depuis plus de 10 ans, positivité du facteur rhumatoïde ou des anti CCP, association à des manifestations extra articulaires [11]. Le tableau suivant désigne les recommandations de l’Europeen Ligue Again Rheumatism (EULAR) pour la prise en charge du RCV au cours de la PR.
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