Perception audiovisuelle de la parole dans le bruit chez les adultes implantés cochléaires

Perception audiovisuelle de la parole dans le bruit chez les adultes implantés cochléaires

INTRODUCTION

Un individu normo-entendant perçoit la parole grâce à deux modalités sensorielles : l’audition et la vision. Ces deux paramètres sont ajustés selon les conditions environnementales d’écoute (Finney, Fine et Dobkins, 2001). L’effet Mc Gurk, mis en évidence en 1976, a démontré qu’il s’agissait bien d’une intégration et non d’une facilitation, et que les stimuli visuels influençaient grandement les stimuli auditifs. La surdité est un handicap sensoriel qui a des conséquences plus ou moins importantes dans plusieurs domaines selon son degré de sévérité. Au-delà du déficit sensoriel, les atteintes peuvent être linguistiques, psychologiques, sociales et relationnelles. La plasticité cérébrale des personnes devenues sourdes entraîne des réorganisations corticales en favorisant les zones préservées. Chez ces personnes, on observe un traitement des informations visuelles dans les zones initialement prévues au traitement auditif (Strophal et al., 2015). Après implantation cochléaire, les régions impliquées dans le traitement auditif récupèrent leur fonction auditive proportionnellement au gain récupéré par l’implant cochléaire (Barone et al., 2016). Les situations de communication ont souvent lieu dans des environnements complexes, soit dans des milieux bruyants, soit au milieu d’autres conversations représentant des sources sonores concurrentes. Le signal sonore perçu est dégradé et la compréhension du message se retrouve affaiblie. Les personnes développant une surdité sévère à profonde compensent le manque d’information auditive en développant des compétences en lecture labiale plus élevée que les personnes normo-entendantes (Rouger et al., 2007). Les mouvements des lèvres, et plus généralement l’ensemble des mouvements de la face, permettent de délivrer des informations importantes à la compréhension de la parole et ce d’autant plus quand le signal est dégradé (Dumont et Calbour, 2002). Les capacités en lecture labiale varient d’un individu à l’autre et dépendent de nombreux facteurs tels que l’accès au lexique (Lyxell et Rönnberg, 1991), les capacités cognitives, le sexe (Strelnikov et al., 2009), l’âge (TyeMurray, Summers et Spehar, 2007) et le port de prothèses auditives (Pimperton et al., 2017). Pour les personnes malentendantes, l’effort cognitif mis en jeu dans les situations d’écoute complexe est plus important que pour les personnes normo-entendantes (Puschmann et al., 2019). Le bruit environnant vient interférer avec le signal auditif et l’intégration visuelle du message verbal reçu. Le sujet se retrouve en situation de doubletâche correspondant au traitement audiovisuel du signal principal et au traitement du bruit délivré par l’environnement. 2 Les personnes présentant une surdité sévère à profonde peuvent bénéficier d’un implant cochléaire lorsque le bénéfice prothétique devient insuffisant, et qu’elles obtiennent une discrimination de parole inférieure ou égale à 50% lors des tests d’audiométrie vocale avec la liste de mots de Fournier à 60 dB en champ libre, avec la meilleure correction auditive. L’implant cochléaire délivre une information auditive différente de celle perçue par l’oreille humaine : le signal n’est plus acoustique mais électrique. Ainsi, les personnes implantées doivent réapprendre à associer les informations visuelles perçues au signal auditif reçu afin de redéfinir leurs représentations phonologiques internes (Strelnikov et al., 2009). De plus, les situations d’écoute et d’intégration du message auditif sont d’autant plus coûteuses dans les milieux bruyants pour les personnes bénéficiant d’un implant cochléaire. Les bénéfices de l’implant cochléaire varient d’un individu à l’autre (Lazard et al., 2010) et dépendent de plusieurs facteurs (Blamey et al., 2013). Enfin, si l’implant cochléaire permet d’améliorer la qualité de vie (Mosnier et al., 2015), on peut penser que les habitudes et aptitudes sociales d’une personne implantée cochléaire peuvent influencer ses capacités d’intégration de la parole : plus une personne a d’interactions sociales, plus les capacités d’intégration audiovisuelle de la parole seront sollicitées et développées. Dans cette étude, nous allons étudier l’impact du bruit sur les capacités d’intégration visuelle de la parole avant et après implantation cochléaire. Nous chercherons à savoir si des facteurs tels que les capacités en attention divisée ou les habiletés sociales peuvent influencer les capacités d’intégration audiovisuelle de la parole. Afin d’analyser ces habiletés sociales, cette étude a également pour objectif d’élaborer une échelle des interactions sociales pour les adultes atteints de surdité. 

MATÉRIEL ET MÉTHODES 

Population – La population initiale est composée de 27 patients francophones (14 femmes et 13 hommes) présentant une surdité acquise sévère à profonde et étant candidats à l’implant cochléaire. Aucun de ces patients ne présentait de troubles neurologiques, visuels ou psychiatriques. Ils ont tous été évalués lors d’un bilan pré-implantation et ont donné leur consentement pour l’utilisation rétrospective de leurs données (autorisation CNIL n°1048360). 3 Treize patients n’ont pas été implantés car :  Un délai de réflexion sur le projet d’implantation cochléaire était nécessaire (n=6).  L’implantation cochléaire n’était pas indiquée (n=5).  Ils ont été implantés après mai 2018 et étaient donc hors délai pour l’étude (n=2). Sur les quatorze patients implantés, un patient n’a pas été testé après implantation cochléaire car il ne portait pas son processeur et un autre patient a annulé son rendez-vous. Douze patients ont donc été testés 9 mois après leur implantation cochléaire : dix ont été implantés unilatéralement (six à droite et quatre à gauche) et deux ont été implantés bilatéralement. 

Méthode 

Lors des bilans, les capacités attentionnelles et les capacités de compréhension de la parole ont été évaluées avec ou sans lecture labiale (LL), dans le bruit et dans le silence. Les tests se sont déroulés dans une cabine insonorisée et les tests d’intégration de la parole ont été proposés via un support vidéo sur une tablette (Microsoft Surface) afin qu’ils soient réalisés dans des conditions identiques pour tous les patients. Le son a été amplifié par des enceintes Logitec X-140. Étude des capacités attentionnelles Les capacités attentionnelles ont été testées avec le test du d2 (Annexe A). La consigne du test a été écrite afin que tous les patients puissent bien comprendre la tâche à faire malgré la gêne auditive. Le patient devait barrer les « d » entourés de deux traits en moins de 5 minutes (20 secondes par ligne). La feuille de test est composée de 14 lignes avec chacune 47 items dont de nombreux distracteurs ressemblants fortement à l’item cible. Trois scores différents sont évalués : l’indice de performance quantitative (GZ) c’est-à-dire le nombre total d’items traités, le nombre d’erreurs (F) et l’indice de performance qualitative (F%) qui rapporte le nombre d’erreurs par rapport au nombre d’items traités. Plus le score en performance qualitative est faible, meilleures sont les performances en attention visuelle. Étude de la compréhension de la parole Le patient doit répéter des mots et des phrases dans différentes conditions afin de tester ses capacités d’intégration verbale audiovisuelle avec et sans lecture labiale (LL):  Deux listes de mots de Lafon en audition seule/en audition + LL/en LL seule. Les listes cochléaires de mots de Lafon sont des listes de 17 mots triphonémiques. Ces listes sont basées sur un échantillon de phonèmes présentant une diversité assez importante de transition entre deux phonèmes. Lafon dit d’ailleurs que les phonèmes des mots sont choisis « pour permettre un grand nombre d’erreurs ».  Une liste de phrases MBAA en audition seule/audition+LL/ LL seule. Les listes de phrases MBAA sont des listes de 15 phrases, cotées d’une part en pourcentage de mots et d’autre part en pourcentage de phrases. Une liste de phrases MBAA dans le bruit avec un rapport signal/bruit de 5dB (SNR5) en audition seule/audition + LL/ LL seule. Le bruit utilisé est de type « cocktail party ». Afin de reproduire les 5 conditions les plus écologique possibles, le bruit sort par quatre enceintes différentes et est donc multidirectionnel (devant, derrière, à droite, à gauche). Dans la condition audition seule, les patients ne peuvent s’appuyer que sur le signal auditif, l’écran de la tablette étant masqué afin de supprimer le support de lecture labiale. Dans la condition LL seule, le son de la tablette est coupé et les patients ne peuvent s’appuyer que sur l’image visuelle fournie par la LL pour décoder le mot. Enfin dans la condition audition + LL, les patients reçoivent un message auditif et visuel (son + image de la tablette). Les mêmes tests ont été proposés aux patients neuf mois après implantation cochléaire. Afin de quantifier l’apport de la lecture labiale en modalité audiovisuelle, nous avons calculé pour chaque sujet la différence entre les performances en audition+lecture labiale et les performances en audition seule, soit (A+LL) – A. Etude des interactions sociales Afin d’étudier les interactions sociales du patient, nous lui avons proposé une échelle élaborée pour cette étude permettant de classer de A à F la richesse de ses interactions sociales sur une période hebdomadaire (Annexe B)

Analyse statistique des données 

Les statistiques descriptives et comparatives ont été effectuées avec le logiciel JMP (SAS Institute Inc.). Les valeurs sont exprimées par des moyennes ± esm [min-max]. Les comparaisons ont été réalisées par des tests pairés de Wilcoxon et les corrélations ont été réalisées par un test de Spearman pour l’attention visuelle et une analyse de la variance pour les interactions sociales. Un p <0,05 est considéré comme significatif. 

Table des matières

INTRODUCTION
MATÉRIEL ET MÉTHODES
RÉSULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

projet fin d'etude

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