Pensées philosophiques et chorégraphiques de la grâce,entrelacs et écarts

Pensées philosophiques et chorégraphiques de la grâce, entrelacs et écarts

Grâce et pensée de l’art, de l’Antiquité au XIXe siècle

genèse et métamorphoses d’une notion esthétique. Omniprésente dans la pensée philosophique et artistique occidentale, polymorphe et labile, mais sans cesse résurgente, la grâce a pourtant aussi beaucoup vécu « en marge de [la philosophie], ou dans ses marges1 », c’est-à-dire en étant rarement élevée au rang de concept fondateur du discours philosophique, et en connaissant plusieurs périodes de méfiance ou de rejet. De quoi est-elle porteuse, qui puisse expliquer ce double mouvement d’attraction et de mise à distance, visible aujourd’hui encore dans le cas de la danse classique, où la grâce semble avoir trouvé l’un de ses refuges ?

Si cette question nécessite d’entreprendre une navigation au sein de ce qu’Édouard Pommier nomme l’« archipel de la grâce2 », celle-ci doit prendre en compte que la notion s’est considérablement métamorphosée, s’inscrivant au fil de son histoire dans des conceptions du monde parfois radicalement hétérogènes et venant répondre à des problèmes bien distincts, tantôt d’ordre esthétique, théologique ou politique. Une récurrence semble cependant exister ; bien souvent, la grâce a à voir avec le paradoxe, en particulier dans le domaine artistique :

Notion stérile pour l’art ; jeu gratuit de l’esprit ; recherche d’un secret qui ne sera révélé qu’au dernier chapitre de l’histoire du monde ; aspiration à une perfection des formes qui se confondrait avec l’indétermination de l’expression : la grâce reste signe de contradiction3 . Plusieurs angles d’approche de cette notion seraient possibles, mais nous l’aborderons ici depuis ses contours esthétiques, c’est-à-dire d’une part depuis les caractéristiques esthétiques qui lui sont associées, d’autre part depuis les problèmes artistiques qu’elle a permis de formuler, en prêtant une attention toute particulière aux textes philosophiques qui ont cherché à penser la grâce.

Peu de recherches ont été consacrées à une histoire de la grâce, qui nous semble cependant nécessaire à une meilleure détermination de cette notion. Si Édouard Pommier a commencé d’entreprendre une généalogie de la notion esthétique de grâce dans son article « La notion de la grâce chez Winckelmann », sur lequel nous nous appuierons, nous chercherons à approfondir ses travaux, notamment quant aux liens entre pensée philosophique de la grâce et danse.

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Dans l’Antiquité

De la charis à la gratia : diffraction d’une notion. a. Dans la Grèce archaïque : une notion majeure. C’est chez Homère et Hésiode qu’on trouverait parmi les premières occurrences de la charis grecque5 , dont la traduction latine gratia a donné en français la notion de grâce. Dans ses fragments, Empédocle l’oppose à « l’intolérable nécessité », semblant sceller les liens de la charis à la liberté.

Mais chez Homère ou Hésiode, la charis de l’époque archaïque (que le dix-neuvième siècle allemand idéalisera sous la forme d’une insouciance naturelle, à jamais perdue, qui irradiait le monde grec) a une signification complexe, dont les différentes strates se rejoignent dans tout un système de représentation du monde et de la société.

À première vue, elle se décline en deux sens distincts. D’une part, la charis est de l’ordre de l’ornement, ou de la parure chatoyante, qui rehausse les apparences et a le pouvoir de rendre aimable celui ou celle sur qui elle est versée ; c’est la ceinture d’Aphrodite, dans le chant XIV de l’Iliade, ou le chatoiement de Pandore dans Les travaux et les jours. La charis embellit, transforme (elle relève ainsi d’une technique), et rayonne d’un éclat lumineux intermittent, de l’ordre de l’épiphanie du visible.

Chez Homère par exemple, « la charis naît de l’effet de surprise produit par les objets chryséléphantins aux surfaces chatoyantes, qui donnent l’illusion du vivant et de l’animé6 . » Rayonnement de la belle apparence se différenciant selon l’être qu’elle revêt, la charis peut se conjuguer à la séduction et à la fécondité chez Aphrodite, tout comme se donner sous des formes nobles, ou guerrières ; elle peut aussi bien se répandre sur des hommes que sur des femmes, sur des animaux ou des objets, mais elle irradie tout particulièrement des corps jeunes, qui ont atteint « la fleur de l’âge ».

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