L’incubation [McCafferty, 1993]
Une contrainte supplémentaire pour la thermorégulation
Peu de temps avant la ponte, la femelle perd les plumes d’une partie de son abdomen ventral correspondant à la plaque incubatrice dont la vascularisation augmente simultanément. Pendant l’incubation, on a ainsi mesuré la température abdominale à 38,0 °C chez le mâle contre 39,3 °C chez la femelle (Howell, 1964). Durant la couvaison, la femelle transmet sa chaleur aux œufs par l’intermédiaire de cette plaque gardée à leur contact. Elle les maintient ainsi à la température d’incubation optimale qui est la température permettant le développement de l’embryon ; elle s’élève à 34,2 °C chez la chouette effraie.
Une température d’incubation trop basse provoque un retard de développement de l’embryon. Si elle passe en dessous de 24-27 °C, les embryons ne se développent pas (Durant, 2000). Une exposition prolongée à de telles températures entraîne leur mort.
Lorsque Ta diminue, le transfert de chaleur de la femelle à la couvée augmente, et ceci d’autant plus que les œufs sont nombreux. A cela s’ajoute le fait que l’incubation se déroule souvent à une Ta inférieure à Tc inf. C’est pourquoi, une fois de plus, l’abri représente un réel avantage en termes de thermorégulation pour la chouette effraie (Hamilton, 1985a).
Ainsi l’incubation consiste en un transfert de chaleur de la femelle aux œufs alors même que les basses températures ambiantes l’obligent à une dépense permanente pour sa propre thermorégulation.
Stratégie énergétique mise en place pour limiter les pertes de chaleur
Le coût énergétique de l’incubation a été étudié chez la chouette effraie par McCafferty (1993). La température intérieure du nichoir qu’il étudiait a varié de 12,6 °C à 22,5 °C avec une moyenne de 16,1 °C pendant l’incubation. La température du sol du nichoir a, quant à elle, varié de 12,4 à 21,7 °C avec une moyenne de 15,7 °C pendant cette même période.
Le maintien des œufs à 34,2 °C nécessitait de 25,5 à 37,9 kJ/jour avec une moyenne de 33,5 kJ/jour. Les embryons ont produit, pendant l’incubation, une chaleur métabolique faible mais non négligeable : de 1 à 10 jours après la ponte, ils produisaient individuellement de 0,7 à 1,3 kJ/jour et de 15 à 27 jours après la ponte, de 6,2 à 6,4 kJ/jour. On observe sur la figure 53 que la chaleur produite par les œufs des espèces précoces est supérieure à celle produite par les œufs des espèces altriciales (ceci peut être relié à la taille des œufs). Ce handicap est compensé par le nombre d’œufs plus élevé que compte une nichée d’espèce altriciale comme la chouette effraie.
Figure 53 : évolutions des taux métaboliques d’embryons d’espèces d’oiseaux nidicoles et nidifuges pendant l’incubation (Blem dans Sturkie, 2000).
Pendant la période de reproduction, le tissu adipeux sous cutané est réparti de manière assez homogène chez la femelle non reproductrice tandis qu’il est plus développé au niveau de l’abdomen ventral chez la reproductrice. Ceci représente une isolation supplémentaire qui limite les pertes de chaleur vers le sol. Par ailleurs, la plaque incubatrice de la femelle est séparée du sol par les œufs qui possèdent une certaine résistance au transfert de chaleur ; les œufs étant eux-mêmes isolés du sol par les restes de pelotes et de vieilles proies qui le tapissent. Tout ceci contribue à limiter les pertes de chaleur de la femelle en incubation.
Mesure des pertes de chaleur de la femelle pendant l’incubation
La perte de chaleur totale de la femelle pendant l’incubation varie de 213 à 262 kJ/jour avec une moyenne de 243 kJ/jour se répartissant en 33 % par la surface dorsale, 28,8 % par la surface ventrale, 23,6 % par la plaque incubatrice et 14,6 % par évaporation. Si l’on compare une femelle en incubation et une femelle non reproductrice à la même période, on ne trouve pas de différence significative entre leurs pertes de chaleur et leurs taux métaboliques dans cette étude. En effet, la femelle non reproductrice doit chasser et donc s’exposer à un climat moins favorable que celui offert par le nid, engendrant une dépense énergétique pour la thermorégulation liée au climat qui compense l’énergie que la femelle en incubation dépense pour maintenir ses œufs à bonne température. Pourtant Dawson et Whittow (dans Sturkie, 2000) concluent que les oiseaux en incubation utilisent 25 à 45 % d’énergie en plus. De la même manière, Monaghan et Nager (1997) ont évalué cette augmentation liée à l’investissement dans la couvaison à 20-30 %. Les deux auteurs évoquent les oiseaux en général. On peut alors penser que le fait que la demande énergétique de la femelle en incubation ne soit pas augmentée est une particularité de la chouette effraie parmi les oiseaux ou bien qu’elle est due au partage bien défini des tâches au sein du couple.
Ainsi, la chouette effraie semble bien adaptée à des périodes d’incubation où Ta est souvent inférieure à Tc inf en partie grâce au partage des tâches. Voila encore une preuve de l’efficacité de la reproduction chez cette espèce.
Une piste sur le contrôle hormonal de la température interne [Klein et al., 2006]
L’implication des hormones dans la thermorégulation chez les oiseaux n’est pas complètement élucidée. Les hormones thyroïdiennes semblent jouer un rôle important.
Etat des connaissances sur les hormones thyroïdiennes chez la chouette effraie
On sait que la concentration plasmatique de T4 (thyroxine) est maximale chez les poussins âgés de moins de 50 jours et est beaucoup plus faible chez les adultes. Il a également été démontré que cette concentration plasmatique est significativement plus forte chez les mâles que chez les femelles. En revanche, il n’existe pas de différence significative entre les concentrations en T3 (tri-iodothyronine) des mâles, des femelles et des jeunes adultes (Klein, 2009).
Par ailleurs, on sait que le profil des hormones thyroïdiennes joue un rôle déterminant dans le type de développement du poussin : altricial ou précoce.
On sait aussi que chez les adultes la TRH (Thyroid Releasing Hormone), en plus de stimuler la production endocrine de la thyroïde, active l’axe somatique provoquant une libération de GH (Growth Hormone) à l’origine d’une augmentation de la conversion hépatique de T4 en T3.
Implication des hormones thyroïdiennes dans le contrôle de la thermorégulation chez la chouette effraie
Klein et al. (2006) ont étudié la relation entre la Ta et la fonction thyroïdienne de la chouette effraie durant la saison mettant le plus en jeu les mécanismes de thermorégulation : l’hiver.
Les sujets choisis pour l’étude étaient des chouettes effraies nées dans la nature, trouvées blessées, soignées mais dont les séquelles empêchaient la remise en liberté.
Les chouettes, en cage à l’extérieur avant l’expérience, ont été transférées dans des cages aux dimensions similaires à l’intérieur de bâtiments. Elles étaient nourries à volonté. Les chercheurs leur ont laissé deux jours avant de débuter l’expérience, pour qu’elles s’habituent à ces nouvelles conditions de détention. Deux groupes ont été constitués. Le premier groupe était exposé au froid (environ 10°C) pendant cinq jours, le second était exposé à une température ambiante proche de Tc inf (environ 20°C) pendant le même laps de temps avant que ne soient réalisées les analyses sanguines.
On constate que le poids des chouettes diminue régulièrement de manière assez similaire dans les deux groupes. Parallèlement, la concentration plasmatique de T4 chute. En effet, la nutrition et la condition corporelle peuvent affecter cette concentration. Par conséquent, les mesures de T4 effectuées dans cette expérience sont influencées par les variations individuelles de poids, ce qui les rend ininterprétables.
On constate que la concentration plasmatique basale de T3 est plus faible dans le groupe maintenu à 20 °C que dans le groupe exposé au froid. Ceci contredit l’hypothèse formulée par Thouzeau et al. (1999a) selon laquelle la diminution du métabolisme de repos pendant le jeûne à 5 °C pourrait être due à une diminution de T3. L’injection de TRH stimule la concentration de T3 dans les deux groupes, mais de manière beaucoup plus marquée pour les chouettes exposées au chaud (figure 54). Ainsi, les chouettes effraies hébergées à 10 °C montraient une diminution significative de la sensibilité à la stimulation par la TRH. Ceci peut être lié au fait que leur concentration basale en T3 était plus importante, induisant un rétrocontrôle négatif à l’origine de la plus faible augmentation après le test de stimulation.