Participer à la Foire du livre de Francfort… par amour du livre
L’invitation de la France à Francfort, un cadeau empoisonné
Le rôle des manifestations culturelles
ensibiliser, partager et transmettre Selon une définition du Ministère de la culture, un événement culturel est un rendez-vous, ponctuel ou régulier, entre des artistes et un public cible. Il « matérialise par sa programmation dans Participer à la Foire du livre de Francfort… par amour du livre 25 un espace et un temps particuliers un projet culturel et artistique en lien avec un territoire, dans l’objectif de développer ce dernier, et de mobiliser un public. »33. Il peut prendre la forme d’un festival, d’un salon, d’une foire, d’une rencontre, d’une exposition intra-muros ou hors les murs, selon les caractéristiques qui lui sont rattachées.
Toujours selon les données recensées par le Ministère de la Culture, on distingue à ce jour cinq critères : 1) Un critère artistique, qui prend en compte le degré de créativité et de nouveauté mis en avant par l’événement, 2) Un critère de public : qui est ciblé par l’événement, selon sa tranche d’âge, sa catégorie socioprofessionnelle, son territoire d’origine… 3) Le critère de lieu : l’événement s’inscrit dans un territoire, plus ou moins large, et plus ou moins concentré, 4) Le critère de temps : une soirée, une journée, un week-end ou une année, tous les évènements n’ont pas la même temporalité, 5) Le critère de rareté : indépendamment de sa durée, on prend en compte son caractère exceptionnel.
Toutefois, si chaque événement est tout à fait unique, il a souvent vocation à s’inscrire durablement dans le temps en devenant régulier. Malgré les différences qui distinguent chaque événement et en permettent la typologie, on constate qu’ils ont tous vocation à sensibiliser leur segment cible à des pratiques culturelles. D’une part, en mettant en avant le travail des artistes de la branche concernée, qui vivent de leur visibilité sur le marché, et qui donnent à voir une manière personnelle de travailler.
D’autre part, en jouant sur la dimension fédératrice des évènements culturels, comme c’est le cas en particulier pour les festivals : souvent une ambiance de fête, de détente, un rendez-vous annuel qui rassemble convertis et nouvelles recrues, une même énergie qui permet de vibrer à l’unisson34. Cette synergie permet le partage de codes, à l’instant T tout d’abord, puis par la suite, au-delà des critères d’âge, de sexe, de catégorie socioprofessionnelle.
La question centrale de notre étude est de savoir si, dans le cadre de la Foire du livre de Francfort, cette mission de transmission ne se doublerait pas d’une mission de « redressement » de la culture. D’un côté, on perçoit la préparation à la foire comme un préambule festif, fédérateur à l’échelle de l’Europe, consacré à l’immense constellation que composent les acteurs et créateurs du livre : écrivains, éditeurs, agents littéraires, diffuseurs, traducteurs, illustrateurs…
L’impératif de l’efficacité
La participation de la France à la Foire du livre de Francfort est une décision dont on a auparavant longuement pesé le pour et le contre. L’invitation a d’abord été lancée par l’organisateur de l’événement, Juergen Boos, en 2011. Il s’agissait d’une faveur faite au pays des Lumières, dont la dernière mise à l’honneur remonte à l’année fortement symbolique, pour l’Allemagne, de 1989, dans le but de mettre en exergue l’importance des relations franco-allemandes dans un contexte de fragilité économique et politique européenne :
« Nous sommes, la France et l’Allemagne, les deux plus grandes nations éditrices et du livre, nous sommes en permanence confrontés au défi américain […]. Beaucoup de points communs nous lient. »36. Une déclaration qui dévoile le souci grandissant d’une union puissante face au géant américain. Toutefois, si l’urgence de cette alliance a été assénée maintes fois dans la presse, ce n’est que près de quatre ans après la proposition émanant de Francfort que Manuel Valls, premier ministre d’alors, l’a acceptée, à savoir en juin 2015.
Or, l’officialisation de cette décision finale n’a pas rencontré le succès escompté. Les éditeurs se sont dit mécontents de ce que nombre d’entre eux ont qualifié de « coup de folie » : « Nous n’avons plus d’argent. La France est devenu un petit pays, il faut l’accepter. ».37 La majorité de ces éditeurs avaient en outre déjà réservé leurs stands sur la Buchmesse dans le cadre l’édition 2017 et n’ont pas vu d’un bon œil l’aumône faite par l’État pour récupérer des fonds.
L’épineuse question du financement est au cœur de toutes les hésitations. Participer à la Foire du livre est en effet une opportunité en or pour le pays invité de mettre en avant sa littérature et de jouir d’une couverture médiatique considérable. Cependant, cette participation n’est pas gratuite, loin s’en faut. Elle doit être au cœur d’un programme de communication efficace qui exige un budget conséquent.
Ce dernier a d’abord été établi à 4 millions d’euros, puis réévalué et fixé à 9 millions d’euros, reposant aux trois quarts sur un financement public, réparti entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Culture. Anne Tallineau, directrice générale déléguée de l’Institut français, attire l’attention sur le fait qu’il s’agisse, de la part des pouvoirs publics, d’un « effort extrêmement important par les temps que nous connaissons, qui montrent d’ailleurs [leur] préoccupation pour le monde de l’édition ».
Le reste est assuré par des mécènes privés et des partenariats avec divers acteurs, impliqués ou non dans le franco-allemands : ainsi, l’Office francoallemand pour la Jeunesse, Arte, mais aussi Vinci, Michelin ou Sanofi. Les collectivités régionales participent également, en proportion de leur implication dans la vie littéraire, telles que la NouvelleAquitaine ou la ville d’Angoulême (cf. annexe 1).