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Diversité cryptique et domaine pélagique
Découverte de la diversité cryptique
Estimer et décrire la biodiversité est fondamental pour pouvoir comprendre le fonctionnement des écosystèmes et donc pour permettre une protection et/ou gestion efficace des environnements naturels. Ces estimations nécessitent l’identification d’espèces valides (Bickford et al., 2006). Avant le développement, dans les années 1990, des techniques d’amplification de l’ADN permettant le séquençage et/ou le génotypage de nombreux individus et donc la caractérisation d’espèces au sens génétique, la taxonomie de la majorité des organismes se basait sur le concept de morpho-espèce. Une des premières définitions de l’espèce au sens biologique se réfère au critère d’interfécondité et de fécondité et viabilité de la descendance (Mayr, 1995 in de Quierroz, 2005). Cette définition, couramment employée (de Quierroz, 2005), est rarement remise en cause, même si quelques rares groupes, principalement chez les plantes, posent problème (Coyne et Orr, 2004). Cependant, utiliser le critère d’interfécondité implique de pouvoir observer des cycles complets de reproduction des organismes. Cette observation peut parfois se faire en milieu naturel (pour les organismes de grande taille notamment) mais implique le plus souvent de pouvoir cultiver/élever les organismes en laboratoire. Au final, le critère d’interfécondité n’est pas testable pour la majorité des organismes, soit du fait de l’impossibilité de les maintenir en laboratoire, soit du fait qu’ils n’ont pas de reproduction sexuée. La biologie moléculaire a permis de décrire des génotypes et de s’affranchir du critère d’interfécondité et du concept de morpho-espèce. De nouveaux critères, basés sur les reconstitutions phylogénétiques, ont été proposés, pour définir des espèces, alors dites espèces génétiques (Coyne et Orr, 2004 ; Bickford et al., 2006) et pouvant être comparées aux morpho-espèces décrites par les taxonomistes. De nombreuses études (Fig. 1) ont mis en évidence une diversité cryptique c’est-à-dire que la diversité génétique de nombreux organismes est bien supérieure à leur diversité morphologique. Ainsi, les morpho-espèces correspondent à un regroupement de plusieurs espèces, identiques du point de vue de la morphologie, appelées espèces cryptiques (Knowlton 1993 ; Norris, 2000 ; Fenchel, 2005 ; Bickford et al., 2006). Ces espèces cryptiques peuvent toutefois présenter de légères différences qui étaient jusqu’alors interprétées comme des variantes écophénotypiques ou comme du polymorphisme ; elles sont donc alors appelées espèces pseudo-cryptiques (par exemple, Saez et al., 2003 ; Morard et al., 2011 ). Figure 1 : nombre de publications référencées dans le Science Citation Index contenant le terme « espèce cryptique » dans le titre et/ou le résumé La diversité cryptique concerne tous les groupes (par ex. amphibiens, arthropodes, champignons, bactéries, poissons, voir Bickford et al., 2006) et tous les milieux (des pôles aux forêts tropicales en passant par les océans et les rivières). La découverte des espèces cryptiques a permis de mettre en évidence une biodiversité insoupçonnée et a de nombreuses implications pour la compréhension et la préservation des écosystèmes (Bickford et al., 2006). Le domaine pélagique Jusqu’à la fin du 20ième siècle, le domaine pélagique était perçu comme une vaste étendue d’eau, plutôt stable et homogène, structurée principalement par le gradient latitudinal de température (par exemple, Emery et Meincke, 1986). Depuis, il est apparu que l’océan ouvert est beaucoup plus hétérogène. Les habitats sont nombreux et variés du fait des variations de température, de salinité et des nutriments au sein de la colonne d’eau ; de plus cette stratification varie au cours des saisons (par exemple, Fairbanks et Weibe, 1980 ; Platt et Sathyendranath, 1999 ; Hess, 2004). Ainsi, les hautes latitudes sont caractérisées par de faibles températures et des eaux non stratifiées ; les latitudes moyennes présentent une instabilité liée à une saisonnalité marquée détruisant la stratification de la partie supérieure de 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 Amplification de l’ADN par PCR (Polymerase Chain Reaction) Année Nombre de publications la colonne d’eau ; les régions équatoriales possèdent une stratification marquée, notamment une thermocline nette et peu profonde (Rutherford et al., 1999). Le milieu pélagique reste néanmoins un domaine vaste et il est difficile de distinguer des limites nettes entre ses différentes parties. Certains auteurs ont proposé les fronts océaniques comme possibles barrières, principalement pour le plancton (Rutherford et al., 1999 ; Boltovskoy et al., 2003), mais ces fronts semblent loin d’être infranchissables comme le montre le maintien d’un flux génique entre organismes planctoniques (foraminifères notamment) arctiques et antarctiques (Norris et de Vargas, 2000). Diversité cryptique en domaine pélagique En 1994, Briggs estimait la diversité marine totale à 200 000 taxons (organismes pluricellulaires), soit une diversité au moins 50 fois inférieure à celle du domaine terrestre qui ne représente pourtant que 30% de la surface du globe. Cette faible diversité a été interprétée comme résultant du fort potentiel de dispersion des organismes dans le milieu pélagique, ce qui rend plus difficile la spéciation, en particulier si l’allopatrie en est la modalité principale (Norris, 2000). Des études génétiques ont été réalisées sur des organismes pélagiques très divers : bactéries (par ex. Moore et al., 1998), phytoplancton (par ex. Kooistra et al., 2008 ), zooplancton (par ex. Laakmann et al., 2009 ; Bachy et al., 2013) ou ostéichtyens (par ex, Miya et Nishida, 1997). Toutes montrent que la diversité cryptique est la règle chez les organismes pélagiques. Cette découverte a bouleversé la perception du domaine pélagique en montrant que la diversité des océans ouverts avait été largement sous-estimée. Pour expliquer une telle diversité, il a fallu repenser les écosystèmes pélagiques comme un ensemble de nombreuses niches écologiques abritant des espèces spécialisées (Laakmann et al., 2009 ; Levine et HillRisLambers, 2009) ; les mécanismes de la spéciation sympatrique permettent d’expliquer l’apparition d’espèces en l’absence de barrière physique et seraient donc particulièrement à même de rendre compte de la spéciation en domaine pélagique (Norris, 2000; De Aguiar et al., 2009 ). La découverte de nombreuses espèces cryptiques a bien sûr eu d’importantes répercussions : elle montre en particulier que l’inventaire de la biodiversité marine est encore très incomplet et elle a des conséquences sur les mesures de conservation des espèces et de leurs habitats, celles-ci étant plus spécialisées qu’initialement envisagé (Bickford et al., 2006).
Les foraminifères planctoniques
Les morpho-espèces de foraminifères planctoniques Les foraminifères planctoniques sont des organismes unicellulaires du super-groupe des Rhizaria (Adl et al., 2005). Omniprésents en milieu marin, ils occupent des niches écologiques très diverses et font partie des proies du métazooplancton (Hemleben et al., 1989). Ces « protozoaires » pélagiques sécrètent une coquille calcitique (aussi appelée test) submillimétrique (<500 μm), faisant des foraminifères planctoniques un contributeur important dans le cycle du carbone (Schiebel, 2002). Leur registre fossile s’étend du Jurassique inférieur à l’Actuel (Hart et al., 2003). Les très vastes répartitions biogéographiques des morpho-espèces de foraminifères planctoniques permettent des corrélations biostratigraphiques à l’échelle mondiale et font donc des foraminifères planctoniques d’excellents marqueurs pour reconstituer la chronologie des dépôts sédimentaires pélagiques (Kenneth et Srinivasan, 1983). L’utilisation biostratigraphique des foraminifères planctoniques, dès le XIXème siècle, explique que leur taxonomie repose essentiellement sur la caractérisation de descripteurs morphologiques des tests (concept de morpho-espèce) (Kennett et Srinivasan, 1983). Ce concept de morpho-espèce, hérité des approches linnéennes et paléontologiques, prévaut toujours, à tel point que la majorité des holotypes de taxons actuels sont des spécimens fossilisés (Bolli et Saunders, 1985). Cette prééminence des caractères morphologiques dans la définition des espèces trouve aussi son origine dans le fait que le critère d’interfécondité (concept d’espèce biologique) de ces organismes n’a jamais pu être testé en laboratoire chez ces organismes difficiles à cultiver (Hemleben et al., 1989). Néanmoins, dès le milieu du XXème siècle, la libération de nombreuses cellules flagellées en fin de cycle a été observée chez des individus cultivés, ce qui a conduit à supposer un cycle de vie sexué chez les foraminifères planctoniques (Hemleben et al., 1989). Ce cycle de vie semble suivre une périodicité lunaire ou semi-lunaire chez les espèces vivant en surface alors que les espèces plus profondes ont un cycle plus long, pouvant atteindre une année (Schiebel et Hemleben, 2005). Figure 2 : foraminifère épineux vivant (Globigerinoides sp, photo O. R. Andersson) La coquille des foraminifères planctoniques est incluse dans la cellule et permet la différentiation d’un endoplasme, à l’intérieur de la coquille, et d’un ectoplasme constitué d’un réseau de pseudopodes à l’extérieur (Fig. 2) (Hemleben et al., 1989). Cette coquille se forme par l’addition, à partir d’une loge initiale (ou proloculus), de plusieurs loges selon un arrangement planispiralé, trochospiralé ou plus rarement sérié ou streptospiralé (Schiebel et Hemleben, 2005). La continuité au sein du cytoplasme est maintenue par les foramens permettant la communication d’une loge à l’autre ainsi que par les pores et l’ouverture qui mettent en relation endoplasme et ectoplasme (Hemleben et al., 1989). Une cinquantaine de morpho-espèces actuelles de foraminifères planctoniques ont été décrites sur la base de la morphologie de la coquille (Hemleben et al., 1989). Elles peuvent être regroupées en 3 clades (Darling et al., 1999, Fig. 3): les épineux macroperforés (19 morpho-espèces, présence d’épines et diamètre des pores > 2,5 μm), les non épineux macroperforés (17 morpho-espèces, sans épines et diamètre des pores > 1 μm) et les non épineux microperforés (7 morphoespèces, sans épines et diamètre des pores < 1 μm) (Hemleben et al., 1989 ; Huber et Leckie, 2011). Figure 3 : Phylogénie des morpho-espèces de foraminifères planctoniques d’après Aurahs et al. ( 2009) ; les relations phylogénétiques entre les trois clades (pointillés) sont issues des travaux de Darling et al. (1999). Les foraminifères planctoniques sont exclusivement marins. Ils vivent au sein de la colonne d’eau, de la surface aux eaux plus profondes en dessous de la zone photique (jusqu’à plus de 1000 m chez Truncorotalia truncatulinoides ; Schiebel et Hemleben, 2005). La profondeur du milieu de vie dépend à la fois de la morpho-espèce : par exemple, Globigerinoides ruber et Globigerinoides sacculifer vivent dans les eaux de surface alors que T. truncatulinoides et Hirsutella hirsuta sont des espèces d’eaux profondes (Schiebel et Hemleben, 2005) ; mais aussi du stade dans le cycle de vie. En effet, chez de nombreuses morpho-espèces, la calcification gamétogénétique s’accompagne d’une migration dans la colonne d’eau (Schiebel et Hemleben, 2005). Parmi les espèces vivant dans les eaux de surface, certaines abritent, de façon obligatoire ou facultative, des symbiontes photosynthétiques (chrysophycées ou dinoflagellés) leur confèrant une autotrophie partielle (Hemleben et al., 1989). Les autres espèces sont hétérotrophes. Les morpho-espèces épineuses hétérotrophes se nourrissent principalement de zooplancton (copépodes) (Caron et Bé, 1984) alors que les morpho-espèces non épineuses privilégient le phytoplancton (Diatomées surtout) (Spindler et al., 1984). Taxonomie morphologique chez les foraminifères planctoniques L’utilisation historique des foraminifères comme marqueurs stratigraphiques est à l’origine de leur taxonomie basée sur la morphologie du test. L’aspect des coquilles, extrêmement variable, peut être décrit principalement par la forme et agencement des loges, la microstructure (épines, pustules, pores, carènes) et les caractéristiques de l’ouverture (Kennett et Srinivasan, 1983). Néanmoins, la question du sens biologique et donc taxonomique de ces caractères est cruciale (Parker, 1962). Par exemple, la dernière loge de forme allongée (appelée « sac ») de Globigerinoides sacculifer a longtemps été utilisée comme principal critère d’identification de cette morpho-espèce jusqu’à ce que des cultures (Bé, 1980 ; Bé et al., 1983, Hemleben et al., 1987 ; Bijma et al., 1992) montrent que cette loge pourrait correspondre à un stade ontogénétique facultatif, donc sans valeur taxonomique. La difficulté d’observation de la microstructure des tests avant la généralisation des clichés MEB dans les années 1970 (Hemleben et al., 1989) a entrainé de nombreux débats quant à la classification et l’appartenance taxonomique des morpho-espèces. Ainsi, la morpho-espèce non épineuse Neogloboquadrina pachyderma a longtemps été classée dans le genre épineux Globigerina (par exemple, Banner et Blow, 1960). De même, certaines confusions entre stades juvéniles et espèces n’ont pu être levées qu’à partir du développement des cultures et des études ontogénétiques (par exemple, le cas de Globigerina bulloides var. borealis ; Bé, 1960). Les classifications morphologiques actuelles (Kennett et Srinivasan, 1983, Hemleben et al., 1989, Aze et al., 2011) recoupent largement les classifications phylogénétiques (Aurahs et al., 2009). Elles délimitent les trois principaux clades de foraminifères planctoniques en se basant sur la microstructure de la coquille : présence d’épines et aspect général de la porosité. Au sein de ces clades, les morpho-espèces sont délimitées le plus souvent à l’aide de la forme et de l’agencement des loges et des caractéristiques de l’ouverture. Néanmoins, l’identification de la limite entre variations écophénotypiques au sein d’une espèce et différences morphologiques entre espèces proches est un obstacle majeur pour ces taxonomies basées uniquement sur la morphologie (Parker, 1962). Cette limite est d’autant plus difficile à établir que l’on observe parfois des clines morphologiques (Hilbrecht, 1997). Ainsi, la distinction entre Neogloboquadrina dutertrei, Neogloboquadrina incompta et N. pachyderma est restée longtemps problématique : certains, comme Cifelli (1961), les classaient comme des espèces distinctes alors que d’autres, au contraire, les considéraient comme une seule espèce présentant deux pôles morphologiques reliés par des « pachyderma-dutertrei intergrades » (par exemple, Rohling et Gieskers, 1989 ; Parker et Berger, 1971). Finalement, les critères morpho-anatomiques retenus semblent pertinents pour une classification à l’échelle des morpho-espèces mais trouvent cependant leur limite chez les clades présentant d’importantes variations intra-spécifiques. Biogéographie des foraminifères planctoniques et applications paléocéanographiques Les foraminifères planctoniques occupent les eaux de l’océan mondial, de la banquise antarctique (Neogloboquadrina pachyderma ; Dieckmann et al., 1991) aux eaux tropicales et équatoriales (par exemple, Globigerinoides ruber ; Hemleben et al., 1989). Chaque morphoespèce présente des affinités environnementales qui lui sont propres et qui contrôlent donc sa distribution biogéographique (Hilbrecht, 1996 ; Fig. 4). Ces affinités environnementales ont été déduites de l’analyse des sédiments de surface (par exemple, Hilbrecht 1996), des récoltes, parfois stratifiées, de foraminifères vivants grâce à des filets à plancton (par exemple, Bé, 1959) ainsi que d’expériences de culture en laboratoire (par exemple, Bé, 1980 ; Bijma et al., 1992). Certaines morpho-espèces sont généralistes comme Globigerinita glutinata ou Globigerina bulloides qui pourraient supporter des températures allant de presque 0°C à plus de 30°C (Hilbrecht, 1996) alors que d’autres ont des affinités plus strictes comme G. ruber pink qui est exclusivement tropicale (Hilbrecht, 1996). Dans le cas des espèces polaires à tempérées on observe des distributions bipolaires (par exemple, N. pachyderma, Hemleben et al., 1989).
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