Parler de soi dans la quête du savoir

Parler de soi dans la quête du savoir 

Je précise que l’ethnographie telle qu’elle est définie peut être considérée comme une méthodologie qui se fait d’une manière durable et qui demande de faire de l’observation participante (Howell, 2018). Dans cette thèse, je reconnais qu’il y a une limite à la manière dont l’ethnographie a été menée. Je n’ai pas fait un séjour prolongé parce j’étais confronté à un terrain rigide et difficile. Ce sont des administrations publiques et privées qui sont fermées le soir. Ce qui veut dire que je ne pouvais pas dormir là-bas. Ensuite, le secret qui est préservé dans les administrations fait que je ne pouvais pas passer beaucoup de temps avec les salariés. Cela n’enlève néanmoins en rien la possibilité de composer avec les impératifs méthodologiques et les conditions du terrain afin de garder mon statut d’ethnographe. Car « une enquête ethnographique sera ainsi concluante si elle parvient à montrer des nuances dans un groupe ou objet étudiés qui apparaîtraient au profane comme homogènes avec des caractéristiques « stéréotypées » (Boumaza, Campana, 2007, p.24). Le contact direct avec les réalités du terrain m’a poussé à adopter des stratégies pour trouver des alternatives afin de garder le statut d’ethnographe. Ce qui a favorisé des conditions d’informalité qui vont me permettre de recueillir des données. Le hasard contrôlé des rencontres avec les salariés des administrations publiques et privées dans leur lieu de travail m’imposait à me plier aux conditions imposées par les interviewés (le respect de l’anonymat, les entretiens parfois non-enregistrés, refus de répondre à des questions en lien avec l’entreprise etc.). A l’école nationale du tourisme par exemple, dès lors que les salariés me considéraient comme un collègue de leur directeur, j’instrumentalisais ce statut pour partager leur vie professionnelle et de passer du temps avec eux. Toutes ces stratégies déployées m’ont permis de garder le statut d’ethnographe. Comme tout jeune chercheur, avant d’entamer mon enquête de terrain, impliquant donc un travail « sur le terrain », l’observation directe, j’ai dû procéder à une phase de préparation au cours de laquelle j’ai sélectionné les outils et les méthodes qui me semblaient les mieux ajustés à l’appréhension d’un objet de recherche aussi interdisciplinaire que le tourisme. J’ai opté pour une approche qualitative basée sur des discussions et sur des entretiens avec les salariés sénégalais ; ceci dans le but de compiler un grand nombre de renseignements et de détails à propos de leurs mobilités et de leurs pratiques vacancières. J’ai utilisé ces méthodes 47 particulières pour accéder aux données à cause de certaines réticences qui ont pu se manifester. Cela a permis aux salariés de parler sans retenue et de se libérer en utilisant leur propre langage. J’ai également procédé à des descriptions et à des observations pour collecter les données dont j’avais besoin. Il me semble important de souligner que le choix d’une approche qui s’inscrit dans une perspective plus « descriptive » qu’« interprétative », relève d’une démarche qui privilégie le souci du détail et le respect de la « dignité intrinsèque des faits…. » (Amiel, 2010) J’ai sollicité des salariés sénégalais dans les administrations publiques et des entreprises privées du Sénégal, notamment des fonctionnaires, des cadres, des enseignants chercheurs et des praticiens du secteur du tourisme au Sénégal. Ce travail de terrain et ces rencontres se sont déroulés au cours de trois voyages qui ont été effectués de 2014 à 2017 au Sénégal. Il s’est traduit par le recours à une approche sociologique que je jugeais pertinente pour comprendre mon objet. En effet, sans être un ethnométhodologue, je me suis inspiré de l’attitude empirique de l’ethnométhodologie8 , notamment en m’appuyant sur les outils conceptuels qu’elle a développés afin de rendre compte de la réalité sociale, tels que l’indexicalité, la membritude (membership), la réflexivité, l' »accountability » (racontabilité). L’indexicalité de la pratique du tourisme correspond ici à la manière dont les sénégalais produisent leurs pratiques touristiques à l’intérieur du Sénégal. La réflexivité renvoie ici à la position du chercheur à la fois objet d’analyse et de connaissance. Nous émettons l’idée selon laquelle les salariés sénégalais sont engagés dans la production et la représentation objective du savoir sur leurs pratiques du tourisme en tant que faits observables et racontables. Ceci justifie l’utilisation des concepts de membership et de racontabilité.

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Repenser l’enquête de terrain à travers d’autres approches

Sachant que je ne pouvais pas parcourir le Sénégal dans sa totalité, ni investiguer tout Dakar, j’ai choisi de travailler sur les salariés, des « fonctionnaires », des cadres des administrations sénégalaises, parce qu’ils bénéficient de congés payés qui leur donnent la possibilité de s’ouvrir aux vacances et au tourisme. A cet effet, j’ai défini une démarche que je vais décrire en mettant en récit ma trajectoire de recherche telle que je l’ai vécue. Je précise en préambule que la démarche a été mûrement réfléchie. Elle se caractérise par le changement de perspective qu’elle propose, dépassant les approches conventionnelles du champ disciplinaire. A cet égard, l’ethnométhodologie a été un moyen pour moi de prendre de la distance, d’initier une manière de penser la pratique du terrain. Cela m’a permis de mieux comprendre ce que j’ai fait sur le terrain. Ainsi, utilisant la démarche ethnométhodologique notamment à travers le concept d’« account » (descriptibilité), j’ai pu repenser mon enquête de terrain en fonction des circonstances qui se présentaient, en proposant une nouvelle façon d’approcher mes enquêtés que je décris dans les lignes qui suivent. En 2014, je commence mon travail de terrain par un premier rendez-vous, obtenu par recommandation9 , avec le chef de la division des statistiques d’une administration ministérielle. Au cours de notre discussion sur mon projet de recherche, un homme grand et âgé entre, qui n’est autre que le doyen de cette administration. Mon interlocuteur le fait attendre derrière moi. Il s’agit d’un ex-agent du ministère du tourisme et ancien chef de la division des statistiques. Notre échange sur la question du tourisme lui donne alors l’occasion d’intervenir. Il prend la parole et commence à m’éclairer sur certaines questions auxquelles mon premier interlocuteur semblait avoir du mal à répondre. J’échange quelques paroles avec lui, il me demande d’où je viens et les raisons de ma visite. Je lui explique alors que je mène des recherches sur les questions relatives au tourisme, aux loisirs, aux vacances, aux congés des Sénégalais à l’intérieur du Sénégal et que je souhaiterais aussi m’entretenir avec lui si toutefois il est disponible. Ne s’attendant peut-être pas à la proposition, il me répond en souriant : « boy je ne suis là que les jeudis, je ne travaille plus ici, je suis à la retraite ». Mon interlocuteur le rassure en proférant ces mots « c’est le beau-frère de notre ami et collègue de l’école nationale ».

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