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La période pré paradigmatique
La période pré paradigmatique est la période qui précède la constitution des paradigmes .Ici, il est question de voir avant l’adhésion à un paradigme reconnu et accepté par tous comment travaillent les hommes de sciences ? Est-ce que leur travail reposait sur un consensus ou non ?
Le comportement du scientifique dans la pratique scientifique pré paradigmatique ressemble à celui du scientifique vivant les périodes de crises que nous aurons à étudier dans la deuxième partie de notre travail. En effet dans la science d’avant constitution de paradigme, les hommes de sciences travaillent dans la dispersion, c’est-à-dire dans un manque de communication : il n’y a pas donc de consensus ferme. Chacun, s’interrogeant sur l’origine du monde sur les phénomènes naturels,s cherche à se faire son propre système du monde qu’il fait apparaître aux yeux des autres. Ainsi certains anciens grecs faisaient ressortir l’origine du monde des quatre éléments traditionnels que sont la terre, l’eau, le feu et l’air. C’est le cas par exemple de Thalès qui faisait de l’eau le support sur lequel reposaient l’univers et la terre. Tout est donc formé d’eau nous dit-il. Et de Thalès, Isaac Asimov affirme qu’ « il croyait que la terre avait la forme d’un disque de quelques milliers de kilomètres de diamètre, et qu’elle flottait sur un océan infini».5 Anaximandre lui nous dira que c’est l’Aperion où l’Indéfini qui est à l’origine de tous les mondes. Quant aux pythagoriciens c’est le nombre qui est constitutif de la matière. Cela est d’autant plus vrai à leurs yeux que certains nombres comme, deux, trois, sept, dix avaient chez eux une signification importante. Ils juraient par exemple par le nombre dix. Le nombre sept représentait chez eux les sept ouvertures de la tête. Aristote, dans sa physique, utilisera les éléments traditionnels qu’il appelle « natures spécifiques », et dont il dit qu’ils sont à l’origine de tous les autres objets qui peuplent le monde sublunaire.
La période pré paradigmatiques s’identifie donc par des discussions sur les méthodes et les moyens utilisés pour rendre compte de tel ou tel problème.
N’est-ce pas ce que l’historien américain Kuhn veut dire lorsqu’il soutient que : « La période antérieure à la formation d’un paradigme, en particulier, est régulièrement marquée par des discussions fréquentes et profondes sur les méthodes légitimes, les problèmes, les solutions acceptables, bien que cela serve plus à définir des écoles qu’à rallier l’unanimité »6.
C’est ainsi que dans l’antiquité grecque, nous avions plusieurs écoles parmi lesquelles nous retenions celle de Milet, dirigée par Thalès et celle d’Elée avec comme maître Zénon.
En effet, la question qui nous préoccupe, dans cette période pré paradigmatique est la suivante : peut-on parler de progrès scientifique quand les différents praticiens se livrent à des querelles d’écoles ?
Deux écoles concurrentes ne s’entendent jamais sur les méthodes de résolution des questions que soulève la science. Elles mènent si l’on peut le dire ainsi à un dialogue de sourd et s’observent en chien de faillance. Dés lors, tout progrès semble compromis d’avance puisqu’il n’ y a pas d’entente ou de consensus dans la méthode de résolution des énigmes. Ainsi d’après KUHN si les présocratiques n’ont fait faire à la science presque aucun progrès significatif, cela s’explique par l’inexistence d’un paradigme bien défini et accepté par tous.
Nous retiendrons en définitive que la période pré paradigme est marquée par des querelles d’écoles. Il s’agit surtout de problèmes relatifs à une méthodologie à adopter pour circonscrire le réel afin de déceler ses origines. Par conséquent, il est difficile de parler de progrès scientifiques à proprement parler dans cette période antérieure à la constitution d’un paradigme. Aux yeux de Kuhn, le progrès est presque nul.
Toutefois, il semble que même si le progrès est presque inexistant, dans la période pré paradigmatique, force est de reconnaître que les travaux des anciens ont servi de support et restent nécessaires aux générations futures. Ce qui revient à dire que c’est chez les présocratiques qu’ont commencés les premiers développements de l’art de penser. Mais ce stade de développement, stagné par des discussions et des disputes, sera suivi d’une période post-paradigme, caractérisée d’une part par la disparition de toutes les écoles ou de la plus grande partie d’entre elles et d’autre part par le regroupement autour d’une de ces écoles. Celle qui en sort victorieuse.
Assimilant ainsi la période pré paradigmatique au désaccord, ne pouvons-nous pas dire que Kuhn lie le progrès, dans la pratique scientifique, à l’existence de consensus ferme, c’est-à-dire de paradigme ?
Essai de définition du concept de paradigme
Nombre de gens semblent supposer que l’accumulation est en tout cas l’idéal que révélerait le développement historique. Cette pensée d’accumulation est, ce contre quoi s’insurge le physicien Thomas Samuel Kuhn à travers toute son œuvre, lorsqu’il repense l’histoire des sciences avec le concept de paradigme. Car pour lui, l’histoire des sciences loin d’être une accumulation de vérités les unes aux autres, est une succession de paradigmes différents les uns des autres, c’est-à-dire de paradigmes étrangers les uns les autres.
En effet, le concept de paradigme a été utilisé pour la première fois par Kuhn, dans son article intitulé La tension essentielle : tradition et innovation dans la recherche scientifique, rédigé en vue d’une conférence tenue en 1959.
Comment le paradigme est-il défini dans l’œuvre de Kuhn ? Comment arrive-t-on à faire d’une théorie un paradigme ? Quel est le comportement des personnes appartenant au même paradigme ? C’est avec cette série de questions que nous pouvons comprendre ce qu’est le paradigme et comment l’historien Kuhn le définit.
Nous pouvons retenir de ce concept de paradigme, deux définitions principales : celle de paradigme comme communauté scientifique et l’autre qui définit le paradigme comme une « matrice disciplinaire ». Nous allons donc examinés ces deux définitions une à une, en les situant dans l’œuvre de Kuhn.
– Premièrement nous pouvons affirmer que :
La communauté scientifique avant d’être érigée en paradigme, existe indépendamment des autres communautés. Elle constitue donc un champ clos. En effet la définition du paradigme comme communauté scientifique est celle que nous rencontrons dans l’œuvre de Kuhn intitulée La structure des révolutions scientifiques ; œuvre qui a rendu célèbre l’épistémologue Kuhn.
Voyons donc d’abord les éléments constitutifs d’une communauté scientifique. Pour qu’il y ait communauté, il faut d’abord des hommes qui ont des objectifs communs. Ensuite il faut que ces hommes aient une formation scientifique semblable, laquelle les amène à accepter de se conformer à un certain nombre de valeurs, de règles etc. Et enfin il faut que les membres vivant au sein de la même communauté scientifique communiquent entre eux. Car comme le dit Kuhn, les membres au sein de la communauté doivent absorber la même littérature et en tire les mêmes leçons.
Au moment qu’on a une ou plusieurs communautés travaillant séparément la concurrence entre ces dernières est inévitable. En fait, quand et comment peut-on assigner à une communauté le concept de paradigme, si l’on sait que la science aux yeux de Kuhn, peut bien fonctionner sans l’adhésion à un consensus ferme ?
Les communautés scientifiques commencent par un petit nombre d’adhérents. C’est donc de par leurs compétences, leurs réalisations, que les membres d’une communauté arriveront à surmonter les communautés concurrentes et s’imposeront comme seule communauté valable, c’est-à-dire acceptée par toutes les autres. A partir de ce moment précis, nous pourrons dire de la communauté qu’elle est paradigme, puisqu’il y a consensus ferme entre toutes les autres.
Et Kuhn nous dit à cet égard « qu’il nommerait paradigme toutes les performances qui, d’une part, dans leurs accomplissements étaient suffisamment remarquables pour soustraire un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activités scientifiques concurrentes ; d’autre part elles doivent ouvrir des perspectives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre »7.
Le paradigme est conçu ici comme, ce que les membres d’une communauté possèdent en commun, et réciproquement, une communauté scientifique se compose d’hommes qui se référent au même paradigme. Par conséquent, les premiers paradigmes selon Kuhn qui engendrèrent un premier consensus datent de l’antiquité classique et précisément dans la dynamique, l’optique géométrique et certaines parties de la psychologie. Dans les domaines des mathématiques et de l’astronomie, le premier consensus ferme est préhistorique.
Cependant l’idée du paradigme comme liaison étroite, avec l’expression « communauté scientifique », Kuhn nous en donne une deuxième utilisation dans son livre intitulé La tension essentielle.
Mais pourquoi cette double utilisation pour définir le paradigme ?
Il nous semble que si Kuhn utilise deux termes différents pour signifier une seule et même chose, c’est pour donner non seulement au concept de paradigme toute son envergure mais également pour répondre à un certain nombre de critiques et suggestions qui lui ont été adressées juste après la publication de la structure des révolutions scientifiques en 1962.
D’ailleurs, dans l’index qu’il a dressé, Dudley Shapere, d’après Kuhn, a relevé dans l’ouvrage pas moins de vingt deux usages différents du même mot…C’est donc pour plus de précision autour du concept de paradigme que Kuhn assimile le paradigme à la matrice disciplinaire.
En effet, qu’est ce que donc une « matrice disciplinaire » ?
Par l’expression « matrice disciplinaire », Kuhn sous entend deux choses : d’abord « disciplinaire, parce qu’il s’agit d’une possession commune des praticiens d’une discipline professionnelle, ensuite matrice, car le paradigme est composé d’éléments ordonnés de type divers qui, chacun, demandent une définition supplémentaire »8
Ainsi la « matrice disciplinaire » est constituée d’un certain nombre d’éléments parmi lesquels nous pouvons citer les générations symboliques, les modèles ou les paradigmes métaphysiques, les exemplaires etc.
En effet, les générations symboliques et les modèles ou paradigmes métaphysiques sont des objets classiques de la philosophie nous dit kuhn. Ce qui à notre avis explique l’interdépendance entre la philosophie et la science. Pour ce qui est des générations symboliques, elles constituent les composantes formelles de la « matrice disciplinaire ». Ainsi certaines de ces générations symboliques revêtent une forme symbolique au moment où d’autres se présentent sous forme de mots. Par exemple en mathématique nous pouvons dire avec Pythagore que « le carré de l’hypoténuse est égale à la somme des carrés des deux autres côtés ». Ou bien dire avec Aristote, tout en nous situant dans le domaine de la logique que « le syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant données quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement, en vertu de ces données ». Les mathématiques et la logique procèdent souvent de cette sorte pour bien fonctionner.
Quant aux modèles ils consistent à une adhésion collective à certaines croyances ; par exemple le fait de dire que : la chaleur est l’énergie cinétique des parties constituantes des corps ; ou bien le fait de dire qu’un corps qui brûle perd de sa substance. Et pour ce qui est des exemplaires, Kuhn soutient qu’ils sont des solutions de problèmes concrets, que les étudiants rencontrent, dès le début de leur formation scientifique, soit dans les travaux de laboratoire, soit comme sujet d’examen, soit à la fin des chapitres dans les manuels scientifiques.
En définitive, retenons que le concept de paradigme est défini dans l’œuvre de Kuhn tantôt comme liaison étroite à la communauté scientifique, tantôt comme matrice disciplinaire. Toutefois ces deux utilisations, du concept de paradigme, loin d’être contradictoires, constituent deux aspects d’une seule et même chose à savoir le paradigme. Cependant avant d’attaquer la partie sur l’incommensurabilité des paradigmes, prenons deux exemples concrets de paradigme à savoir celui d’Aristote et celui de la science classique. Cette étude nous permettra de voir que d’un paradigme à un autre, nous passons d’une conception du monde à une autre complètement différente.
– Le paradigme Aristotélicien [Aristote naquit en 384 avant Jésus-Christ et mourut en 322 avant jésus christ.]
La pensée et la cosmologie d’Aristote ont régné sur les consciences humaines pendant deux milles ans. Elles constituent, si l’on peut dire, une sorte de réaction contre certaines thèses du mathématicien Platon d’après lesquelles, le monde se divise en deux : le monde sensible, voué à la corruption, à la génération et à la finitude et le monde intelligible, c’est-à-dire celui des idées éternelles, incorruptibles et ingénérables ; bref le monde des dieux.
Le monde sensible donc, chez Platon, pour avoir une certaine rationalité doit se référer à l’intelligible. Ce dernier lui sert de support, d’originalité.
En effet, la réaction d’Aristote contre les thèses platoniciennes consiste d’une part à réhabiliter le sensible et d’autre part à rendre le mouvement possible. Selon Aristote, les idées sont obtenues par abstraction à partir du sensible dont elles procèdent. Compte tenu de ce fait, il affirme que « la sensation est à l’origine de la connaissance scientifique, à un point tel que l’absence de certaines sensations entraînerait l’absence de certaines sciences : de la sensation procède, en effet, l’induction, qui conduit à l’universel, et toute démonstration part de l’universel.»9
Le stagirite, de cette sorte met fin à la supériorité de l’intelligible sur le sensible. Car ce dernier est rationnel en soi, c’est-à-dire, qu’il peut être connu sans référence aux idées éternelles de l’intelligible.
Cependant examinons les postulats théorico métaphysiques sur lesquels repose le paradigme d’Aristote.
Est-ce que la cosmologie d’Aristote constitue une nouveauté par rapport aux anciens ? Alexandre Koyré soutient que les pièces maîtresses de la conception d’Aristote semblent être : « La croyance en l’existence de « nature » bien déterminée et la croyance à l’existence d’un cosmos, c’est-à-dire la croyance à l’existence de principe d’ordre en vertu desquels l’ensemble des êtres réels forment un tout (naturellement) bien ordonné »10
Mais qu’en est-il réellement ?
Il faut de prime abord dire qu’avec Aristote la nature est un composé de matières et de formes et que ces dernières sont éternelles et incréés.
La physique donc contrairement aux mathématiques qu’il critique, porte sur la réalité. En effet, contre les Eléates comme Mélissus et Parménide qui nient l’existence de choses en mouvement, le stagirite affirme comme postulat fondamental que « comme principe, nous posons que les êtres de la nature, en totalité ou en partie sont mus »11. Bien plus, dans la cosmologie Aristotélicienne, nous avons d’abord la croyance en l’existence de « Natures Spécifiques » ; ensuite la croyance en des « lieux naturels » ; puis l’existence en dehors des quatre éléments connus des anciens, un cinquième élément, à savoir l’éther et enfin la croyance en l’idée d’un cosmos comme tout, fini sphérique et hiérarchisé.
Aristote en divisant le cosmos en deux régions ; le sublunaire qui est au dessous du ciel de la lune et le supra lunaire qui est au delà, pose, comme « natures spécifiques » la terre, l’eau, le feu et l’air. De ces quatre éléments sont issues toutes les autres choses qui habitent le monde sublunaire. De là, tous les éléments du monde sublunaire sont dits sensibles. Ainsi, ils sont voués à la corruption et à la générabilité. Mieux tout sensible est, soit pesant soit léger d’où l’existence de « lieux naturels » dans la cosmologie d’Aristote.
Le haut et le bas sont les lieux naturels des corps. En effet Aristote nous dit que « Chacun des corps naturels est transporté vers son propre lieu, si rien ne fait obstacle, l’un en haut, l’autre en bas »12. Il est donc de la nature des corps d’aller vers le haut ou vers le bas, car le haut n’est pas n’importe quoi, mais le lieu où le feu et le léger sont transportés, de même le bas n’est pas n’importe quoi, mais le lieu où les choses pesantes et terreuses sont transportées. La nature des corps détermine donc leur mouvement.
De ce fait la terre, qui est le lourd absolu est immobile et occupe le centre de l’univers. Et Aristote nous dit à cet égard que « Si la terre demeure immobile au centre de l’univers, c’est parce que l’élément dont-elle est faite se porte naturellement vers le centre. Point n’est besoin d’invoquer le tourbillon cosmique ni d’imaginer un support fait d’air ou d’eau» 13. Toute fois l’idée d’une terre immobile a été défendue bien avant Aristote par Anaximandre qui estimait que la terre était sise au centre parce qu’elle n’a plus de raison d’aller d’un coté plutôt que d’un autre.
De même, le feu plus léger que l’air, est dit léger absolu.
Quant à Platon, dans Le Timée, « le plus lourd » est ce qui est fait d’un plus grand nombre de parties identiques ; le « plus léger », ce qui est fait d’un nombre moins grand de ces mêmes parties.
Partant donc de l’idée des lieux naturels, nous pouvons dire que toutes les choses naturelles ont leur lieu bien déterminé. Ainsi tout corps ne pourra quitter son lieu que par la présence d’une force étrangère à ce dernier. Et si un corps est chassé de son lieu, il aura toujours tendance à y retourner dès qu’il sera séparé du moteur qui en est la cause de son mouvement. Et ce type de mouvement est dit violent ou contre nature, car il suppose la présence d’un moteur extérieur au corps naturel. Après avoir parlé du monde sublunaire, nous allons à présent étudier le monde de l’éther, c’est-à-dire, le supra lunaire, ou si l’on veut celui des cieux.
Le stagirite, lui soutient qu’il y a une différence ontologique entre la région sublunaire et celle supra lunaire, car cette dernière est incorruptible et ingénérable. Cette séparation du cosmos en deux régions n’est-elle pas identique aux deux mondes platoniciens ? Il convient de préciser de prime abord, que les deux mondes de Platon n’avaient rien d’identique, tandis que pour le stagirite, même si la différence entre le sublunaire et le supra lunaire est ontologique, chacun des deux a sa propre rationalité et que le mouvement naturel accompagne aussi bien les corps sensibles que les corps célestes.
Cependant, est-ce que les corps sensibles et les corps célestes obéissent au même mouvement naturel ? Autrement dit, est-ce que l’éther présente les mêmes propriétés que les natures spécifiques que sont la terre, l’eau, le feu, l’air ?
Si l’on croit Aristote, il n’y a que deux types de mouvement : le rectiligne et le circulaire. Les mouvements rectilignes ascendants ou descendants sont rapportés au feu, à l’air, à l’eau et à la terre. Qu’en est-il du mouvement circulaire ? Appartient-il aux corps naturels, aux astres ou à l’éther ?
Le mouvement circulaire est le propre de l’éther ou corps premier. Ce dernier tourne en cercle autour du centre qu’est la terre en vertu de sa propre nature. Toutefois ce premier corps n’obéissant pas au même mouvement des corps naturels, ne doit donc pas avoir les mêmes propriétés que ces derniers. Aristote soutient que les propriétés du corps premier sont les suivantes : « Il n’est ni lourd, ni léger, est inengendré et incorruptible, ne connaît ni le changement quantitatif ni le changement qualitatif, son mouvement circulaire n’a pas de contraire »14. Par conséquent, dans la cosmologie du stagirite, le cercle est plus parfait que la droite, ce qui revient à dire que le corps qui en est animé, est le plus parfait de tous les corps.
Ainsi, avec Aristote nous pouvons affirmer que l’ordre du ciel est un ordre éternel et immuable. Il n’a ni commencement et n’aura pas de fin. Cependant l’éther est-il identique aux astres et autres corps célestes ?
L’éther ne doit pas être confondu aux astres. Il est supérieur aux astres et les transporte dans leurs cercles. En effet, l’astre en tant que tel n’a pas de mouvement propre. Bien plus les astres sont faits d’éther ; ce qui explique même leur sphéricité. Son mouvement est assuré par les cercles sur lesquels il est fixé. La région supra lunaire, le ciel des astres fixes et des planètes, siège du mouvement éternel et indéfectible, constitue le séjour des êtres divins.
Cependant, malgré la représentation d’un monde bipolaire dans la cosmologie d’Aristote, il n’en demeure pas moins chez lui l’idée d’un cosmos fini, plein hiérarchisé et sphérique.
La finitude du cosmos est due d’une part à la finitude des éléments qui le composent, et d’autre part au fait qu’on ne peut pas parler du mouvement de l’infini. Par conséquent hors du ciel, il n’y a ni lieu, ni vide, ni temps, d’où la sphère des étoiles fixes qui ferme le cosmos. En effet, chacun des éléments de ce cosmos d’Aristote se trouve à sa place, d’où l’idée d’un cosmos plein. De même, le cosmos est hiérarchisé, parce que les éléments de la région supra lunaire sont plus parfaits que ceux de la région sublunaire.
En résumé nous pouvons retenir cinq éléments constitutifs de la cosmologie d’Aristote à savoir :
• La croyance à l’existence de deux mouvements différents : le rectiligne et le circulaire ; dont le dernier est supérieur au premier.
• La croyance à l’existence de natures spécifiques : la terre, l’eau, l’air, et le feu.
• La croyance à l’existence de lieux naturels comme le haut et le bas.
• La supériorité du monde de l’éther sur celui des natures spécifiques.
• La croyance à l’idée d’un Cosmos comme un tout, fini, plein, hiérarchisé, sphérique, centré sur la terre immobile où il n’y a pas de place pour le vide. Chez Aristote le vide est incompatible avec le mouvement.
Toutefois, Claude Ptolémée, cinq siècles après Aristote se chargera de parachever et de perfectionner le système d’Aristote. Mais cette cosmologie d’Aristote et l’astronomie de Ptolémée, qui, pendant longtemps ont dominé le monde occidental et ont servi de repère à la raison humaine, se confronteront à de sérieuses questions desquelles on peut noter celle du projectile dès lors que l’on sait que la physique d’Aristote est une physique de choc, de contact. Cette question malgré les multiples tentatives de réponses apportées par Aristote, n’arrivera pas à résoudre la question du projectile. Il s’agit là aux yeux de Kuhn d’une véritable anomalie. Une telle situation nécessitera une redéfinition des cadres théorico métaphysiques qui ont jusque là servi de base à la figure de la rationalité. Ainsi de Nicolas de Cues, en passant par Copernic, Giordano Bruno, le paradigme aristotélicien va perdre un à un ses postulats, jusqu’à l’effondrement total occasionné à la fois, au XVIIe siècle par la destruction du cosmos et la géométrisation de l’espace qu’incarnent les travaux de Galilée, Descartes et Newton.
Dés lors, du paradigme d’Aristote avec comme base l’idée d’un Cosmos fini et centré sur la terre, nous passons à un nouveau paradigme qui postule l’idée d’un univers infini, simple ordonné et stable. Il s’agit du paradigme de la science classique.
Comme nous l’avons énoncé plus haut, la question du jet est ce qui mettra fin aux postulats qui, depuis longtemps ont servi de socle au paradigme aristote-Ptolémée. Puisque la physique d’Aristote est une physique où le mouvement à distance est impossible ; comment expliquer donc le mouvement d’un projectile séparé de la main de son lanceur ? Cette question constitue une pierre d’achoppement dans l’espace aristotélicien. Plusieurs tentatives de réponses y seront apportées, pour cadrer l’anomalie au sens où l’entend Kuhn avec les postulats qui guident le paradigme. Parmi ces multiples réponses, Aristote lui-même expliquait le mouvement sans moteur du projectile, par la réaction du milieu ambiant (l’air le traîne et le pousse nous dit -il).
Quant à la physique de l’impétus, inaugurée par les grecs mais élaborée par l’école parisienne de Buridan et de Nicole Oresme, elle va proposer une solution à l’énigme qu’est le projectile. Selon donc la physique de l’impétus, le mouvement continu d’un corps lourd est dû à une puissance interne implantée en lui par le moteur qui a été l’origine. Ainsi Jean Baptiste Benedetti (1530-1590) oppose à Aristote l’idée selon laquelle : l’air au lieu de pousser le projectile, constitue un frein à la persistance du mouvement. Le corps reçoit donc un impétus.
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I.LA NOTION DE PARADIGME
a) La période pré paradigmatique
b) Essai de définition du concept de paradigme
c) L’incommensurabilité des paradigmes
DEUXIEME PARTIE
II- PARADIGME ET SCIENCE NORMALE
a) La science normale comme résolution d’énigmes
b) De la science normale à la science extraordinaire
c) Crise dans les paradigmes
TROISIEME PARTIE
III – REVOLUTION ET PROGRES SCIENTIFIQUE
a) Révolution et progrès chez Thomas Samuel KUHN
b) L’idée de progrès chez Karl Popper (1902-1994)
c) La controverse entre Popper et Kuhn
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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