Les limites des traitements de dépollution
La cinétique rapide de dissémination de l’arsenic entraîne la pollution de tous les compartiments (Figure 3). Ceci est rendu plus marquant par l’importance des flux, comme l’étude de la répartition de l’arsenic l’a montré précédemment. Les sols et les eaux représentent les principales sources d’ingestion d’arsenic. La présence d’arsenic inorganique dans les eaux destinées à la consommation humaine a même été identifiée comme le risque principal pour la santé. Les différentes méthodes de remédiation des sols et eaux pollués sont présentées plus en détail dans la suite de ce travail. Les conclusions principales, en ce qui concerne les sols, sont que les procédés couramment utilisés sont peu efficaces lorsqu’un sol est pollué par l’arsenic. Les techniques émergentes comme les procédés microbiologiques ou la phytostabilisation semblent prometteuses. La phytoextraction, basée sur la faible mobilité de l’arsenic dans la plupart des sols et l’élimination par les plantes, est en particulier une technique à approfondir. Cependant, une meilleure compréhension de la transformation biologique de l’arsenic est nécessaire pour développer ces méthodes de remédiation. En ce qui concerne les eaux polluées, certains traitements comme l’osmose inverse, l’électrodialyse ou les techniques membranaires (Clifford et Lin, 1997; Sancha et al., 2000) sont efficaces mais restent trop coûteux pour la production d’eau de consommation à petite échelle. Certains procédés, plus simples et peu coûteux comme le mélange d’un effluent pollué avec de l’eau de mer dessalée ou une source vierge de contamination (Sancha et al., 2000) restent des palliatifs et non de réels moyens de dépollution. Les stations de potabilisation comportent généralement une étape de coagulation-floculation permettant d’obtenir un abattement important en arsenic. Cependant, la spéciation de l’arsenic et la composition en ions majeurs du système étudié conditionnent souvent la qualité du traitement. Le choix des techniques appropriées à mettre en place sera également fonction de la législation en vigueur concernant le type de site pollué.
L’arsenic dans les sols
La concentration d’arsenic mobile relargué dans les eaux dépend de la stabilité des formes minérales de l’arsenic. Leur dissolution est contrôlée principalement par le pH et les conditions oxydo-réductrices. As(V) majoritaire dans les sols sous conditions oxydantes, est retenu par sorption ou précipitation avec les hydroxydes de fer, de manganèse, et d’aluminium (Smedley et Kinniburgh, 2002; Sadiq, 1997). Dans les milieux réducteurs et acides, les oxydes de As(III) et les sulfures d’arsenic sont stables (Sadiq et al., 1983). Lorsque les conditions (pH, Eo) dans les sols changent, la mobilité de l’arsenic varie également (Masscheleyn et al., 1991; Seidel et al., 2002). Ces auteurs ont aussi montré que l’arsenic est libéré avant le fer, impliquant une désorption réductrice à partir des oxydes de fer plutôt qu’une dissolution réductrice. L’arsenic peut aussi précipiter après adsorption sur la surface de colloïdes du sol (Figure 7). Les ions adsorbés vont graduellement se déplacer au sein des couches hydratées des colloïdes. Cette translocation entraîne une variation de la concentration en arsenic dans le minéral au cours du temps, jusqu’à l’obtention d’un précipité (Sadiq, 1997). A ces phénomènes physico-chimiques s’ajoute l’activité microbienne (Ahmann et al., 1997; Shukla et Pandey, 1993).
Des micro-organismes présents dans les sols sont capables de réduire ou d’oxyder l’arsenic minéral. De plus, la réduction du Fe(III) en Fe(II) dans les zones anoxiques, par des bactéries spécifiques, entraîne la dissolution des (oxy)hydroxydes de fer et ainsi le relargage de l’arsenic (V) adsorbé. Celui-ci subira alors diverses transformations (oxydation, réduction, sorption) suivant la composition chimique du sol ainsi que les différents mécanismes de résistance mis en place par les micro-organismes. Des composés méthylés (MMA, DMA, TMAO) sont présents dans les sols; leur origine peut être soit une méthylation directe par les micro-organismes, soit un apport lié à l’activité humaine, principalement agricole (pesticides, fertilisants) (Lombi et al., 2000b). Les interactions entre l’arsenic et la matière organique ne sont pas encore bien comprises. Les substances humiques adsorbent préférentiellement l’As(V) avec un maximum d’adsorption vers pH 5,5 (Sadiq, 1997). Le mécanisme d’adsorption est probablement lié à la capacité d’échange anionique des acides humiques. Sadiq (1997) suggère que l’interaction entre les oxyanions d’arsenic et la matière organique est probablement limitée, à cause des charges électriques similaires. Ainsi, une étude a été menée sur l’élimination de différents polluants inorganiques d’une eau par extraction à l’aide d’acides humiques (Yates et von Wandruszka, 1999). Elle révèle que l’arsenic est le composé le plus réfractaire à l’extraction.
L’arsenic dans les eaux
Dans les eaux, les concentrations en arsenic organique sont inférieures à 1μg/L; de plus, la plupart des eaux de surface ont une concentration en arsenic total inférieure à 10 μg/L (sauf pollution anthropogènique particulière). La concentration de cet élément dans l’eau de mer est généralement comprise entre 1 et 2 μg/L. Les eaux souterraines ont des teneurs similaires, hormis les eaux issues de fonds géochimiques granitiques ou basaltiques qui peuvent alors contenir jusqu’à plusieurs centaines de μg/L. La présence de ces espèces arséniées résulte de la mobilisation de l’arsenic des sols. La composition géologique du sol drainé par les eaux douces ou celle des sédiments conditionnent la concentration en arsenic (Kim et al., 2003). Les facteurs physico-chimiques (pH, Eh, température, taux de phosphate, fer et/ou manganèse) affectent la capacité d’adsorption et ainsi le flux d’arsenic à l’interface liquide-solide dans les aquifères. Les réactions redox gouvernent la spéciation de l’arsenic dans les eaux naturelles. Les calculs d’équilibres thermodynamiques (Figure 6) prédisent que dans les eaux sous conditions oxydantes (0,2 < Eh < 0,5 V), l’arséniate est largement majoritaire, et les espèces H2AsO4 – et HAsO4 2- coexistent, alors que sous conditions réductrices (0 < Eh < -0,1 V) H3AsO3 est la forme la plus stable (Dauss et al., 2000). Cependant, la présence d’arsénite et/ou d’arséniate ne semble pas uniquement dictée par les données thermodynamiques et les constantes cinétiques des réactions d’oxydo-réduction perturbent la répartition de l’arsenic minéral (Sadiq et al., 1983). Dans les eaux naturelles où différents couples oxydo-réducteurs peuvent impliquer différents potentiels redox, par exemple à Oslofjord (Norvège), As(III) est présent dans les eaux, alors que les conditions sont oxydantes (Abdullah et al., 1995). Dans l’eau de mer, la demi-vie d’As(III) peut aller de plusieurs mois à un an, et la stabilité du rapport As(III)/As(V) sur plusieurs jours ou semaines a été démontrée (Smedley et Kinniburgh, 2002; Kim et al., 2003).
Les oxydes de fer, de manganèse et d’aluminium sont des composants importants qui se trouvent souvent en contact avec les eaux naturelles (sédiments ou matière en suspension). En milieu aqueux, des surfaces d’oxydes s’hydratent et forment des groupes OH de surface amphotères, dont la quantité dépend de la structure de chaque oxyde. Des cations peuvent être liés à ces groupes OH par échange avec les protons. Pour ces réactions, il s’agit souvent d’adsorption par formation de complexes de sphère interne (Figure 8). Ces surfaces peuvent aussi réagir avec les anions et les acides faibles peuvent se lier à la surface lors d’échanges de ligands qui remplacent alors les groupes OH de surface. L’exemple de l’arsenic est présenté dans la Figure 9. Ainsi, l’adsorption de contaminants en traces sur les oxydes des sols ou dans les eaux est un moyen naturel d’auto-dépollution des écosystèmes. La vitesse d’oxydation de As(III) dans un milieu saturé en oxygène mais à faible teneur en fer est lente, (Cherry et al., 1979; Hug et Leupin, 2003). Dans une eau présentant un excès de fer(III) mais sans manganèse, 65% de As(III) présent est oxydé en deux semaines (Dauss et al., 2000). Cependant, la vitesse d’oxydation de As(III) est augmentée en présence d’oxyde de manganèse, avec une durée de demi-vie réduite à 10-20 minutes (Oscarson et al., 1981a). Cette particularité est utilisée dans l’élimination de l’arsenic par les oxydes de manganèse (Driehaus et al., 1995). gouvernant l’oxydation sont supérieures à celles rencontrées en conditions abiotiques. Wilkie et Hering (1998) ont observé dans des affluents géothermaux qu’As(III) est rapidement oxydé après passage dans le courant principal, et les auteurs attribuent ceci à la présence de bactéries. Les espèces méthylées d’arsenic sont aussi rapidement oxydées chimiquement et biologiquement (Abdullah et al., 1995). Les composés arséniés organiques, MMA, DMA et TMAO sont également présents dans les eaux naturelles, mais généralement en faibles concentrations (Smedley et Kinniburgh, 2002).
Remédiation des sols
Les différentes façons d’appréhender un sol pollué sont présentées Figure 10. La plus simple consiste à réduire les mouvements du polluant, par exemple par adsorption naturelle ou par la mise en place de barrières physiques destinées à prévenir les infiltrations d’eau noncontaminée et à réduire les migrations vers le fond ou les côtés. Dans le cas d’une barrière proche de la surface, l’introduction de plantes tolérantes peut aider à éliminer le polluant par fixation et/ou à limiter l’érosion du sol (Lombi et al., 2000b). On peut aussi utiliser des techniques ex-situ comme la solidification/stabilisation, ou encapsulation. Cette technique est appliquée en mélangeant le sol contaminé avec un agent liant pour former une structure cristalline, vitreuse ou polymérique autour des particules polluantes (U.S. EPA, 1997a). Les lixiviats provenant des formes solidifiées/stabilisées doivent être conformes aux réglementations et leur passage dans les aquifères surveillé (Leist et al., 2000). Dans un sol, l’arsenic se distribue parmi les différentes fractions présentes selon la séquence : argile >> limon > sable, ce qui est en accord avec une capacité d’adsorption supérieure pour les fractions fines en raison de leur grande surface spécifique et leur pourcentage d’oxyde de fer (Lombi et al., 2000a).
La stabilité et l’efficacité de l’adsorption à long terme sont capitales. Une étude menée sur du sable recouvert d’oxyde de fer a permis d’évaluer la réversibilité d’adsorption d’As(V) en fonction du temps (Lombi et al., 1999) : plus de 99% d’As(III) et la totalité d’As(V) d’un effluent sont éliminés par ce sable au bout de 30 jours. Ainsi, dans un sol pollué par un mélange de métaux et métalloïdes, les métaux lourds et l’arsenic peuvent être immobilisés grâce à leur affinité pour les oxydes de fer. Bien que moins efficaces, les oxydes de manganèse piègent également l’arsenic (Oscarson et al., 1981a) et peuvent oxyder As(III) en As(V) moins toxique (Oscarson et al., 1981b). La combinaison des oxydes de fer et de manganèse permet donc une immobilisation de l’arsenic dans les sols peu réducteurs. La solidification/stabilisation n’est pas applicable à un sol pollué par l’arsenic car ce métalloïde n’y est pas incorporé de façon efficace (cas similaire pour le plomb et le sélénium). De plus, la température nécessaire est telle que l’arsenic peut se volatiliser et les émissions produites lors de ce traitement doivent donc être contrôlées efficacement (Lombi et al., 2000b). Ainsi, parmi les techniques d’immobilisation, l’adsorption semble être la technique optimale.
Introduction |