Architectes et archéologues étudient depuis de nombreuses années les possibilités d’appropriation des techniques modernes d’acquisition et de représentation permises par le développement de l’informatique afin de développer leurs champs d’investigations respectifs. L’évolution des techniques d’acquisition aboutit aujourd’hui à des relevés tridimensionnels précis extrêmement fiables et rapides à exécuter. Ces possibilités sont à l’origine d’une demande de modèles numériques 3D générés à partir de ces mesures et relevés. L’archéologie et l’architecture par essence, n’échappent pas à ce développement qui nécessite un grand nombre de modèles 3D et une modélisation spécifique que nous appellerons la modélisation architecturale. Les maquettes numériques tridimensionnelles ainsi obtenues vont ensuite constituer le support de représentations diverses.
Préciser le contexte d’un travail revient à donner une réponse aux questions triviales « pour qui ? » et « pour quoi ? ». Nous allons donc nous attacher à proposer une réponse à ces questions. Tout d’abord intéressons nous à la thématique générale dans laquelle nous évoluons : la représentation de l’architecture et des processus mis en œuvre qui en découlent. Jean Paul Saint Aubin précise ainsi que « sous l’appellation représentation de l’architecture il est loisible de regrouper tout un ensemble de documents qui se propose de montrer, c’est-à-dire de donner à voir et de donner à entendre, l’architecture » [SA92]. Au corpus des formes multiples adoptées par la représentation architecturale traditionnelle, s’ajoutent les nouvelles possibilités offertes par les outils numériques : les maquettes numériques 3D. Par ailleurs, nous distinguons deux applications principales de la représentation architecturale : la première s’attache à la représentation d’éléments existants tandis que la seconde est essentiellement dédiée à la démarche de création et de projet et possède avant tout des fonctions heuristiques et de simulation. Nous allons nous concentrer dans cette thèse sur les modes de représentation à vocation patrimoniale car la seconde option n’est évidemment pas liée à un quelconque dispositif d’acquisition tridimensionnelle.
Dans le contexte de la modélisation architecturale réalisée à partir de données fournies par les dispositifs d’acquisition 3D, nous allons établir une distinction entre la phase d’acquisition et de traitement automatique des données et la phase de modélisation elle-même. Cette distinction se retrouve dans l’organisation de cette thèse puisque les étapes liées à l’acquisition feront l’objet d’un état de l’art et de comparatifs techniques préliminaires, tandis que la présentation des développements liés à l’étape de modélisation, objet de la problématique de notre travail, sera l’occasion de développer un processus initié par l’analyse théorique avant d’être associé à une démarche expérimentale. A l’instar de recherches récentes dans le domaine [DEL06] [ALB06], nous envisageons la phase de modélisation architecturale comme un passage de l’état brut de données géométriques, issues principalement de « l’interpolation géométrique de données métriques », vers une représentation architecturale, combinaison de la mesure et de son interprétation sémantique.
La phase d’acquisition de données ou de relevé sera abordée suivant l’angle documentaire dans l’état de l’art puis suivant l’angle expérimental : cette approche permet de prendre en compte tout d’abord l’éventail des possibilités de relevés tridimensionnels avant de nous concentrer plus spécifiquement sur les dispositifs que nous avons mis en œuvre : la lasergrammétrie terrestre et la photogrammétrie architecturale.
Après avoir limité notre champ d’investigation, nous allons maintenant répondre aux questions qui introduisaient ce chapitre, à savoir qui sont les principaux utilisateurs et quels sont les principaux objets de la modélisation architecturale à vocation patrimoniale. Le modèle architectural, nous l’avons souligné, est constitué de données géométriques précises, structurées et hiérarchisées par un opérateur. La vocation du modèle est donc double : il est à la fois un moyen de stocker et conserver des informations en vue d’une consultation ultérieure mais également la base de multiples opérations de représentation. En cela il peut servir de support de travail aux équipes en charge de la préservation et de la conservation d’un site et être le point de départ de simulations diverses, être un support de communication à vocation muséographique ou pédagogique, voire une combinaison de ces possibilités. Si nous nous référons au cadre normatif de la protection du patrimoine, la charte de Venise stipule que toute intervention sur un édifice devra être accompagnée d’une documentation précise et que cette documentation devra être accessible aux chercheurs. Les possibilités des outils que nous présentons ici permettent indubitablement de faciliter ce travail de mémoire et de communication. Les acteurs évoluant dans le cadre de la protection des monuments et de la sauvegarde du patrimoine seront donc les premiers utilisateurs de la modélisation architecturale dans le sens où ils pourront faire appel à l’ensemble des possibilités qu’offrent les techniques que nous présenterons. Il pourra ainsi s’agir d’institutions nationales ou internationales : par exemple les DRAC (Directions Régionales des Affaires Culturelles) dans chaque région de France, l’UNESCO au niveau international. Bien évidemment si nous débordons le cadre de la communication institutionnelle, le nombre d’intervenants se révèlera beaucoup plus important. La maquette numérique architecturale telle que nous la définissons est donc à vocation multiple et sera par conséquent polymorphe.
Le laboratoire dans lequel nous avons effectué notre travail de recherche est un laboratoire de recherche universitaire rattaché à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy, le Map-Crai (Centre de Recherche en Architecture et Ingénierie). Le Map-Crai poursuit des recherches autant fondamentales qu’appliquées dans « le domaine des modèles, de la simulation d’ouvrage, des méthodes et outils informatiques relatifs à la conception architecturale, urbaine et technique » [WWW Map-Crai]. Le Map-Crai est intégré au sein de l’unité mixte de recherche 694 MAP (Modèles et simulations pour l’Architecture, l’urbanisme et le Paysage), commune au CNRS et au Ministère de la Culture et de la Communication. L’UMR 694 MAP regroupe 5 laboratoires et effectue une recherche pluridisciplinaire. Le programme de recherche est organisé en quatre thèmes et ce travail se positionne dans le premier intitulé : « outils numériques et patrimoine architectural ». Ce thème intègre ainsi l’un des axes de recherche du Map-Crai qui s’intitule « Simulation et visualisation pour l’architecture ».
La numérisation 3D de données sensorielles en vue de constituer des modèles numériques 3D regroupe des techniques très diverses. Si certaines d’entre elles sont fondées sur des connaissances théoriques multiséculaires, d’autres mettent en œuvre les technologies les plus récentes. Nous allons donc établir au cours de cette partie un état de l’art des possibilités existantes dans le domaine extrêmement vaste et multiforme de l’acquisition de données spatiales destinées à la modélisation architecturale. Pour cela nous allons dans un premier temps présenter les principales méthodes d’acquisition existantes ainsi que leurs fondements théoriques voire historiques. Puis nous allons étudier les logiciels de traitement de ces données. Enfin nous allons conclure cette partie par une comparaison des principales techniques mises en œuvre et des connaissances acquises lors d’expérimentations communes entre le laboratoire du Map-crai de Nancy et le laboratoire du Map-page de Strasbourg. Ces travaux ayant fait l’objet de publications seront présentés dans cette thèse dans la partie consacrée à l’expérimentation.
Dans le cadre qui nous concerne, la modélisation architecturale à partir de la numérisation tridimensionnelle, de nombreuses technologies ont vu le jour au cours de la fin du XXe siècle, bien que leurs origines théoriques soient souvent plus anciennes. Les techniques de relevé 3D se distinguent en plusieurs grandes familles selon les dispositifs mis en œuvre. Nous allons les découvrir dans ce chapitre avant de nous concentrer plus précisément sur les dispositifs employés au cours des travaux qui sont présentés dans cette thèse : la numérisation tridimensionnelle à l’aide de capteur laser, ou lasergrammétrie, ainsi que la photogrammétrie architecturale.
Nous allons rappeler ici les origines historiques du relevé d’architecture tel qu’il a été théorisé au XVe siècle. Jean Paul Saint Aubin [SAU92] identifie deux « modalités de collecte des données», à savoir d’une part la voie initiée par le miroir de Brunelleschi, le châssis à réseau de Dürer et la vitre italienne qui aboutiront sur la photogrammétrie et d’autre part la voie initiée par les travaux de théorisation de la perspective d’Alberti [ALB53] pour la constitution du plan de Rome qui aboutiront des siècles plus tard à la création d’appareils de mesure tels que le théodolite et le distance mètre laser. Dans le premier cas c’est l’utilisation du plan de la perspective qui permettra la mesure des points de l’espace tandis que la seconde méthode se fonde sur la mesure des orientations et des distances. Il serait cependant inapproprié d’ignorer les passerelles tant théoriques que pratiques qui existent entre les deux voies qui de fait sont plus complémentaires que rivales. Ainsi, dès le début du XVIe siècle un autre grand théoricien de la perspective, Jean Pèlerin, relie dans ses travaux les figures géométrales à la perspective.
Après avoir abordé succinctement les fondements historiques du levé architectural nous allons nous intéresser aux dispositifs de mesure tridimensionnelle modernes. Afin de pouvoir mieux appréhender ces principaux dispositifs d’acquisition tridimensionnelle, nous présenterons dans un premier temps deux classifications. La première se fonde sur l’idée de différentes « familles technologiques », comme le présente François Goulette [GOU02] tandis que la seconde, que nous retrouvons dans les travaux de Raphaëlle Chaine [CHA00] ou de Juan Andres Restrepo Specht, [SPE05] fait le distinguo entre les approches passives et les approches actives. La présentation préalable de ces deux classifications complémentaires permet de cerner selon des angles différents et de façon générale les méthodes d’acquisition. Nous reviendrons ensuite plus en détail sur les dispositifs qui nous intéressent plus particulièrement.
La classification selon les familles technologiques différencie les dispositifs d’acquisition 3D selon qu’ils mettent en œuvre les techniques suivantes :
– palpage
– triangulation
– télémétrie
– méthodes passives .
La seconde classification différencie les matériels de mesure selon qu’ils émettent de l’énergie pour mesurer la scène ou non :
– les capteurs actifs
o la triangulation laser : laser point, laser ligne
o la télémétrie laser ou laser à « temps de vol »
o la projection de lumière structurée, moiré
o les capteurs acoustiques
– les capteurs passifs, de techniques exclusivement optiques :
o reconnaissance de relief à partir de l’éclairement
o la stéréovision
– les autres méthodes de capture
o les capteurs mécaniques sensibles, il s’agit de la technique du palpage
o l’imagerie par résonance magnétique, il s’agit d’une technologie plutôt employée dans le monde médical .
1 INTRODUCTION |