Architectes et archéologues étudient depuis de nombreuses années les possibilités d’appropriation des techniques modernes d’acquisition et de représentation permises par le développement de l’informatique afin de développer leurs champs d’investigations respectifs. L’évolution des techniques d’acquisition aboutit aujourd’hui à des relevés tridimensionnels précis extrêmement fiables et rapides à exécuter. Ces possibilités sont à l’origine d’une demande de modèles numériques 3D générés à partir de ces mesures et relevés. L’archéologie et l’architecture par essence, n’échappent pas à ce développement qui nécessite un grand nombre de modèles 3D et une modélisation spécifique que nous appellerons la modélisation architecturale. Les maquettes numériques tridimensionnelles ainsi obtenues vont ensuite constituer le support de représentations diverses. Nous allons dans un premier temps préciser ici le contexte articulé autour de l’axe acquisition-modélisation-représentation avant d’amener le lecteur vers notre problématique de travail visant à développer des outils numériques pour faciliter ces opérations.
La numérisation 3D de données sensorielles en vue de constituer des modèles numériques 3D regroupe des techniques très diverses. Si certaines d’entre elles sont fondées sur des connaissances théoriques multiséculaires, d’autres mettent en œuvre les technologies les plus récentes. Nous allons donc établir au cours de cette partie un état de l’art des possibilités existantes dans le domaine extrêmement vaste et multiforme de l’acquisition de données spatiales destinées à la modélisation architecturale. Pour cela nous allons dans un premier temps présenter les principales méthodes d’acquisition existantes ainsi que leurs fondements théoriques voire historiques. Puis nous allons étudier les logiciels de traitement de ces données. Enfin nous allons conclure cette partie par une comparaison des principales techniques mises en œuvre et des connaissances acquises lors d’expérimentations communes entre le laboratoire du Map-crai de Nancy et le laboratoire du Map-page de Strasbourg. Ces travaux ayant fait l’objet de publications seront présentés dans cette thèse dans la partie consacrée à l’expérimentation.
Dans le cadre qui nous concerne, la modélisation architecturale à partir de la numérisation tridimensionnelle, de nombreuses technologies ont vu le jour au cours de la fin du XXe siècle, bien que leurs origines théoriques soient souvent plus anciennes. Les techniques de relevé 3D se distinguent en plusieurs grandes familles selon les dispositifs mis en œuvre. Nous allons les découvrir dans ce chapitre avant de nous concentrer plus précisément sur les dispositifs employés au cours des travaux qui sont présentés dans cette thèse : la numérisation tridimensionnelle à l’aide de capteur laser, ou lasergrammétrie, ainsi que la photogrammétrie architecturale.
Nous allons rappeler ici les origines historiques du relevé d’architecture tel qu’il a été théorisé au XVe siècle. Jean Paul Saint Aubin [SAU92] identifie deux « modalités de collecte des données», à savoir d’une part la voie initiée par le miroir de Brunelleschi, le châssis à réseau de Dürer et la vitre italienne qui aboutiront sur la photogrammétrie et d’autre part la voie initiée par les travaux de théorisation de la perspective d’Alberti [ALB53] pour la constitution du plan de Rome qui aboutiront des siècles plus tard à la création d’appareils de mesure tels que le théodolite et le distance mètre laser. Dans le premier cas c’est l’utilisation du plan de la perspective qui permettra la mesure des points de l’espace tandis que la seconde méthode se fonde sur la mesure des orientations et des distances. Il serait cependant inapproprié d’ignorer les passerelles tant théoriques que pratiques qui existent entre les deux voies qui de fait sont plus complémentaires que rivales. Ainsi, dès le début du XVIe siècle un autre grand théoricien de la perspective, Jean Pèlerin, relie dans ses travaux les figures géométrales à la perspective.
Après avoir abordé succinctement les fondements historiques du levé architectural nous allons nous intéresser aux dispositifs de mesure tridimensionnelle modernes. Afin de pouvoir mieux appréhender ces principaux dispositifs d’acquisition tridimensionnelle, nous présenterons dans un premier temps deux classifications. La première se fonde sur l’idée de différentes « familles technologiques », comme le présente François Goulette [GOU02] tandis que la seconde, que nous retrouvons dans les travaux de Raphaëlle Chaine [CHA00] ou de Juan Andres Restrepo Specht, [SPE05] fait le distinguo entre les approches passives et les approches actives. La présentation préalable de ces deux classifications complémentaires permet de cerner selon des angles différents et de façon générale les méthodes d’acquisition. Nous reviendrons ensuite plus en détail sur les dispositifs qui nous intéressent plus particulièrement.
La classification selon les familles technologiques différencie les dispositifs d’acquisition 3D selon qu’ils mettent en œuvre les techniques suivantes :
– palpage
– triangulation
– télémétrie
– méthodes passives .
La seconde classification différencie les matériels de mesure selon qu’ils émettent de l’énergie pour mesurer la scène ou non :
– les capteurs actifs
• la triangulation laser : laser point, laser ligne
• la télémétrie laser ou laser à « temps de vol »
• la projection de lumière structurée, moiré
• les capteurs acoustiques
– les capteurs passifs, de techniques exclusivement optiques :
• reconnaissance de relief à partir de l’éclairement
• la stéréovision
– les autres méthodes de capture
• les capteurs mécaniques sensibles, il s’agit de la technique du palpage
• l’imagerie par résonance magnétique, il s’agit d’une technologie plutôt employée dans le monde médical .
Livio de Luca [DEL06] dans sa thèse traitant plus spécifiquement des problématiques liées à la modélisation architecturale fait la distinction entre les dispositifs de type photogrammétrie et balayage laser, il ajoute, pour ces derniers, une différenciation liée aux possibilités de l’appareil de mesure. C’est-à-dire qu’il distingue les scanners longue portée, basés sur la mesure du « temps de vol » des scanners à triangulation, basés sur des mesures angulaires à plus courte portée efficace. La distinction est donc réalisée sur les possibilités techniques plutôt que sur les technologies employées.
Par ailleurs si nous avons pu établir des classifications des différents dispositifs de capture en fonction des technologies qu’ils mettent en oeuvre, nous pouvons également faire une distinction entre les modes d’approches par rapport à l’objet mesuré. Trois situations se différencient assez nettement :
– L’objet mesuré est fixe et plusieurs capteurs permettent de capturer l’intégralité de la scène (cas 1)
– L’objet mesuré est fixe et le capteur est mobile, il prend plusieurs séries de mesures successives de l’objet étudié (cas 2). Cette situation suppose des possibilités ultérieures de référencement géométrique des différentes positions du capteur par rapport à l’objet mesuré. Cette situation est typique du cas des relevés architecturaux
– L’objet mesuré est disposé sur un plateau mobile, le capteur est fixe (cas 3) : cette situation se présente généralement dans le cas de mesure d’objets de petite taille.
Pour conclure cette partie introductive sur les dispositifs d’acquisition 3D, il apparaît que l’éventail des possibilités de capture tridimensionnelle s’avère extrêmement large et le choix de la technique de saisie de données est généralement un corollaire de la nature de l’objet à relever. Cependant il faut garder à l’esprit, et nous le verrons de façon plus approfondie dans les paragraphes suivants, la grande versatilité des techniques disponibles sur le marché.
Le laser constitue par excellence un objet du quotidien dont les caractéristiques physiques mais également les dispositifs techniques qui servent à le produire ne sont pas aussi triviaux qu’il pourrait le sembler de prime abord. Les différents dispositifs de mesure de distance utilisant des lasers employés lors des relevés d’architecture impliquent la mise en œuvre de principes physiques relativement complexes et de technologies évoluées. Nous allons donc dans un premiers temps revenir sur les caractéristiques essentielles de la technologie laser. Puis dans un deuxième temps nous allons étudier de façon plus approfondie les technologies liées aux différents capteurs lasers dans le domaine du relevé, c’est-à-dire les capteurs à triangulation laser et les capteurs laser à temps de vol.
1 INTRODUCTION |