ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE

L’opposition entre le SGP et le principe de nondiscrimination promu par l’OMC

Le SGP s’est traduit par une remise en cause de la clause NPF du système OMC, notamment de l’égalité de traitement entre pays de la même catégorie de développement, et opère une discrimination positive en faveur des pays en développement en contradiction avec le principe de non –discrimination de l’OMC. Cette contradiction sera par la suite illustrée par la jurisprudence SGP-drogues. Celle-ci considère que la discrimination entre pays en développement pourrait être acceptée, même si c’est sur la base de critères objectifs préalablement définis. Elle confère, pour la première fois, une base légale au cumul de préférences commerciales à la fois unilatérales et discriminatoires Dans le titre suivant, seront examinées une remise en cause de la clause NPF du système OMC par le SGP (Section I), ainsi qu’une contradiction illustrée par la jurisprudence dans l’affaire SGP-drogues (Section II). SECTION I : Une remise en cause de la clause NPF du système OMC par le SGP Elle s’est traduite par une remise en cause de l’égalité de traitement entre pays de la même catégorie de développement (Paragraphe I) et par une discrimination positive du SGP en faveur des pays en développement en contradiction avec le principe de non –discrimination de l’OMC (Paragraphe II). 

Remise en cause de l’égalité de traitement entre pays de la même catégorie de développement

Il s’agit là de la remise en cause de l’égalité de traitement entre pays de la même catégorie de développement. Cette dernière notion doit être précisée. En effet, il n’existe aucune définition généralement admise de la notion de « pays en développement ». Economistes, juristes et sociologues, tant marxistes que libéraux, sont en désaccord sur les critères permettant de déterminer si un pays est « développé » ou non. La notion même de « développement » est  parfois contestée. Elle présuppose que les pays qualifiés de « développés » constitueraient un idéal à atteindre, ce que certains nient ou, tout au moins, nuancent Différents critères de distinction ont été proposés. Pendant longtemps, le principal fut le produit intérieur brut des pays concernés28. Ce critère présente cependant l’inconvénient de réduire le développement au seul niveau de vie économique des habitants. Il ignore ainsi, toutes les transactions invisibles, non monétaires (troc, travail domestique…). Par conséquent, il était préférable de le compléter par d’autres critères, tels le taux d’alphabétisation de la population, la proportion de la population travaillant dans le secteur primaire… Ce travail fut réalisé, en 1990, par l’économiste indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie, et son collègue pakistanais Mahbub Ul Haq au sein du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Ils élaborèrent l’Indice de Développement Humain (IDH). Celui-ci prend en compte trois critères (l’espérance de vie à la naissance, le taux d’alphabétisation des adultes et le produit intérieur brut) pour déterminer un indice variant entre 0 (pauvreté absolue) et 1 (idéal). Le PNUD établit chaque année un rapport sur le développement humain dans le monde où les pays sont classés en trois catégories : IDH élevé (supérieur à 0,8) ; IDH moyen (situé entre 0,5 et 0,8) et IDH faible (inférieur à 0,5). Dans le rapport 2008, 75 pays29 figurent dans la catégorie IDH élevé. Sans remettre nullement en cause la valeur de cet indice, il parait utopique de considérer que ces Etats font tous partie de la catégorie des pays « développés ». Un critère purement politique peut être également utilisé. L’Assemblée générale des Nations Unies considère que les pays en développement sont les Etats membres du « Groupe des 77 », et que les pays développés font partie des Etats membres de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE)30. On peut ensuite recourir à un critère géographique en distinguant les pays du « Nord » (on parlait même de l’ « Ouest avant la chute du mur de Berlin) et ceux du « Sud » ou de la « périphérie »31 (ce qui malgré tout 27 Philippe Vincent, « L’OMC et les pays en développement » édition Larcier, pp. 12-15. 28 Ce critère est toujours utilisé à l’heure actuelle par la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) pour déterminer si un pays peut ou non avoir recours à ses prêts (voy. à ce sujet P. VINCENT, Institutions économiques internationales, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 284). 29 On y retrouve notamment la plupart des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la Lybie, les sultanats d’Oman et de Brunei, l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud (25e en 2008), Singapour, la Malaisie et les Seychelles. 30 A l’heure actuelle, l’OCDE compte 30 Etats membres (notamment la Corée du Sud, le Mexique et la Turquie. Des négociations ont été entamées en mai 2007 avec le Chili, l’Estonie, Israël, la Russie et la Slovénie. L’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Indonésie sont également candidats à l’adhésion. 31 Voy. notamment à ce sujet les analyses fondamentales de F. BRAUDEL, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1966 (2e éd.), et I. WALLERSTEIN, Le Système du monde, vol. I : Capitalisme et économie-monde : 1450-1640 et vol. II : Le mercantilisme et la consolidation 25 méconnait la situation géographique du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande). On peut enfin recourir au système de l’auto-élection, et décider que les pays en développement seront ceux qui réclameront cette qualité32. Quel que soit le critère choisi, un certain nombre de pays réclamant le statut de pays en développement se verront toujours exclus ; ils proposeront dès lors des critères alternatifs. La définition des « pays en développement » est d’autant plus difficile qu’il n’est plus possible de parler de ces pays comme d’un bloc homogène33. Il existe en effet peu de points communs entre le Burkina Faso, l’Arabie saoudite et le Brésil. Si ces trois pays réclament le statut de pays en développement, les plus riches d’entre eux ont un niveau de vie (et un indice de développement humain) plus proche de celui des pays reconnus comme développés (voire supérieur à certains d’entre eux) que de celui des pays en développement les plus pauvres. Au vu de la situation actuelle, il semble que l’on puisse opérer une distinction entre (au moins) trois catégories de pays en développement. La première catégorie regrouperait les « nouveaux pays industrialisés » (NPI). Le terme fut forgé en 1979 par l’OCDE34. Il désigne les pays en développement connaissant une croissance rapide du niveau absolu de l’emploi dans le secteur industriel, une part des exportations de produits industriels dépassant 25 % des exportations totales et une diminution rapide de l’écart existant entre leur revenu réel par habitant et celui des pays industriels avancés. En 1979, l’OCDE qualifiait de « nouveaux pays industrialisés » le Brésil, le Mexique, la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan, ainsi que l’Espagne, la Grèce, le Portugal et la Yougoslavie35. La même année, la Banque mondiale ajoutait à cette liste l’Argentine, la Colombie, l’Egypte, Israël, les Philippines et la Turquie36. A l’heure actuelle, il parait de l’économie monde européenne, Paris, Flammarion, 1980, et Impenser la science sociale : pour sortir du XIXe siècle, Paris, PUF, 1991. 32 Pour d’autres tentatives de définition, voy. par ex, I. WALLERSTEIN, « Le développement du concept de développement », Sociologie et société, 1982, pp. 133-141 ; A. LIPIETZ, Mirages et miracles. Problèmes de l’industrialisation dans le Tiers monde, Paris, La Découverte, 1985, p. 19 ; G. RIST, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de la Fondation nationale de Sciences politiques, 1996, pp. 26-36, ainsi que la poignante étude de W. VOLLMANN, Pourquoi êtes-vous pauvres ?, Paris, Actes Sud, 2008. 33 Voy. à ce sujet S. BRUNEL (éd.) Tiers mondes. Controverses et réalités, Paris, Economica, 1987 ; R. CHAPUIS et T. BROSSARD, Les quatre mondes du Tiers monde, Paris, Armand Colin, 1997 (2e éd.) ; I. WALLERSTEIN, « De Bandung à Seattle : c’était quoi le tiers-monde ? », Le Monde diplomatique, août 2000, pp. 18-19. 34 OCDE, L’incidence des nouveaux pays industrialisés sur la production et les échanges de produits manufacturés, Rapport du Secrétaire général, Paris, OCDE, 1979. 35 A l’heure actuelle, nul ne remet cependant en question la qualité de pays développé de ces quatre derniers pays (ou de leurs successeurs, dans le cas de la Yougoslavie). Pour les quatre pays et territoires du Sud-Est asiatique, la question de la pertinence de leur maintien dans la catégorie des pays en développement se pose également. 36 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 1979. Croissance et équité dans les nations semi-industrialisées, Washington, Banque mondiale, 1980. 26 raisonnable d’inclure également dans la liste des NPI l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, l’Ile Maurice, ainsi que l’Inde et la Chine. La croissance internationale de ces pays, de même que l’augmentation de leur part du commerce international ces trente dernières années, sont impressionnantes. Cependant, certains de ces pays rechignent devant cette qualification. Ils craignent en effet qu’elle leur fasse perdre la qualité de « pays en développement » et par conséquent les avantages qui y sont liés37. En effet, la qualité de NPI ne devrait pas exclure automatiquement un Etat de la catégorie des pays en développement. Certains de ces pays, même s’ils connaissent un succès indéniable dans leur processus d’industrialisation, continuent à souffrir d’un PIB extrêmement bas. Celui-ci est parfois supérieur à peine à 1000 dollars par habitant et par an. En 2006, le PIB annuel par habitant de l’Indonésie était de 1420 dollars, celui des Philippines de 1390 dollars38. Par conséquent, leur caractère de « pays en développement » ne peut pas être nié. De plus, comme l’avait cruellement illustré la crise qui frappa le Sud-est asiatique à la fin de 1997, les bases sur lesquelles repose l’économie de ces pays restent encore fragiles. Leur situation économique peut se dégrader très rapidement. La crise actuelle en est la preuve39 . A l’autre bout de l’échelle, une deuxième catégorie reprendrait les « pays les moins avancés » (PMA), les plus pauvres des pays en développement. Ceux-ci sont définis depuis 1971 par le Comité de la planification du développement de l’Organisation des Nations Unies comme les pays connaissant un produit intérieur brut bas40, un retard dans le développement humain (qui a remplacé le taux d’analphabétisation égal ou supérieur à 80%) et une vulnérabilité économique en raison du manque de diversification de la production et des exportations41 . En 2010, 50 pays remplissent les conditions pour entrer dans cette catégorie42. Ils étaient 25 en 1971, 31 en 1979, 41 en 1990 et 48 en 1997. Leur nombre ne fait donc qu’augmenter 37 Voy.par ex. L. LIM, « US Trade Policy Toward the NICs of Southeast Asia », Michigan Journal of International Law, 1990, pp. 466-471 38 Banque mondiale, Rapport annuel 2008, Washington, Banque mondiale, 2008. 39 Pour de plus amples développements sur les NPI, voy. P. JUDET, Les nouveaux pays industrialisés, Paris, Editions ouvrières, 1986 (2e éd.), et B. BALASSA, Les nouveaux pays industrialisés dans l’économie mondiale, Paris, Economica, 1986. 40 En 2009, moins de 900 dollars par habitant et par an. 41 Voy .G. DE LACHARRIERE, « Identification et statut des pays moins développés », AFDI, 1971, pp. 461- 482 42 L’Afghanistan, l’Angola, le Bangladesh, le Bénin, le Bhoutan, le Burkina Faso, le Burundi, le Cambodge, les Iles du Cap-Vert, les Comores, la RDC, Djibouti, l’Erythrée, l’Ethiopie, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, Haïti, Kiribati, le Laos, le Lesotho, le Libéria, Madagascar, le Malawi, les Maldives, le Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Myanmar, le Népal, le Niger, l’Ouganda, la République centrafricaine, le 27 d’année en année, témoignant de la paupérisation des pays du Sud (principalement d’Afrique subsaharienne). Ces pays sont totalement marginalisés sur la scène commerciale internationale, puisqu’ils représentent moins de 0,5% du commerce mondial43 . Une troisième catégorie reprendrait (en vrac) tous les autres pays en développement. Elle serait loin d’être homogène. Elle regrouperait en effet des pays aussi différents que le Koweït (29e au classement IDH), le Sri Lanka (104e ), le Pakistan (139e ) et la Côte d’Ivoire (166e sur 179, et pourtant non considérée comme PMA). Un grand nombre de sous-distinctions restent par conséquent possibles au sein de ce groupe. On peut par exemple mettre en exergue les pays exportateurs de pétrole. Ceux-ci bénéficient d’un PIB nominal généralement élevé et d’un classement IDH flatteur. Leur prospérité est cependant fragile, car basée sur l’exportation d’un seul produit de base qui, de surcroit, est non renouvelable. Une fois les réserves de pétrole épuisées, certains de ces pays pourraient rapidement rejoindre la catégorie des PMA, en l’absence d’efforts de diversification économique. Le GATT a toujours eu une approche assez pragmatique du problème de la définition des pays en développement. Ceux-ci étaient définis comme les parties contractantes « dont l’économie ne peut assurer à la population qu’un faible niveau de vie et qui n’en sont qu’au premier stade du développement économique »44. En 1957, ces critères furent quelque peu explicités. Ils se référaient au PNB des pays concernés et à la proportion de leur population employée dans l’agriculture, les mines et le secteur de la construction45. Aucun problème d’interprétation de ces critères ne fut toutefois jamais soulevé. Lorsque le Système des préférences généralisées fut mis en place, le système de l’auto-élection des pays en développement bénéficiaires fut préféré à l’établissement de listes ou de critères de distinction. L’Organisation mondiale du Commerce a opté, elle aussi, pour le système de l’auto-élection. Chaque membre détermine lui-même s’il se considère comme « développé »ou « en développement ». Les autres membres peuvent cependant lui refuser le statut de « pays en développement », notamment dans le cadre de l’application du Système généralisé des préférences (SGP). Rwanda, les Iles Samoa, les Iles Salomon, Sao Tomé-et-Principe, le Sénégal, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan, la Tanzanie, le Tchad, le Timor oriental, le Togo, Tuvalu, Vanuatu, le Yémen et la Zambie. 43 CNUCED, Profil statistique des pays les moins avancés, Genève, 2005. 44 Article XVIII 45 IBDD, supp. n°7, p. 92. 28 La clause de la nation la plus favorisée stipule que tout avantage commercial accordé par un pays à un autre, doit être immédiatement accordé à la totalité des parties contractantes du GATT. Autrement dit, ce qui est accordé à l’un est accordé à tous, sans discrimination. Elle débouche sur une généralisation immédiate de tout effort d’ouverture de la part d’un pays et est assortie de deux caractères. Elle est générale, en ce qu’elle ne s’applique pas uniquement aux droits de douanes, mais à toute mesure, extérieure ou domestique, adoptée par un Etat pour réglementer les flux d’exportation et d’importation. Elle est ensuite inconditionnelle, son application ne pouvant pas constituer un objet de négociation entre Etats. Elle admet cependant deux types importants d’exception qui constituent une limite à son application inconditionnelle.46 Le premier type concerne les préférences commerciales accordées aux pays en développement. Il s’agit de régimes commerciaux plus favorables visant à favoriser le développement de ces pays. Ce type de régime dérogatoire à la clause NPF est reconnu, par les accords de l’OMC, au titre du Système des Préférences Généralisées. Le second type d’exception concerne les accords d’intégration économique régionale ou Accords Commerciaux Régionaux (ACR) qui sont des accords par lesquels un ensemble de pays s’accordent réciproquement des avantages commerciaux préférentiels. Ces avantages sont alors réservés aux pays membres de l’accord et refusés aux autres. Dans le cadre du GATT et de l’OMC, ce type d’exception est régi par l’article 24. Celui-ci conditionne l’exception à la clause NPF à l’existence d’une Union Douanière, d’une Zone de Libre Echange ou d’Accords régionaux provisoires. Avant la Seconde Guerre mondiale, la clause de la nation la plus favorisée faisait l’objet de négociations bilatérales47. Elle ne concernait, par ailleurs, que les droits de douane. Le GATT a apporté deux modifications importantes au principe48 . La première particularité de l’article Ier du GATT réside dans la multilatéralisation de la clause de la nation la plus favorisée. Son application a été étendue d’emblée à toutes les parties contractantes du GATT. Par conséquent, celles-ci peuvent l’invoquer pour pouvoir bénéficier de n’importe quel traitement préférentiel accordé par n’importe laquelle d’entre 46El hadj Abdourahmane Diouf L’Afrique et le droit à la différence dans les négociations commerciales internationales ,p 40. 47 Parmi les nombreux ouvrages consacrés à la clause de la nation la plus favorisée, on citera P.PESCATORE, « La clause de la nation la plus favorisée dans les relations multilatérales », Annuaire de l’Institut de Droit International, 1969, pp 1-291 ; E. SAUVIGNON, La clause de la nation la plus favorisée, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1972 (liste non exhaustive). 48 Philippe Vincent, « L’OMC et les pays en développement » édition Larcier pp 41-42 . 29 elles à n’importe quelle autre. Mais cette règle connait cependant un certain nombre d’exceptions. La clause de la nation la plus favorisée n’est pas applicable aux préférences antérieures à la conclusion du GATT49. Elle ne s’applique pas non plus aux avantages que se concèdent entre eux les membres d’une intégration économique régionale, union douanière ou zone de libre-échange50 . La seconde particularité réside dans l’extension du champ d’application de la clause. L’article Ier a été rédigé de manière extrêmement large. Selon ce texte, « tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partie contractante à un produit originaire ou à destination de tout autre pays, seront immédiatement et sans condition, étendus à tout produit similaire originaire ou à destination de toutes les autres parties contractantes. Cette disposition concerne les droits de douane et les impositions de toute nature perçues à l’importation ou à l’exportation ou à l’occasion de l’importation ou de l’exportation, ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fonds effectués en règlement des importations ou des exportations, le mode de perception de ces droits et impositions, l’ensemble de la réglementation et des formalités afférentes aux importations ou aux exportations… ». La clause du traitement de la nation la plus favorisée a par conséquent un spectre d’application extrêmement large. Il est d’autant plus large que la clause s’applique aussi bien aux importations qu’aux exportations, et qu’elle ne se limite pas aux produits identiques, puisqu’elle s’étend également aux produits similaires. En effet, l’article Ier du GATT 1947 est on ne peut plus clair ici : le traitement général de la nation la plus favorisée ne porte que sur les produits importés (ou exportés) pour peu que ceux-ci soient similaires51(…). Cette clause interdit ainsi toute discrimination tant de jure que de facto entre les produits importés similaires ainsi que devait le reconnaître l’organe d’appel de l’ORD dans l’affaire Canada-certaines mesures affectant l’industrie automobile décidée le 31 mai 2000 (en l’espèce, un avantage douanier n’avait pas été accordé par le Canada à tous les véhicules similaires en provenance de tous les pays membres de l’OMC). La clause ne couvre que les produits importés ou exportés similaires ; cette expression de produit similaire étant fréquemment utilisée dans le corps de l’Accord général52 . Il est bien clair que ce concept de « produits similaires » – quel que soit le contexte dans lequel il est utilisé et qu’il soit à apprécier par rapport aux produits importés ou nationaux – constitue une source certaine de 49 Article Ier, al 2 . 50 Article 24. 51 Dominique Carreau, Patrick Juillard, Droit international économique, 4eme édition, Dalloz pp 208-209 . 52 Voir par exemple les articles I.1., II.2., III (2) et (4), VI (1) a) et b) ; IX.1., XI.2., XIII (1), XVI.4 ou XIX (1). 30 difficultés. A des fins protectionnistes, les Etats sont à l’évidence tentés par l’affirmation de la spécificité des produits qu’ils entendent traduire pour une classification douanière particulière et, bien entendu, défavorable aux exportateurs étrangers. Comment ici ne pas rappeler les termes d’anthologie du tarif conventionnel allemand d’avant 1914 qui, dans sa position n°107, singularisait le « gros bétail tacheté de montagne ou bétail à robe brune élevé dans une localité située à 300 mètres au moins au-dessus de la mer et séjournant au moins chaque année dans des pâturages situés à 800 mètres au moins au-dessus du niveau de la mer ? ». Ainsi, grâce à une spécialisation poussée – et ici outrancière- des produits par le biais du tarif douanier, un pays peut grandement limiter la portée de ses concessions commerciales et rendre le jeu de la clause de la nation la plus favorisée vide de sens. Pour éviter ce phénomène, le GATT a utilisé le concept plus large de « produit similaire ». Or, faute de définition de ce concept clé (mais était-ce scientifiquement possible ?), il a fait l’objet d’appréciations au cas par cas par des « groupes spéciaux » (panels). C’est ainsi, par exemple, qu’il a été estimé que « produit similaire » ne voulait pas dire « produit directement concurrent », ni même « produit directement substituable » : ainsi les protéines végétales sont-elles différentes des protéines d’origine animale ou marine ainsi que des protéines de synthèse53 ? Si la science pouvait être ici invoquée, parfois il est fait référence au « goût et à l’arôme » des produits, pour savoir s’ils sont similaires ou non : ainsi les cafés non torréfiés et non décaféinés devraient être considérés comme des produits similaires, de même que le cafés « arabica non lavé », robusta et café doux !54 Un « groupe spécial », fonctionnant à l’époque du GATT sur les « Ajustements fiscaux aux frontières », devait poser les quatre critères généraux nécessaires pour assurer la « similarité » d’un produit par rapport à un autre ; il convenait ainsi d’examiner les propriétés, nature et quantités desdits produits, les utilisations finales de ceux-ci, les goûts et habitudes des consommateurs et enfin, le classement tarifaire des produits. Une décision récente de l’organe d’appel de l’OMC, dans l’affaire « Communautés européennes – Mesures affectant l’amiante et des produits en contenant »55, devait reconnaître toute la pertinence de cette analyse qui gardait son actualité. 53 Voir Guide des Règles et Pratiques du GATT pp.40-41. 54 Ibid. pp. 41-42 . 55 12 mars 2001, WT/ DS 135/DB/R . 31 La clause couvre tous les « avantages, faveurs, privilèges ou immunités » que des pays peuvent accorder à l’échange de leurs produits56 ; en bref, toutes les concessions commerciales qu’ils sont amenés à négocier. Celles-ci sont susceptibles de revêtir des formes fiscales (droits de douane ou imposition de toute nature à l’importation, octroi de licence d’importations) ou non-tarifaires (mode de perception des droits ou formalités douanières, par exemple). Sont en outre visées, les « taxes ou autres impositions intérieures » ainsi que la « commercialisation » des produits telles que mentionnées à l’article III (2 et 4). De plus, l’Accord général étend spécifiquement le jeu de la clause aux marques d’origine pour ce qui concerne leur « marquage »57 ou aux pratiques commerciales des entreprises d’Etat58 . En effet, l’Organe d’appel n’est pas encore parvenu à dégager une définition précise du concept de « similarité »59. Celle-ci doit presque faire l’objet d’une étude au cas par cas, l’Organe d’appel l’ayant comparée à « un accordéon pouvant s’étirer ou se resserrer en fonction des circonstances »60. La jurisprudence a dégagé quatre critères permettant d’apprécier la « similarité » des produits : les propriétés physiques des produits concernés, leur utilisation finale, les goûts et les habitudes des consommateurs, ainsi que la nomenclature de l’Organisation mondiale des douanes. S’agissant du premier, les caractéristiques intrinsèques des produits (propriétés, nature, qualités) sont un premier critère permettant de tester leur similarité. Dans l’affaire Communautés européennes – mesures affectant l’amiante et les produits en contenant61 , l’Organe d’appel considéra que les matériaux de construction contenant de l’amiante exportés du Canada vers la France n’étaient pas similaires aux substituts nationaux français (fibres d’APV, de cellulose et de verre), en raison de leur plus grande dangerosité pour la santé publique. Pour le second, deux produits présentant des caractéristiques différentes peuvent néanmoins être interchangeables dans l’usage que les consommateurs en font. Dans l’affaire Etats-Unis – taxes sur le pétrole et certains produits d’importation, le rapport de panel considéra que le pétrole brut et les hydrocarbures liquides devaient être considérés comme similaires, au motif 56 Article I.1 . 57 Article IX (1). 58 Article XVII (1). 59 Philippe Vincent, Institutions Economiques Internationales, Droit International, éditions Larcier, 2e édition, pp. 100-102 . 60 Voy. l’aff. Japon – taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS 8 et 10/AB/R, p.24. 61 Aff. WT/DS 135. 32 qu’ils avaient essentiellement les mêmes utilisations finales62. Dans l’affaire Japon – taxes sur les boissons alcooliques, le rapport de panel condamna le Japon pour avoir taxé plus lourdement les whiskies et brandies que les alcools japonais similaires63 . Les goûts et les habitudes des consommateurs, variables d’un pays à l’autre, peuvent avoir pour conséquence que deux produits présentant des caractéristiques physiques proches et une utilisation finale semblable soient néanmoins considérés comme n’étant pas similaires. Dans l’affaire Etats-Unis – mesures affectant les boissons alcooliques et les boissons à base de malt64, le panel a considéré que les bières à faible teneur d’alcool et celles à haute teneur d’alcool ne pouvaient pas être considérées comme des produits similaires, car elles étaient commercialisées dans des secteurs différents du marché. Enfin, l’Organisation mondiale des douanes (qui a succédé, en 1994, au Conseil de coopération douanière) a adopté, en son sein, le « Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises », afin d’aider les Etats membres à classer les marchandises en vue de leur appliquer les droits de douane et les éventuelles législations de politique commerciale adéquats. Ce classement peut servir d’inspiration pour la détermination du caractère similaire ou non de marchandises. Dans l’une des premières affaires tranchées par le GATT, le sulfate d’ammonium et le nitrate de sodium furent considérés comme deux fertilisants différents, en raison d’une différence de classement dans les nomenclatures tarifaires australienne et britannique65. Dans l’affaire Communauté européenne – Classement tarifaire de certains matériels informatiques66, l’Organe d’appel a rappelé la pertinence du Système harmonisé et de ses notes explicatives pour la détermination de la position tarifaire du matériel de réseau local (LAN) par la Communauté européenne

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Table des matières

e
SIGLES ET ABREVIATIONS
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : . 21
LA DISCORDANCE ENTRE LES DEUX CHAMPS NORMATIFS . 21
TITRE I : 22
LA CONTRARIETE DES PREFERENCES TARIFAIRES AVEC LE PRINCIPE DE NON
DISCRIMINATION PROMU PAR L’OMC . 22
CHAPITRE I : L’opposition entre le SGP et le principe de non- discrimination promu par
l’OMC 23
CHAPITRE II : La contrariété entre les préférences spéciales et le principe de nondiscrimination promu par l’OMC . 68
TITRE II : . 115
L’INCOMPATIBILITE DES PREFERENCES TARIFAIRES AVEC LE PRINCIPE DE
RECIPROCITE PROMU PAR L’OMC 115
CHAPITRE I : La contrariété du SGP avec le principe de réciprocité promu par l’OMC 117
CHAPITRE II: La contrariété des préférences spéciales avec le principe de réciprocité promu
par l’OMC 138
DEUXIEME PARTIE : 161
LA MISE EN COHERENCE PROGRESSIVE DES DEUX CHAMPS NORMATIFS. 161
TITRE I : 163
LE CARACTERE PROVISOIRE DU SGP . 163
CHAPITRE I: L’insertion d’une clause évolutive dans le SGP . 164
CHAPITRE II : Une entorse aux règles de l’OMC justifiée par l’exception de l’art 24 du
GATT et l’inégalité compensatrice 185
TITRE II : . 218
L’ADAPTATION PROGRESSIVE DES DIFFERENTS MECANISMES DEROGATOIRES
DE L’OMC . 218
CHAPITRE I : La libéralisation graduelle du commerce . 219
CHAPITRE II : La mise en conformité des accords avec le principe de non-discrimination de
l’OMC 294
CONCLUSION 309
BIBLIOGRAPHIE

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