Analyse des entretiens considérations générales
Les options méthodologiques pour analyser nos entretiens se présentent aussi variées que nombreuses, d’autant plus que l’horizon disciplinaire où elles évoluent dépasse largement le domaine sociologique. Toutefois, il est évident que les objectifs tracés pour chaque recherche ainsi que la spécificité définie pour chaque objet d’étude suggèrent le choix de certaines approches et l’abandon d’autres. Nous avons indiqué plus haut, très brièvement et de façon assez générale, que notre enquête par entretien tente de mettre en avant l’univers de significations sous-jacentes à la prédilection manifestée par les amateurs de MIA. Or, ceci exige de notre part deux précisions d’importance. Premièrement, l’analyse qui suit portera exclusivement sur les textes retranscrits des entretiens. Nous concentrerons donc nos efforts d’analyse sur le support verbal repérable dans les enregistrements que nous avons pu réaliser. Certes, nous nous sommes bien gardé de ne pas négliger d’autres facettes signifiantes propres à la situation d’entretien (gestes, expressions du visage, intonations, etc.), mais l’ampleur et la spécificité propres à l’analyse conversationnelle, qui demande à elle seule la mobilisation d’un appareil théorique considérable, nous ont contraint à considérer ces éléments de manière subsidiaire. Autrement dit, nous les avons utilisés exclusivement en appui d’une analyse focalisée sur le sens véhiculé par la mise en mots opérée dans tout entretien. Deuxièmement, et compte tenu de la diversité d’approches envisageables, une telle tâche suppose de la part du chercheur une certaine conception du texte retranscrit, ou plus exactement elle suppose l’attribution d’un statut à la parole des interviewés. Nous avons déjà avancé plus haut quelques précisions allant dans ce sens, en mettant en avant, avec D. Bertaux, la forme narrative de la production discursive du sujet : l’interviewé raconte en fait une histoire –indépendamment du fait qu’il s’agisse de sa propre histoire – qui est configurée autour d’une succession temporelle d’événements et de situations. Dans cette perspective, raconter une histoire ne se réduit pas à expliquer, décrire ou juger des situations vécues – même si ces éléments sont intégrés dans toute narration – mais suppose une certaine trajectoire de vie ainsi que l’imbrication des épisodes qui la constituent. Ceci, même si cette trajectoire est partielle ou si elle n‘est pas exprimée de manière chronologique.
Néanmoins, cette conception de la parole recueillie concerne le statut de l’expérience de l’interviewé telle qu’elle est racontée dans le cadre d’une situation d’entretien, et non pas le statut de la transcription en mots que la personne interrogée fait de cette expérience ni de ce qu’elle a voulu dire par l’intermédiaire de cette transcription. Afin que le récit du vécu des interviewés ne devienne pas l’objet d’une application méthodologique aux contours flous, il est donc nécessaire de se doter d’un appareil conceptuel et analytique plus spécifique, capable de rendre compte d’un double phénomène : d’un côté, l’énonciation de « faits » opérée par le locuteur, et d’un autre côté le regard et le positionnement de ce dernier par rapport aux faits énoncés1. Tout cela exige d’abord que le travail d’analyse s’occupe, au moins en partie, de la plate-forme même sur laquelle la mise en mots s’édifie, le langage, dans le but de jeter une lumière sur les éléments qui expliquent la construction de la « parole » chez les différents interviewés. En disons cela, nous adoptons une perspective qui considère, comme le signale Alain Blanchet, que l’entretien « est un dispositif de « mise en langue » et « d’usage de la langue » »2, d’où la pertinence de s’appuyer sur des théories du langage qui « traitent des fonctions langagières »3. A. Blanchet rappelle à ce propos que le langage aurait une première fonction, signifier, qui concerne à la fois l’attribution d’une signification aux « faits » traduits en langue par l’interviewé.