Optimisation rationnelle des performances énergétiques et environnementales d’une centrale
Analyse exergétique
L’exergie permet de décrire l’évolution de la qualité de l’énergie disponible dans un système. Elle se base à la fois sur le premier principe de la thermodynamique stipulant que l’énergie dans un système se conserve, et sur le second principe de la thermodynamique selon lequel toute transformation réelle est irréversible.
Définition de l’exergie
Lorsque deux systèmes à des états thermodynamiques différents interagissent entre eux pour parvenir à un état d’équilibre, il est possible d’en extraire du travail utile. Ainsi, n’importe quel système ou source d’énergie se trouvant dans un état différent de l’état de son environnement extérieur produira du travail utile pour parvenir à un état d’équilibre avec ce dernier. 12 Parmi les nombreuses définitions de l’exergie que l’on peut trouver dans la littérature, celle donnée par Benelmir (2002), particulièrement explicite, a été retenue : « l’exergie d’une certaine quantité de matière contenue dans un système est une mesure du potentiel de production (ou de récupération) d’un travail maximal (ou minimal) par le super-système (constitué du système et de son milieu ambiant), qui permettra à cette quantité de matière d’être ramenée de son état initial à un état d’équilibre inerte avec le milieu ambiant ». Ainsi, l’exergie est la mesure du travail utile total que renferme un système par rapport à un environnement de référence.
Environnement de référence
Tout d’abord, afin de mener une analyse exergétique, il est nécessaire de définir un environnement de référence, « état mort » ou encore « milieu ambiant » d’après la définition de l’exergie donnée dans la partie
Le choix de cet environnement de référence est arbitraire mais pour l’analyse de systèmes terrestres, il est courant d’adopter la surface de la Terre comme référence. L’environnement de référence défini par Szargut et al., [Szargut et al., 1988] est largement utilisé et reconnu [Hinderink et al., 1996]. Cet ouvrage décrit l’environnement de référence en termes de composition moyenne de l’atmosphère terrestre, de l’eau de mer et de la croûte terrestre pour un état de référence T0 et P0 de 25 °C et 1 atmosphère.
Exergie contenue dans un flux de matière
Pour une étude exergétique dans un procédé, l’exergie liée à l’énergie cinétique et à l’énergie potentielle est négligeable. L’exergie d’un flux de matière est alors composée de deux termes : l’exergie chimique et l’exergie physique. Ex = Exchem + Exphy (1.1) a. L’exergie chimique L’exergie chimique d’un flux de matière se réfère à la partie de l’exergie résultant de la différence de potentiel chimique (évalué dans les conditions de référence T0, P0) entre les espèces présentes dans le procédé (à une certaine concentration) et ces mêmes espèces dans l’environnement de référence. Ainsi, à partir des exergies chimiques des éléments purs à l’état de référence Ex0 chem déterminées par Szargut et al. (1988), il est possible de déterminer l’exergie chimique d’espèces qui ne sont pas présentes dans l’environnement de référence en considérant la réaction de formation de celles-ci à partir des éléments dans l’état de référence. Ainsi, on a : 13 (1.2) où fG 0 i est l’enthalpie libre de formation de l’espèce i (à T0 et P0) ; Ex0 chem,i l’exergie chimique à T0, P0 d’une espèce i ; Ex0 chem,j l’exergie chimique à T0, P0 de l’élément pur j présent dans l’espèce i et vj le coefficient stœchiométrique de l’élément j dans l’espèce i. A partir de la valeur de l’exergie chimique de chaque espèce présente dans un flux, il est possible de calculer l’exergie chimique du flux par la relation suivante : (1.3) b. L’exergie physique L’exergie physique d’un flux à une température T et une pression P représente le travail maximal récupérable lorsque ce flux est amené à l’équilibre thermomécanique avec l’environnement (à T0, P0) de manière réversible et en échangeant la chaleur uniquement avec l’environnement à une température T0. L’exergie physique d’un flux de matière est alors calculée par la relation suivante : (1.4) H et S étant respectivement l’enthalpie et l’entropie du flux de matière à la température et à la pression du système (et prenant ainsi en compte les effets de mélange).
Cas des énergies mécanique, électrique et thermique
De par la définition de l’exergie, l’énergie mécanique et l’énergie électrique sont de l’exergie pure si on suppose la non création d’entropie [Lallemand, 2007]. L’énergie thermique, quant à elle, ne peut, même réversiblement, être transformée intégralement en travail à moins d’avoir recours à une source froide dont la température est nulle. En effet, la transformation d’une certaine quantité de chaleur Q à la température T en travail W nécessite l’utilisation d’un moteur de Carnot rejetant une partie de l’énergie thermique à la source froide. La source froide dans un système industriel étant l’air ambiant, l’exergie contenue dans un flux de chaleur à une température T est donnée par la relation suivante : cQ (1.5) avec Ex l’exergie disponible dans la quantité de chaleur, Q la quantité de chaleur disponible dans la source d’énergie étudiée et c le rendement du cycle de Carnot (facteur de Carnot) défini comme suit : (1.6) où Tamb est la température ambiante et T la température de la source d’énergie thermique.
Pertes exergétiques
Contrairement à l’énergie, l’exergie peut être détruite durant un processus donné et cette destruction résulte principalement des irréversibilités liées au procédé lui-même et de la génération d’entropie liée à ce procédé [Le Goff, 1979]. Ainsi, la destruction d’exergie, notée ExD, est, selon la loi de Gouy-Stodola, proportionnelle à la somme des augmentations d’entropie (entropie interne créée, notée S) des différents flux d’énergie composant un système [Cornelissen, 1997] : (1.7) Dans une transformation réelle, des pertes exergétiques interviennent inévitablement. Ces dernières sont causées par les frictions (mécaniques ou hydrauliques), les irréversibilités dues à des transferts de chaleur (avec un écart de température fini) ou encore les irréversibilités dues à la diffusion (avec un écart de concentration fini) [Szargut, 2001].
Bilan exergétique
Le bilan exergétique d’un système est obtenu en combinant le premier et le second principe de la thermodynamique. Le bilan enthalpique d’un système ouvert en régime permanent susceptible d’échanger du travail, de l’énergie thermique et de la matière avec le milieu extérieur est donné par : (1.8) avec le travail, l’énergie thermique, la chaleur cédée à l’environnement et le débit de matière. 15 Le bilan entropique du même système étant : (1.9) Ainsi, le bilan exergétique est obtenu en soustrayant au bilan enthalpique le produit de T0 et du bilan entropique : (1.10) Trois termes peuvent être distingués dans ce bilan : l’exergie entrant dans le système, l’exergie sortant du système et l’exergie détruite, positive ou nulle de par la définition de l’entropie créée, qui correspond aux irréversibilités dans le système.
Rendement exergétique
De nombreuses définitions du rendement exergétique sont disponibles dans la littérature [Kotas, 1980 ; Tsatsaronis, 1993 ; Brodyansky, 1994]. La définition la plus générale du rendement exergétique qui sera considérée est la suivante : (1.11) avec Exout la somme des exergies sortant du système et Exin la somme des exergies entrant dans le système. Sachant que Exin = Exout + ExD, on peut aussi écrire : (1.12)
Outils d’analyse exergétique
De nombreuses méthodes d’analyse exergétique appliquées aux procédés ont émergé et différents outils d’analyse exergétique, intégrés ou non à des simulateurs de procédés, ont été développés. Une revue de différents outils permettant de réaliser des analyses exergétiques a été réalisée par Ghannadzadeh et al. (2012). Parmi ces outils, le logiciel commercial ExerCom, utilisé entre autres par 16 Fu et Gundersen (2010) pour réaliser l’analyse exergétique d’un procédé de captage du CO2 par oxycombustion, a été retenu du fait de sa compatibilité avec le logiciel de simulation de procédés utilisé. ExerCom est un logiciel permettant l’obtention de l’exergie comme paramètre de sortie dans les logiciels de simulation de procédés commerciaux Aspen Plus et Pro/II. Il a été développé par Jacobs Consultancy à partir des travaux de Hinderink et al. (1996). L’environnement de référence proposé par Szargut est adopté. L’exergie est ici considérée comme étant composée de trois termes : l’exergie chimique, l’exergie physique et l’exergie de mélange. En effet, ici, outre l’exergie chimique qui est calculée suivant la méthode décrite dans la partie 1.4.3, l’exergie physique est calculée comme la somme des exergies physiques contenues dans chaque espèce pure présente dans un mélange à la température et à la pression du système, sans prendre en compte les effets de mélange. Ainsi, le terme d’exergie de mélange, négatif, représentant l’énergie nécessaire à la séparation des différentes espèces du mélange, est ajouté pour déterminer l’exergie d’un flux de matière. Ghannadzadeh et al. (2012) ont souligné la dépendance du terme de mélange au choix du modèle thermodynamique employé.
Objectifs de la thèse et plan du manuscrit
Objectifs de la thèse
Le principal verrou au développement du captage du CO2 par oxy-combustion sur les centrales à charbon pulvérisé est la pénalité énergétique élevée, principalement due à la consommation énergétique de l’ASU et dans une moindre mesure de la CPU. Ainsi, pour un schéma de procédé conventionnel, avec une ASU double colonne et une CPU double flash sans intégration thermique, la pénalité énergétique liée au captage s’élève à environ 10 %-pts, soit une diminution de la production électrique d’environ 21 % qui se traduit par une augmentation du coût de l’électricité produite d’environ 55 %. L’objectif de cette thèse est d’élaborer une méthodologie d’optimisation, sous contraintes technologiques et économiques, permettant d’évaluer le potentiel de gain d’un procédé industriel complexe et de l’appliquer à une centrale à charbon pulvérisé fonctionnant en oxycombustion. Ainsi, outre l’optimisation des variables opératoires à architecture de procédé fixée, des alternatives structurelles sont identifiées et leurs performances comparées.
Plan du manuscrit
Ce manuscrit décrit les différentes étapes qui ont permis l’évaluation du potentiel d’amélioration du procédé de captage du CO2 par oxy-combustion. Il s’articule de la manière suivante. Le chapitre 2 est dédié à la description de l’approche adoptée pour identifier la configuration optimale du procédé. Tout d’abord, le périmètre de l’étude est défini afin de restreindre le champ des options technologiques à investiguer. Ensuite, une analyse exergétique à l’échelle de l’opération unitaire est mise en œuvre sur un procédé dit de base afin d’identifier les principales sources de pertes intervenant au sein du procédé. Le procédé de base se caractérise par le recours à des technologies conventionnelles et un schéma d’intégration thermique minimal afin que la cartographie des pertes exergétiques réalisée soit la plus précise possible. A l’issue de cette étape, les informations obtenues par l’analyse exergétique sont exploitées afin d’établir les voies d’amélioration des performances du système, aussi bien en termes de valorisation de sources d’exergie détruite que de modifications structurelles du procédé permettant de réduire les irréversibilités. Une fois les améliorations potentielles identifiées, les performances relatives aux différentes configurations de procédé sont estimées et comparées. L’optimisation du schéma d’intégration thermique est réalisée pour chaque configuration de procédé. Un soin particulier est accordé à la prise en compte des effets de couplage éventuels. De cette manière, le procédé optimal d’un point de vue énergétique et éventuellement technico-économique suivant le critère de performance choisi peut être déterminé. Le chapitre 3 est consacré à la description du système étudié. Après une brève description du principe de fonctionnement d’une centrale thermique, les différents îlots composant une centrale à charbon pulvérisé (chaudière, cycle électrogène et traitement des fumées) sont décrits tour à tour. Lorsque les performances d’un procédé de captage de CO2 sont étudiées, il est nécessaire d’établir une centrale aéro-combustion classique afin d’estimer la perte de production entraînée. Ainsi, la description de la centrale oxy-combustion de base est précédée de la description de la centrale aérocombustion dite de référence, pour laquelle des spécifications et des hypothèses de modélisation cohérentes sont adoptées. Les performances énergétiques relatives à la centrale aéro-combustion de référence et à la centrale oxy-combustion de base sont données à la fin de ce chapitre. Le chapitre 4 présente l’application de la méthodologie décrite dans le chapitre 2 afin de déterminer les performances énergétiques optimales d’une centrale oxy-combustion implantée en Europe avec des technologies à l’état de l’art actuellement disponibles. Quatre modifications structurelles de procédé permettant de réduire les pertes thermodynamiques identifiées à l’aide des informations fournies par l’analyse exergétique sont étudiées : le recours à des unités de séparation d’air cryogéniques avancées, la déviation d’une portion des fumées en amont de l’échangeur rotatif, la modification de la localisation du recyclage des fumées et la substitution des compressions étagées avec refroidissement intermédiaire par des compressions mono-étagées. Les gains de performance associés à chacune de ces modification sont déterminés en réalisant une intégration thermique optimale et en tenant compte des effets de couplage. Concernant l’étape d’intégration thermique, la méthodologie originale basée sur 18 le recours systématique au poste d’eau du cycle vapeur, développée et adoptée dans le cadre de cette étude, est également décrite dans ce chapitre. Après avoir identifié la configuration d’une centrale oxy-combustion à l’état de l’art optimale d’un point de vue énergétique, la prise en compte d’un critère économique est traitée dans le chapitre 5. En effet, les modifications de procédé considérées dans le chapitre 4 entraînant pour la plupart une augmentation du coût d’investissement, il est nécessaire d’étudier la rentabilité des options envisagées. Ce chapitre introduit d’abord l’approche d’estimation des coûts d’investissements retenue dans ce travail de thèse, une méthode dite factorielle. Puis les coûts d’investissements de l’unité de séparation d’air, de l’unité de compression et de purification du CO2 et enfin des équipements différant entre une centrale aéro-combustion et une centrale oxy-combustion sont successivement évalués. L’évaluation des coûts d’investissements entraînés par chaque modification de procédé est ensuite conduite puis la rentabilité de ces dernières est établie suivant un critère associé au coût actualisé de l’électricité. Ainsi, la configuration optimale d’un point de vue technico-économique est identifiée par substitutions successives.
CHAPITRE 1 – INTRODUCTION |