Optimisation de la gestion de l’impact des polluants
gazeux du sol sur la qualité de l’air intérieur
TRANSFERT DE POLLUANTS GAZEUX DU SOL VERS LES BÂTIMENTS : PRISE EN COMPTE DE LA LATÉRALITÉ DE LA SOURCE
ÉTUDE NUMÉRIQUE
Les outils d’aide à la gestion permettent de modéliser le transfert de polluants gazeux du sol vers les espaces intérieurs à partir de la résolution analytique ou numérique des équations de transport et la caractérisation des scénarios de pollution (caractéristiques de la source, du sol, du bâtiment et de l’environnement). Un des objectifs principaux de la modélisation est de pouvoir estimer de manière précise et à moindre coût le flux de polluant provenant du sol et entrant dans les bâtiments pour l’aide à l’évaluation des risques sanitaires dans la gestion des sols pollués. Cependant, l’analyse précédente des outils existants a mis en évidence le manque de précision dans la considération, ou même de la non prise en compte, des différents mécanismes de transfert ainsi que des caractéristiques de la source, du sol et du bâtiment conduisant à une modélisation incomplète pouvant induire une gestion inappropriée. Les hypothèses faites par les auteurs limitent le champ d’application des outils et leur usage à des scénarios très réduits générant des incertitudes quand ces conditions ne sont pas satisfaites dans la pratique. Par exemple, considérer une distribution continue et uniforme de la source de pollution (ex. eaux souterraines contaminées) en ignorant les sources latérales qui ne sont pas au droit du bâtiment peut conduire à des incertitudes de plusieurs ordres de grandeur . Les auteurs conviennent que la séparation latérale joue un rôle important dans l’atténuation de la concentration, contrairement aux scénarios de source continue où l’atténuation des vapeurs est principalement associée à la profondeur de la source [57]. Les résultats de ces études sont instructifs et permettent de réaliser un premier niveau d’interprétation sur les scénarios en présence d’une source latérale. Cependant, il n’y a pas de réponse simple sur l’influence de la latéralité de la source sur le transfert de vapeurs vers les espaces intérieurs et cela nécessite des analyses supplémentaires. Par conséquent, cette partie est dédiée à l’étude numérique de différentes situations de pollution afin de mieux comprendre l’influence de la position de la source dans le sol, la dépressurisation du bâtiment, les propriétés physiques du sol et la typologie de soubassement sur le transfert quand une source latérale est considérée.
DESCRIPTION DU MODÈLE NUMÉRIQUE
Un modèle numérique CFD (Computational Fluid Dynamics) est construit afin de modéliser le transfert couplé entre la convection et la diffusion des vapeurs contaminantes vers les espaces intérieurs en présence d’une source de pollution dans le sol [139] (Figure 2.1). 70 Figure 2.1. Schéma conceptuel de la modélisation numérique. Ce modèle est construit sur OpenFOAM (Open Field Operation and Manipulation), logiciel libre-service [140]. Ce logiciel est fondé sur le langage de programmation C++ et permet de modéliser des scénarios multi-physiques dans le domaine de la mécanique des fluides. Le modèle proposé est basé sur les hypothèses suivantes : • Le transport de polluant est tridimensionnel (3D) et stationnaire. • Le sol est considéré comme un milieu poreux homogène et isotrope. • La distribution spatiale et la concentration de la source de pollution sont constantes. • Aucun transfert vers la nappe phréatique n’est considéré. • La distribution est homogène dans le bâtiment et le mélange des polluants est instantané avec l’air intérieur [33]. • Le polluant est supposé totalement dilué dès qu’il atteint l’atmosphère. • L’éventuelle biodégradation du polluant et ses interactions chimiques avec les milieux ne sont pas considérées. • Les échanges entre les différentes phases (ex. eau/air) sont négligés. • Le transport du polluant de la source de pollution jusqu’au bâtiment est régi par l’équation de convectiondiffusion en régime stationnaire (Équation (2.1)) et l’équation de continuité (Équation (2.2))
DOMAINE D’ÉTUDE ET CONDITIONS AUX LIMITES
Le modèle numérique a été créé à partir du schéma conceptuel présenté par la Figure 2.2. 71 (a) Section transversale domaine numérique. (b) Section horizontale domaine numérique (pointillés : emprise du bâtiment). Figure 2.2. Schéma conceptuel de la modélisation numérique – Vue transversale et horizontale [139]. Le modèle est basé sur la méthode des éléments finis par la décomposition du domaine spatial en éléments permettant de réaliser une formulation simplifiée (équations linéaires) des équations de gouverne sur chaque élément (Figure 2.3). 72 Figure 2.3. Section transversale domaine numérique – Maillage. Le maillage choisi est cartésien avec un raffinement de la zone sous le bâtiment afin d’avoir plus de détail dans les zones proches des fondations. Dans le but d’assurer l’indépendance des résultats à la densité du maillage, une analyse de sensibilité est réalisée. Plusieurs densités de maillage sont utilisées jusqu’à l’obtention d’une valeur constante du débit d’air et de la concentration intérieure (Tableau 2.1). Tableau 2.1. Résultats du débit d’air et de la concentration intérieure pour différentes densités de maillages. Nombre d’éléments Débit d’air (m3/s) Concentration intérieure (mol/m3 ) 2 500 000 0,000226 0,006864 4 900 000 0,000231 0,008476 8 100 000 0,000234 0,011338 14 400 000 0,000234 0,011339 L’utilisation d’un maillage de 14,4 million d’éléments a montré une légère amélioration des résultats (non représentative) avec un temps de calcul d’environ 3 fois plus élevé par rapport au maillage de 8,8 millions d’éléments. Par conséquent, une densité de maillage de 8,1 million d’éléments a été retenue désormais ce qui permet de garantir l’indépendance du nombre de mailles sur les valeurs du débit d’air et de la concentration intérieure avec un temps de simulation d’environ 3 minutes. Pour les scénarios modélisés une machine de 64 CPU 256 Go de RAM a été utilisée. Par ailleurs, les conditions aux limites du modèle sont les suivantes : • Une condition de flux nul de type Neumann ∇𝑃. 𝑛⃗ = 0) est imposée aux parois latérales et à la frontière inférieure du domaine d’étude. • Les conditions de pression à la surface du sol (𝑃𝑒𝑥𝑡 ) et sur l’interface sol/ bâtiment (𝑃𝑖𝑛𝑡 ) sont définies par une condition du type Dirichlet. • Une condition de type Neumann (∇𝐶. n⃗ = 0) est fixée aux limites latérales et à la frontière inférieure du domaine d’étude, à exception de la frontière qui définit la source (𝐶𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒). • La concentration en polluant à la surface du sol est supposée égale à la concentration en polluant dans l’atmosphère (ici considérée nulle 𝐶𝑒𝑥𝑡 = 0). La concentration intérieure en polluant est déterminée par l’Équation (2.3). 𝐶𝑖𝑛𝑡 = 𝐽 𝑅. 𝑉 (2.3) Avec, 𝐽 le flux total entrant dans le bâtiment (mol/s), 𝑉 le volume du bâtiment (𝑚3 ) et 𝑅 le taux de renouvellement d’air du bâtiment (ℎ −1 ). Les valeurs de 𝐶𝑖𝑛𝑡 (mol/𝑚3 ) et 𝐽 sont obtenues de façon itérative à partir d’un bilan de masse à l’intérieur du bâtiment en considérant un mélange instantané du polluant avec l’air intérieur (aucune source 73 ni réaction chimique ne considéré à l’intérieur du bâtiment). Les itérations s’arrêtent lorsque le critère de convergence, basé sur l’écart de la valeur du flux entre deux itérations inférieure à 10−6 , est atteint. 2.1.1.2 VALIDATION DU MODÈLE NUMÉRIQUE PROPOSE Dans le but de réaliser une première validation expérimentale du modèle numérique proposé, ce dernier a été adapté et comparé aux expériences réalisées par Marzougui [141] sur le bassin expérimental du Site Contrôlé Expérimental de Recherche pour la réhabilitation des Eaux et des Sols (SCERES) [142]. Ces expériences consistent à l’injection du trichloréthylène (TCE) dans le sol suivi d’une étude du transfert des vapeurs contaminantes à partir de la zone source de pollution jusqu’à l’intérieur d’une chambre expérimentale (Figure 2.4). (a) Section transversale – Site expérimental SCERES. (b) Section verticale – Site expérimental SCERES. Figure 2.4. Schéma conceptuel du site expérimental SCERES. points de mesure dans le sol. La zone source est générée à partir de l’injection de 3,5 l de TCE (~ 5,1 kg) pendant une heure dans le sol. Le contaminant est injecté à 0,60 m de profondeur depuis la surface du sol et à 1,4 m de la limite inférieure du domaine s’étendant sur environ 0,70 m dans le sol de 0,25 m² à 0,30 m². Ainsi, le centre de la zone source est situé sur l’axe 74 de symétrie du bassin expérimental SCERES à une distance de 11,10 m des limites horizontales du bassin, à 0,95 m du bord (amont) de la dalle et à 6 m des parois latérales verticales. Pour représenter un environnement du bâtiment, une chambre expérimentale en acier inoxydable à environnement intérieur contrôlé (∆𝑃, 𝑅𝑎) est installée sur une dalle en béton (Figure 2.5). Tous les paramètres physiques, y compris la perméabilité effective et le coefficient de diffusion, ont été caractérisés pour le sol, le lit de gravier et la dalle. Les caractéristiques de l’installation sont les suivantes : • Chambre expérimentale de 1,6 m de diamètre et 0,5 m hauteur ; • Dalle d’épaisseur 0,10 m, de perméabilité à l’air de 4,8×10−12 m² ; • Lit de gravier d’épaisseur 0,13 m, de perméabilité à l’air de 1,0×10−9 m² ; • Perméabilité du sol 6,0×10−12 m². Figure 2.5. Chambre expérimentale installée sur le bassin SCERES [141]. La chambre expérimentale est soumise à différentes dépressions afin de représenter des situations réelles des environnements intérieurs avec un débit d’extraction constant de 1 m³/h. Pour faire un suivi du transfert, trois points de mesure ont été définis à 0,4 m de profondeur sous la chambre (Figure 2.4a). Finalement, le flux de polluant entrant dans la chambre et la concentration intérieure ont été évalués pour trois valeurs différentes de dépressions intérieures et les résultats sont présentés dans le Tableau 2.2. Tableau 2.2. Mesures expérimentales [141]. Dépression de la chambre (∆𝑃) 5,9 11,9 21,2 Pa Débit d’air (𝑄𝑎𝑖𝑟) 0,038 0,064 0,093 m3/h Concentration sous la dalle (𝐶𝑑𝑎𝑙𝑙𝑒) 1684 1903 1715 mg/m3 Concentration intérieure (𝐶𝑖𝑛𝑡) 64 123,3 160 mg/m3 Flux de polluant (𝐽) 64 123,3 160 mg/h À partir des expériences, deux configurations de modélisation sont proposées afin de simuler le transfert de polluant du sol jusqu’à l’intérieur du caisson : 75 • Scénario 1 – Source latérale : une zone source de 0,30 m² est générée dans le sol (emplacement de la source) dans le but de représenter le volume de polluant généré par l’injection de polluant dans le sol (Figure 2.6). Figure 2.6. Schéma conceptuel du site expérimentale SCERES – Source latérale. • Scénario 2 – Source équivalente : une concentration moyenne est calculée à partir des 3 mesures de concentration réalisées sous la dalle (z = 0,40 m), ensuite utilisée comme concentration d’une source équivalente au droit de l’emprise de la chambre expérimentale (Figure 2.7). Figure 2.7. Schéma conceptuel du site expérimentale SCERES – Source continue. Les deux configurations sont modélisées en fonction des hypothèses présentées précédemment. Les lignes de courant sont présentées à la Figure 2.8. Figure 2.8. Lignes de courant – Modélisation numérique. L’air provenant du sol et traversant celui-ci passe par la porosité du lit de gravier et ensuite traverse la dalle. Ce comportement est similaire aux tendances retrouvées par Diallo [42]. Les lignes de courant sont verticales le long du mur de fondation et circulaires sous le mur de fondation. Elles sont déformées ensuite au niveau du lit de gravier générant une augmentation de la vitesse dans cette zone (perméabilité plus élevée par rapport au sol et à la dalle). Finalement, la dalle sert comme une zone tampon avec une diminution de la vitesse de l’air avant d’aller à l’intérieur du caisson. Le débit d’air entrant dans le bâtiment est calculé pour les différentes valeurs de la dépression de la chambre et comparé aux mesures expérimentales (Figure 2.9). 76 Figure 2.9. Évolution du débit d’air entrant dans la chambre expérimentale en fonction de la dépression générée. Le débit d’air (numérique et expérimental) augmente avec l’augmentation de valeur de la dépression de la chambre (loi de Fick). Les débits numériques et analytiques ayant le même comportement, augmentent avec la dépression de la chambre. Le débit analytique tient aussi compte de la présence du lit de gravier qui augmente le débit d’air entrant dans le bâtiment. Tableau 2.3. Débit d’air expérimental et numérique. Dépression de la chambre (∆𝑃) 5.9 11.9 21.2 Pa Débit d’air – Expérimental 1,06×10−5 1,78×10−5 2,58×10−5 m³/s Débit d’air – Numérique (scénarios 1 et 2) 7,44×10−6 1,38×10−5 2,36×10−5 m³/s Les débits d’air numériques sont très similaires aux valeurs expérimentales (Tableau 2.3). En effet, ces différences sont de 29 % (à 5,9 Pa), 23 % (à 10,9 Pa) et 9% (à 21,4 Pa) en comparaison aux mesures. Cet écart peut s’expliquer par les hypothèses de la modélisation ainsi que les incertitudes dans les différentes mesures effectuées. Cependant, malgré cet écart les résultats restent satisfaisants avec des valeurs du même l’ordre de grandeur en comparaison avec le débit expérimental avec des erreurs relatives inférieures à 30%.
INTRODUCTION GÉNÉRALE |