Occidentalisme psychanalytique dans la littérature
chinoise de la Nouvelle période
Débats sur la subjectivité et sur le modernisme : vers l’intériorisation de la littérature chinoise
Débats sur la subjectivité littéraire
À la fin des années 1970, la Chine, sortie de la Révolution culturelle, est entrée dans une nouvelle ère de « Réforme et d’Ouverture » (Gaige kaifang ϰ劣˱ϱ) 20, qui n’a pas été limitée seulement aux domaines politique et économique, mais s’est étendue à toutes les sphères de la société. Dans une époque où tout restait à reconstruire, le mot « débat » était devenu un terme d’une importance particulière : dans les journaux et les revues, les gens débattaient vigoureusement de divers sujets. Parmi les débats littéraires, il y en eut un qui était essentiel pour le développement de l’art et la « littérature de la Nouvelle période21 » (Xin shiqi wenxue ЌН丛Ѓɞ) : le débat sur la subjectivité de la littérature, déclenché par la publication de deux articles de Liu Zaifu : « Les recherches littéraires doivent mettre l’homme au centre des préoccupations »22 (1985) et « Sur la subjectivité de la littérature » (1985 et 1986)23. Après la fondation de la nouvelle Chine, les luttes de classes étant au centre de la vie politique, 20 Programme de réformes économiques et d’ouverture vers le monde extérieur mis en place à partir de 1978, par les réformistes représentés par M. Deng Xiaoping. 21 Dans le domaine de la littérature chinoise, ce terme revoie à la littérature d’après 1978. 22 LIU Zaifu “Þȏ, « Wenxue yanjiu ying yi ren wei siwei zhongxin » Ѓɞصˣl[+̬ژ) ̗’Les recherches littéraires doivent mettre l’homme au centre des préoccupations), Wenhui bao Ѓ亚Δ, 8 juillet 1985. 23 Il s’agit d’un article divisé en deux parties : LIU Zaifu “Þȏ, « Lun wenxue de zhutixing » 兼Ѓɞד, ̯ (Sur la subjectivité de la littérature), Wenxue pinglun Ѓɞޱ兼, 1985, no 06, p. 11‑26, et « Lun wenxue de zhutixing (xu) » 兼Ѓɞד)̯,ږ) (Sur la subjectivité de la littérature (suite)), Wenxue pinglun Ѓɞޱ兼, 1986, no 01, p. 3‑20. Guo Lanfang – Thèse de doctorat – 2019 16 l’homme n’existait que par sa nature de classe, devenant ainsi un outil de luttes politiques. L’individu n’existait pas. Pendant la Révolution culturelle, l’anéantissement de l’humanité a été sans précédant : « Certains étaient dépouillés par la politique du droit d’être un homme ; d’autres, en privant les autres du droit d’être un homme, ont perdu leur nature humaine et se sont laissés emporter par leur nature animale24. » Une fois sortis de la Révolution culturelle, bénéficiant d’une ambiance politique relativement tolérante, les Chinois, notamment les intellectuels, ont commencé en toute hâte à remettre en cause l’ancienne idéologie qui ignorait la nature humaine et réprimait l’individu au nom de la collectivité. L’appel au retour de l’humanisme est devenu une voix dominante de l’époque. Dans le domaine philosophique, Li Zehou s’est déjà intéressé à la question de la subjectivité dans son travail sur Kant25 publié en 1979. Son article « Essai sur la philosophie de Kant et la construction de la subjectivité »26, publié en 1981, a suscité beaucoup d’attention et de discussions. Liu Zaifu, dans un dialogue avec Li Zehou, a déclaré ouvertement que c’est grâce à cet article qu’il a entamé la réflexion sur la subjectivité de la littérature27. Dans le domaine littéraire, la littérature des cicatrices (Shanghen wenxue ׇЃɞ), premier mouvement littéraire après la Révolution culturelle, ainsi que la littérature d’introspection (Fansi wenxue Ŗ̬Ѓɞ) du début des années 80, se sont déjà éloignées complètement du principe littéraire imposé par le discours politique : « la littérature doit coopérer avec la politique ». Ces premiers textes littéraires de la Nouvelle période étaient bel et bien le résultat de la pratique du principe « la littérature est l’étude de l’homme (ЃɞʖЩ[ɞ) », formule proposée par Qian Gurong ߑࡶ充 dans les années 50, mais qui n’avait pas pu être acceptée à cause du 24 ࡞ú[ވϲ亭ēȞE·[ߪד
҅Ţ࡞ú[”ǠēȞf[·[ߪד҅ד凶ذ’șŐE[̯ڼŗӠ EÛ̯. ZHONG Taishen ࡳ剂ֲ, « Shilun qibashi niandai wenxue zhutixing sichao de fazhan licheng » 兼 ÎĴ;jЃɞ,̯̬伊דŗʦŊذ) Sur le développement de la subjectivité littéraire des années 70 et 80), Yibin xueyuan xuebao ɫɸɞࢮɞΔ, 2006, n˚ 02, p. 86‑87. Dans le présent travail, les traductions du chinois en français sont de l’auteure de cette thèse, sauf mention contraire. 25 LI Zehou љӭŎ, Pipan zhexue de pipan: Kangde shuping ΄ąƬɞד ą: ˬ̖ޱ࠴) Critique de la philosophie critique: commenter Kant), Beijing, Renmin chubanshe, 1979, 458 p. 26 LI Zehou љӭŎ, « Kangde zhexue yu jianli zhutixing lungang » ˬ̖Ƭɞ˰倒,̯兼ٻ) Essai sur la philosophie de Kant et la construction de la subjectivité), in Lun Kangde Heige’er zhexue 兼ˬ̖ण҅ʏƬɞ, Shanghai, Shanghai renmin chubanshe, climat politique. Tel est le contexte dans lequel les articles de Liu Zaifu sur la subjectivité littéraire ont été publiés : la revalorisation de l’homme est devenue une tendance irréversible, des discussions sur la subjectivité étaient déjà en cours. Dans l’écriture littéraire, un certain nombre d’écrivains sont aussi revenus sur le chemin de l’humanisme. Il semble qu’à cette époque (début des années 80), la construction de la théorie littéraire était en retard par rapport au développement de la création littéraire. C’est ainsi que les articles de Liu ont eu de tels retentissements. Ils étaient, dans un certain sens, le résultat du développement spectaculaire de la littérature des années précédentes, et ont en même temps favorisé considérablement le développement de la littérature, tant au niveau des créations qu’à celui des critiques. Liu, dans son article « Les recherches littéraires doivent mettre l’homme au centre des préoccupations » a lancé tout d’abord un appel : « Considérons l’homme comme le maître de la littérature28. » Il a développé par la suite la signification du sujet sur le plan littéraire : « Le sujet, par rapport à l’ensemble du processus littéraire, a trois sens : le premier, l’écrivain en tant que sujet de création ; le deuxième, l’homme en tant que sujet-cible ; le troisième, le lecteur en tant que sujet de réception29. » Il souligne que dans le travail littéraire, il faut bien assumer le rôle subjectif de l’homme dans ces trois sens. Du côté de l’écrivain, il est important qu’il méprise les règles imposées de l’extérieur, et qu’il mette en jeu sa propre initiative. Quand il s’agit des personnages littéraires, il est essentiel qu’ils soient des individus autonomes, au lieu de marionnettes marquées seulement par leur classe sociale. Du point de vue du lecteur, à la place d’un processus passif, il faudrait considérer la réception des œuvres littéraires comme un processus dynamique, actif et récréatif. Nous voyons que ces propositions visent les principes de la littérature déterminés dès l’ « Intervention aux Causeries sur la littérature et l’art » de Mao Zedong à Yan’an (ҿӭǠ˯ɤЃ˪ߊ~ ד典 (en 1942, à partir desquels la littérature est devenue un discours fort politisé. En effet, la littérature étant destinée à servir les luttes politiques, la créativité des écrivains étaient fortement restreinte et les caractères des personnages s’étaient effacés face à leur origine de classe sociale. Dans son long article intitulé « Sur la subjectivité de la littérature », Liu Zaifu a continué à développer son argumentation : il a tenté d’analyser la « perte de la subjectivité littéraire » (Ѓɞ,̯ד”ș݂”) dans la période précédente, et a essayé de proposer des « solutions » pour retrouver la subjectivité. Les articles de Liu ont suscité de vifs débats, qui ont duré jusqu’à la fin des années 80. Le camp qui soutenait Liu s’opposait à celui représenté par Chen Yong ࢪ他, qui affirmait que la subjectivité littéraire préconisée par Liu était idéaliste (Ʊ̗,2ד (et qu’elle enfreignait les principes littéraires du cadre marxiste. Les débats tournaient autour des questions suivantes : Doit-on observer les règles externes ou internes 30 dans la littérature ? La littérature est-elle pour le peuple ou pour l’individu ? La mise en valeur de la subjectivité va-t-elle à l’encontre des théories de la littérature et l’art de Marx ? Doit-on défendre la théorie du reflet (Fanying lun ŖХ兼) ou la subjectivité ? Malgré l’obstination des défenseurs de la théorie du reflet, et malgré que l’inexactitude des définitions des notions, ainsi que le manque de cohérence dans l’argumentation de Liu Zaifu soient reconnus, son idée essentielle (la revalorisation de l’homme, plus précisément du monde spirituel de l’individu dans la littérature) a été approuvée par la majorité des personnes engagées dans les débats. Cela a ébranlé de manière définitive l’ancienne idéologie littéraire instaurée depuis une quarantaine années, qui avait considérablement restreint et déformé l’apparence de la littérature. L’établissement d’un nouveau système théorique de la littérature est désormais devenu possible. Voilà en quoi ces débats ont joué un rôle essentiel dans le processus de développement de la littérature chinoise.
Débats sur le modernisme
Le « modernisme », en Chine comme en Occident, est un terme imprécis et difficile à définir. 30 Cette question provenait de la distinction entre les « règles externes » et les « règles internes » faite par Liu Zaifu dans un article intitulé « L’extension de la réflexion sur les recherches littéraires ». D’après lui, les « règles externes » signifient la relation entre la littérature et la base matérielle ainsi que les autres sphères de la superstructure. Alors que les « règles internes » de la littérature renvoient à la littérature elle-même : questions esthétiques, liens entre les différents facteurs au sein de la littérature, les genres littéraires, entre autres. Cf. LIU Zaifu “Þȏ, « Wenxue yanjiu siwei kongjian de tuozhan » Ѓɞص̬طژ剥דΟʦ (L’extension de la réflexion sur les recherches littéraires), Dushu ߆ ,@1985, no 2, p. 3‑14. 31 Une conception marxiste sur la littérature, qui préconise que la littérature doive être un reflet de la réalité. Guo Lanfang – Thèse de doctorat – 2019 19 En Occident, depuis son apparition, les discussions sur le terme n’ont jamais cessé, comme ce le signalent Astradur Eysteinsson et Vivian Liska: « as far as the search for a constructive solution is concerned, (…), no other period-term has ever posed to critics, historians and theoreticians of literature so many difficulties as modernism32 ». En Occident, certains considèrent le modernisme comme un courant littéraire et artistique de la première moitié du XXe siècle. Certains le jugent comme la tendance dominante durant tout le siècle, d’autres affirment que le modernisme continue encore aujourd’hui. Étant donné sa variété et son hétérogénéité, depuis les années 1960, on a tendance à parler de modernismes au pluriel. Dans les ouvrages sur le modernisme, par exemple celui édité par Malcolm Bradbury et James McFarlane33, qui est considéré comme un grand pas en avant dans l’étude du modernisme, les éditeurs proposent souvent de regrouper, dans les discussions, de divers courants artistiques émergeant au tournant du XIXe siècle, tels que le symbolisme, l’expressionnisme, l’imagisme, le vorticisme, le futurisme et le surréalisme, entre autres. Il y a pourtant un point qui est sûr : l’enjeu du modernisme est la « rupture ». D’après Anne Fauré, il s’agit de la rupture avec le réalisme : « Le modernisme va de pair avec une nouvelle conception de la réalité et de la fonction de l’art. Il est fondé sur un refus de la mimesis, conception selon laquelle la fonction de l’art est d’imiter le réel, ce qui donne lieu à un rejet du réalisme. Le roman moderniste opère une rupture avec le roman réaliste du XIXe siècle, tel qu’il est représenté par Honoré de Balzac, Charles Dickens, George Eliot et Elizabeth Gaskell 34 . » Zhang Jingyuan, quant à elle, lorsqu’elle parlait des sens différents du « modernisme » en Occident et en Orient, a précisé qu’il s’agit d’une opposition au romantisme, au réalisme et au néo-classicisme dans le contexte occidental35. Dans le contexte chinois, au lieu de parler de modernisme (Xiadai zhuyi 佤j,2), on utilisait généralement le terme de xiandai pai (佤j仆), qui signifie littéralement le courant moderne. Cette façon de nommer le modernisme nous semble peu pertinente, tout d’abord 32 EYSTEINSSON Astradur et LISKA Vivian (éds.), Modernism, Amsterdam, John Benjamins Publishing Company, 2007, p. 13. 33 BRADBURY Malcolm et MCFARLANE James Walter, Modernism, 1890-1930, Harvester Press, 1978, 696 p. 34 FAURÉ Anne, Le modernisme, http://cle.ens-lyon.fr/anglais/contributeurs/faure-anne, consulté le 18 février 2017. 35 Cf. ZHANG Jingyuan, Psychoanalysis in China: Literary Transformations, 1919-1949, Ithaca, N.Y, Cornell University Press, 1992, p. 103. Guo Lanfang – Thèse de doctorat – 2019 20 parce qu’il ne s’agit pas d’un seul courant. D’après Shi Zhecun, le terme Xiandai pai « semble désigner les courants littéraires de la poésie symboliste en France jusqu’au théâtre de l’absurde et aux romans d’humour noir, qui sont populaires aujourd’hui en Europe et aux États-Unis36. » Il a également précisé que ce terme de « Xiandai pai » est traduit du mot « modernist » en anglais. En effet, les débats sur le xiandai pai se sont tenus dans le cadre du « modernisme » d’un point de vue occidental. Cela laisse entendre que dans le contexte chinois, on a tendance à gommer la différence entre « moderniste » et « moderne ». D’ailleurs, même en Occident, ils sont tous les deux imprécis et ambigus, donc difficiles à distinguer. Gao Xingjian a été l’un des premiers chercheurs à s’être intéressé au modernisme. En 1981, il a publié un ouvrage nommé Première recherche sur les techniques des romans modernes (Xiandai xiaoshuo jiqiao chutan 佤jʍ߃ΈʺĄό). Comme le titre l’indique, il a étudié les techniques dites « modernes » : la multiplication des points de vue narratifs, le flux de conscience, l’absurde et l’irrationnel, le symbolique, l’abstraction artistique, les dérèglements au niveau du langage, la distorsion du temps et de l’espace, entre autres. Cela pourrait nous permettre d’avoir une idée plus concrète sur ce que signifie xiandai pai en Chine. En Chine, après la Révolution culturelle, des œuvres littéraires étrangères ont pu être republiées. La littérature occidentale dite « moderniste », ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages sur les théories littéraires et artistiques ont été alors réintroduits en Chine. Les différents courants littéraires, tels que le symbolisme, l’existentialisme, le stream of consciousness, le théâtre de l’absurde, le nouveau roman, ont suscité l’intérêt des lecteurs chinois, surtout les jeunes. À la fin des années 70, chez certains romanciers, comme Wang Meng ֏ ,Ru Zhijuan ܧ̝छ, Zong Pu ɨ֡, ainsi que chez les « Poètes obscurs » (Menglong shiren 东ۣ ,(]on constatait déjà des tentatives de se servir des techniques modernistes dans leur création. Ces emprunts ont été pourtant sévèrement critiqués, car, d’après les opposants, qui représentaient d’ailleurs la majorité, le modernisme, estimé comme le fruit d’une « société capitaliste décadente », ne correspondait pas à la réalité chinoise. En 1980, la revue Recherches sur la littérature étrangère (Waiguo wenxue yanjiu ȑǚЃɞ ص (a décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique destinée aux « discussions sur la littérature 36’ǚ[佤Ǡ֮“佤j仆”࠭%ŷ内
6αדЩdĴ;假ӣǚߓ̍仆ҩסĈןď仇ݺǠҥ偿ܩד 仆ण܍˜तʍ߃ .SHI Zhecun Ўݮə, « Guanyu “Xiandai pai” yixi tan » ÓJ« 佤j仆 »ˏߊ) Interview sur le « modernisme »), Wenhui bao Ѓ亚Δ, 18 octobre 1983. Guo Lanfang – Thèse de doctorat – 2019 21 moderniste occidentale37 ». Pendant un an et demi, la revue a publié trente-deux articles sur le sujet, dont la plupart étaient contre le développement du modernisme dans la littérature chinoise. En 1982, l’article de Xu Chi intitulé « Modernisation et modernisme »38, qui était prévu comme conclusion de ces discussions, a cependant suscité des réactions inattendues, levant ainsi le rideau sur de vifs débats sur le modernisme. Dans les deux ans qui ont suivis, des centaines d’articles sont parus, répondant à son court article d’environ 3 000 mots. Cela représente la première phase des débats sur le modernisme (1982-1984), dont le thème précis, d’après Xu Zidong, est : « A-t-on besoin du modernisme39 ? ». Dans son fameux texte cité plus haut, Xu Chi a précisé que le modernisme, qui est devenu une forme principale de la littérature et de l’art occidentaux, avait été méprisé et maudit au début de son apparition en Occident. Il a déclaré qu’ « il nous faut un modernisme marxiste, il nous faut étudier le modernisme avec le marxisme40 ». La particularité de son article résidait dans le fait que l’auteur se situait entièrement dans le cadre du marxisme et qu’il s’associait tout à fait au discours politique de l’époque. Tout en affirmant que le modernisme occidental est un reflet de la vie moderne en Occident, Xu Chi a recouru à l’expression « notre modernisme», un modernisme littéraire qui, d’après lui, apparaitrait avec la réalisation des quatre modernisations41 (sige xiandaihua ǒ%佤jĮ), et qui correspondrait ainsi totalement à « notre » propre réalité (la réalité de la Chine). D’autres partisans de Xu Chi mettaient 37 “ÓJސЍ佤j仆Ѓɞޢד兼” 38 XU Chi ̒࠱ » ,Xiandaihua yu xiandai pai » 佤jĮ佤j仆 (Modernisation et modernisme), Waiguo wenxue yanjiu ȑǚЃɞص ,1982, no 01, p. 117‑119. 39 XU Zidong 养ɔ, « Xiandai zhuyi yu zhongguo xinshiqi wenxue » 佤j,2’ǚЌН丛Ѓɞ (Le modernisme et la littérature de la Nouvelle période en Chine), Wenxue pinglun Ѓɞޱ兼, 1989, no 04, p. 21‑34+60. Les débats sur le modernisme ont duré pendant toute la décennie, divisés en trois phases : 1982-1984, 1985, 1987-1989. Xu Zidong, dans cet article étudiant ces débats de manière exhaustive, a proposé de résumer les trois phases avec des formules simples mais bien pertinentes : « A-t-on besoin du modernisme ? ͮnޑޑ 佤j仆 » « Le modernisme dans notre littérature est-il bon ou non ? ͮnЃɞ’ד佤j仆ȬȬ» « A-t-on le véritable modernisme ? ͮnمص且ә且רҫד佤j仆». 40 ˣ̃且ऀÉ̬,2ד佤j,2
ͮnޑऀ֮É̬,2џص佤j,2. XU Chi, « Xiandaihua yu xiandai pai », op. cit., p. 115. 41 La modernisation de l’agriculture ; la modernisation de l’industrie ; la modernisation de la science et de la technologie ; la modernisation de la défense nationale. L’idée des quatre modernisations fut mise en avant pour la première fois en 1954 lors du premier Congrès national du peuple de la Chine, reprise et affirmée par Deng Xiaoping vers la fin des années 70, en tant que l’un des objectifs de la Réforme et l’Ouverture. Elle était destinée à faire de la Chine une grande puissance socialiste à l’aube du XXIe siècle. Guo Lanfang – Thèse de doctorat – 2019 22 également l’accent sur le lien entre le modernisme et la réalité sociale, faisant ainsi du modernisme littéraire le fruit naturel du progrès social, détaché de tout facteur politique. Cependant, les opposants estimaient que la littérature moderniste « relève du registre de la vieille littérature de la bourgeoisie et la petite bourgeoisie », et que « sa fonction essentielle consiste toujours à entretenir les vieux rapports de production capitalistes qui empêchent le développement de la production42. » La littérature moderniste est alors opposée à la littérature socialiste. Le choix entre les deux est devenu un choix politique. C’est ainsi que Xu Zidong a qualifié cette première phase de débats : « des débats littéraires et artistiques avec une valeur académique bien limitée, une forte couleur politique, mais une signification culturelle très profonde43». Ces débats, qui ont eu lieu non seulement dans les revues académiques, mais aussi dans les journaux, ont répandu largement la notion de modernisme dans le public. De plus en plus de lecteurs se sont intéressés à cette nouvelle forme de littérature et de plus en plus d’auteurs ont tenté de « moderniser » leurs créations. En 1985, les débats concernant le modernisme ont été repris par l’article de He Xin intitulé : « L’absurde et la personne inutile dans la littérature contemporaine » (Dangdai wenxue zhong de huangdan gan yu duoyu zhe ̃jЃɞ’ߐܩד͛Ȓڻ( 44, qui était une lecture critique du roman moderniste de Xu Xing ̒Ф, Variations sans thème (Wu Zhuti bianzou Г,࣫śȢ). Cette fois-ci, il ne s’agissait pas de discuter si l’on voulait ou non le modernisme, mais d’évaluer la présence du modernisme dans la littérature chinoise, qui avait déjà pris une certaine ampleur. Durant la troisième phase des débats, qui ont débuté en 1987, on s’est posé la question si le modernisme dans la littérature chinoise était du « vrai » modernisme. Des commentateurs, en se référant au modernisme occidental, ont reproché aux œuvres chinoises d’être loin du modernisme au sens strict. Ils ont demandé par la suite : « Pourquoi n’avons-nous pas de véritable modernisme? » Nous constatons ainsi le changement radical de l’attitude du public chinois à l’égard du modernisme au cours des années 80. En effet, ces débats, en plus de ceux sur la subjectivité littéraire, ont modifié totalement le visage de la littérature chinoise : la logique d’évaluation des œuvres littéraires d’un point de vue politique a été rejetée ; la littérature a pris désormais une grande autonomie (pour ne pas dire une autonomie totale) par rapport à la politique ; l’application des techniques modernistes occidentales à la littérature chinoise a donné à celle-ci un dynamisme remarquable.
Débats littéraires et réintroduction de la psychanalyse en Chine
La réintroduction de la psychanalyse a été étroitement liée à ces deux débats littéraires, sous l’impact desquels la littérature chinoise s’est orientée vers l’intériorisation. Dans les débats sur la subjectivité, l’exploration de l’univers interne était un point particulièrement accentué par les débatteurs. Revenons aux articles initiateurs des débats de Liu Zaifu. Dans l’article intitulé « Les recherches littéraires doivent mettre l’homme au centre des préoccupations », l’étude du monde intérieur a été mise en avant en tant que stratégie permettant de véritablement mettre l’homme au centre des préoccupations : « Dans les recherches littéraires, il faut non seulement étudier ce qui est logique chez l’homme, mais aussi ce qui n’est pas logique ; …non seulement la psychologie normale, mais aussi la psychologie des anormaux…45 » Quelques mois après, il a continué à développer ce point de vue de manière un peu plus théorique. Cette fois-ci, il a distingué deux niveaux de sujet : sujet de la pratique (shijian zhuti ɭ减,) et sujet de l’esprit (jingshen zhuti ٧ؗ,). Et il a souligné qu’il ne suffirait pas d’assumer la position de l’homme en tant que sujet de l’esprit, mais qu’il valait mieux aller plus loin. « C’est-à-dire, a-t-il expliqué, qu’il faut attribuer de l’attention à la double structure du sujet de l’esprit, à savoir la structure superficielle (Biaoceng jiegou ހʠ做Ѩ) et la structure profonde (Shenceng jiegou 代ʠ做Ѩ). La structure superficielle du sujet de l’esprit, c’est le contenu du conscient, géré par la raison ; tandis que la structure profonde est l’inconscient, sédimenté à l’intérieur du sujet. Ce qui est entre les deux, ce sont souvent des sentiments flottants46. » Le recours à Freud ne peut être plus évident. Le réalisme étant jusqu’alors la grande tradition, les descriptions du monde intérieur étaient à un certain degré étrangères à la littérature chinoise. Ce qu’a proposé ici Liu, ce ne sont pas de simples descriptions intérieures, mais une exploration allant jusqu’à l’inconscient, qu’il considérait comme une stratégie pour assumer pleinement la subjectivité spirituelle de l’homme dans la littérature. L’avis de Liu a été partagé par bien des critiques. Ils ont donc pensé à Freud, le « découvreur » de l’inconscient, oublié par les Chinois pendant plusieurs décennies. En quoi les débats du modernisme ont-ils favorisé la réception de Freud en Chine ? Freud est un nom quasiment incontournable quand il s’agit de la question du modernisme, que ce soit en Occident ou en Chine. D’après Matt Ffytche, le temps moderniste « appartient à » la psychanalyse. Il a écrit : « Neurosis and sexual desire feature prominently, but so also do dreams, myths, memories, jokes, symbolization, free association, aggression, melancholia, and the structure of the mind and its unconscious mental processes. By following these kinds of routes…one does get a powerful sense of just how much the period (celle du modernisme) belonged to psychoanalysis. » Toutes ces notions freudiennes étaient fort présentes dans la culture moderniste, et naturellement dans la littérature moderniste. En effet, la psychanalyse a révélé aux écrivains tout un royaume presque inexploré, celui de l’univers interne, plus précisément de l’inconscient. Les écrivains avaient jusqu’alors focalisé leur attention sur ce qui était tangible, sur ce qui se passait dans le monde extérieur. Les activités intérieures humaines n’étaient pas exclues, bien sûr, mais elles semblaient n’avoir jamais été mises au premier plan et être restées dans le cadre de la raison. La découverte freudienne leur a offert un nouvel horizon, vers l’irrationnel, vers ce qui n’était pas tangible. Les écrivains modernistes ont vu dans l’idéologie freudienne divers points d’intérêt, et ont essayé de l’intégrer dans leurs créations d’une manière ou d’une autre. Certains ont développé une nouvelle technique d’écriture, telle que le flux de conscience48 et l’écriture automatique,
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