Observation croisée des influences distributionnelles et fonctionnelles

Observation croisée des influences distributionnelles et fonctionnelles

Prévalence – constante ou périodique – d’un facteur ou complémentarité des facteurs ?

Comme préalablement annoncé, les résultats seront présentés pour chacune des formes prénominales. Nous commencerons par la présentation des résultats pour les omissions (2.1) puis nous poursuivrons avec la discussion de ceux concernant les fillers (2.1) et les déterminants (2.3). Dans chaque section, nous commenterons d’abord les résultats du test et ensuite, l’arbre de partition. Pour rappel, nous ferons au point 2.4 une synthèse générale des résultats obtenus. 

Omissions

Le tableau 2 ci-dessous, comme les tableaux 3 et 4 qui suivent, nous montre d’une part quelles variables (‘effets fixes’) apparaissent comme les plus significatives (cf. colonne ‘p’) et d’autre part, quel type de relation – positive ou négative – entretiennent les variables avec la forme prénominale étudiée (cf. colonne ‘z’). Quatre variables apparaissent comme particulièrement significatives pour les omissions : le nombre de syllabes du nom, la présence d’un cadre lexico-syntaxique privilégié, le caractère référentiel du nom et la période. Nous pouvons constater que les omissions ne sont pas favorisées dans les cas où le nom n’est pas bisyllabique (et donc impair) puisque la relation entre la variable ‘IMPAIRSYLL’ et la forme est négative (-11.183). Ces résultats sont conformes à ceux obtenus au chapitre VI puisque nous avions pu constater que les noms bisyllabiques généraient une part plus importante d’omissions que de fillers ou de déterminants. La relation entre la variable ‘CADREPRIV’ et la forme est positive, ce qui signifie que les cadres lexico-syntaxiques privilégiés tendent à favoriser la production d’omissions. Si ces résultats n’étaient a priori pas  attendus, nous verrons ultérieurement qu’ils s’expliquent notamment par le lien entretenu entre cette variable et d’autres facteurs. Le contexte référentiel apparaît quant à lui comme défavorable (z=-4.992) à la production d’omissions. Ce résultat ne paraît pas surprenant dans la mesure où au chapitre précédent, nous avons vu que ce contexte favorisait la production de déterminants et le contexte non référentiel, la production de formes de transition. Conformément à ce que nous pouvions attendre, les résultats confirment que la période 1 est favorable à l’omission, contrairement à la période 2. Enfin, nous pouvons observer une tendance significative avec la variable ‘INANIMÉ’, et une relation négative entre cette variable et l’omission, ce qui suggère que les omissions tendraient à être moins produites dans les contextes où le nom est inanimé. Ici aussi, les résultats sont conformes aux observations antérieures puisque nous avions pu relever que les animés étaient légèrement plus fréquemment associés à des formes de transition que les inanimés. Le statut attentionnel ‘DONNÉ’ et le fait que le nom soit réutilisé n’apparaissent quant à eux pas comme des variables significatives, ce qui confirme également les résultats présentés au sein du chapitre VII. Plusieurs constats peuvent être faits à la lecture de l’arbre ci-dessous. En premier lieu, nous pouvons remarquer que la période est le facteur le plus significatif pour prédire la production des omissions. Nous pouvons noter ensuite qu’en période 1, la structure syllabique apparaît comme le deuxième facteur susceptible d’entraîner (ou non) la production des omissions. Celles-ci sont plus fréquentes lorsque le nom est bisyllabique (et donc ‘non impair’) que lorsqu’il n’est pas bisyllabique. Dans ces contextes où le nom n’a pas une structure paire, le cadre syntaxique est le troisième facteur le plus à même de prédire la production d’omissions. On observe par ailleurs une interaction avec le caractère référentiel dans le cas où le cadre n’est pas un cadre privilégié, et avec le statut inanimé lorsqu’au contraire, le cadre est privilégié. Les omissions sont plus fréquentes dans les contextes où le nom est non référentiel que dans les cas où il est produit avec une valeur référentielle. Le contexte non référentiel favorise donc la production d’omissions, conformément à ce que nous avons pu voir à la fois au chapitre VII et dans les résultats qui précèdent. En outre, lorsque le nom est produit dans un cadre privilégié, les omissions sont plus nombreuses avec les noms qui qui ne sont pas inanimés qu’avec les noms inanimés. En période 2, le facteur référentiel est le seul facteur apparaissant comme significatif (après la période) pour pouvoir prédire la production d’un déterminant, et nous pouvons remarquer que les omissions sont plus souvent observées dans les contextes non référentiels que référentiels.

Fillers

En ce qui concerne les fillers, nous pouvons voir (cf. tableau 3 ci-dessous) que comme pour les omissions, la structure syllabique apparaît comme une variable significative, mais contrairement à ce que nous venons de voir, la relation entre cette variable et le filler est positive. Dans les contextes où le nom possède un nombre impair de syllabes (donc non bisyllabique), le filler est plus produit que lorsque le nom est bisyllabique. Ces résultats corroborent donc les observations faites au chapitre VI. Le cadre lexico-syntaxique est lui aussi un facteur significatif mais à l’inverse des résultats concernant les omissions, la relation entre cette variable et la forme pré-nominale est négative. Les fillers tendraient donc à être produits davantage lorsque le nom n’est pas associé à un cadre lexico-syntaxique privilégié. Par ailleurs, le fait que le référent ait déjà été mentionné ne favorise pas la production de fillers. Ceci peut s’expliquer d’une part par le constat que nous avons fait d’une présence plus importante de fillers que d’autres formes dans les contextes où le référent est focalisé, et d’autre part, par le fait que par défaut, tous les noms qui n’ont pas une valeur référentielle ont été codés 0 alors que les noms renvoyant à un référent donné dans le discours ont été codés 1. Ces résultats peuvent donc signifier à la fois que le filler est plus fréquemment associé aux cas où le référent n’a pas été mentionné mais aussi plus largement, qu’il serait privilégié dans les contextes où le nom n’est pas référentiel, ce qui confirmerait ce que nous avons pu noter au chapitre précédent. Conformément à nos hypothèses, pour les fillers comme pour les omissions, la période est une variable qui apparaît comme très significative. En revanche, le statut sémantique et le caractère référentiel du nom, ainsi que le fait que celui-ci soit repris (ou non repris) ne sont pas des variables significatives. Les résultats de l’analyse concernant les reprises concordent avec les observations que nous avons faites dans la seconde partie du chapitre VII. De même, les inanimés ne générant qu’une part légèrement moins importante de fillers et d’omissions que les animés, les résultats relatifs au statut sémantique sont conformes à ceux des analyses menées plus tôt pour chaque enfant. Enfin, bien que la variable ‘RÉFÉRENTIEL’ n’apparaisse pas comme significative, nous pouvons tout de même faire l’hypothèse que l’influence de cette variable (et en particulier, du statut non référentiel du nom) puisse se manifester au travers des résultats concernant le statut attentionnel et discursif du référent (variable ‘DONNÉ’). 

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 Déterminants

Comme pour les fillers et les omissions, la structure syllabique est une variable significative pour prédire la production des déterminants. Conformément à ce que nous pouvions attendre, les déterminants sont plus associés au contexte impair que bisyllabique (z=6.758). Le statut sémantique apparaît lui aussi comme une variable significative. Rappelons que nous avons vu au chapitre VI que les inanimés sont plus fréquemment associés à des déterminants que les animés. C’est aussi ce que les résultats présentés ici nous montrent puisque la relation entre la variable ‘INANIMÉ’ et les déterminants est positive. Le caractère référentiel du nom semble également influencer de façon significative la production des déterminants. Contrairement à ce que nous venons de relever pour les fillers et les omissions – mais conformément aux résultats obtenus pour chaque enfant au chapitre VII – les déterminants sont plus associés aux noms référentiels que non référentiels Les mêmes constats peuvent être faits concernant le statut attentionnel. Les déterminants sont davantage produits lorsque le référent est donné que non donné (et donc, rappelons le, focalisé, nouveau ou réintroduit mais aussi non référentiel). La période apparaît elle aussi comme un facteur pertinent pour prédire la production de déterminants, ceux-ci étant de toute évidence observés davantage en période 2 qu’en période 1. En revanche, le cadre syntaxique et la réutilisation du nom ne sont pas des facteurs prédisant de façon significative la production de déterminants. Si le cadre influence la production des déterminants, nous avons vu qu’il s’agissait davantage d’une influence sur la nature du déterminant produit que sur la présence ou l’absence de déterminant, donc ces résultats, comme ceux portant sur les reprises n’invalident pas ce que nous avons pu voir plus tôt dans ce travail. En ce qui concerne la distribution et l’interaction entre les facteurs, on peut noter en observant l’arbre ci-dessous que comme pour les fillers et les omissions, la période est le facteur prépondérant pour prédire la production des déterminants. En revanche, la structure syllabique n’apparaît plus comme le facteur le plus significatif en période 1. Nous remarquons qu’ici, c’est le caractère référentiel qui prime en période 1 comme en période 2. En période 2, il s’agit d’ailleurs du seul facteur observé et on relève que les déterminants sont plus fréquents en contexte référentiel que non référentiel. En période 1, lorsque le nom n’est pas référentiel, les déterminants sont plus souvent produits dans les contextes impairs que bisyllabiques. Dans les cas où le nom a une valeur référentielle, les déterminants sont également moins nombreux dans les contextes bisyllabiques que pairs et par ailleurs, plus représentés avec les noms inanimés qu’animés. En période 1, les déterminants sont donc privilégiés dans les contextes où le nom est référentiel, impair et inanimé. 

Synthèse des résultats

 Pour conclure, nous pouvons dire que les résultats concernant le degré de significativité des différentes variables considérées dans notre modèle corroborent les observations que nous avons pu faire aux chapitres V, VI et VII. Les résultats que nous venons de présenter montrent également que la production des omissions, fillers et déterminants semble être conditionnée par un ensemble de facteurs plus que par un facteur unique. En nous intéressant à la façon dont se distribuent et interagissent les variables, nous avons pu voir, outre la place prépondérante de la période, que la production des trois formes s’explique dans un premier temps par une combinaison de facteurs (en période 1), et dans un second temps (en période 2), par le caractère référentiel ou non référentiel du nom. Dans le cas des omissions et des fillers, les facteurs distributionnels (et notamment prosodique et syntaxique) sont prédominants durant la première période, et dans le cas des déterminants, le facteur référentiel apparaît déjà à ce stade comme le plus à même de prédire la présence ou l’absence de déterminants. Ces résultats concernant les formes adultes suggèrent que la sensibilité de l’enfant aux facteurs fonctionnels se manifesterait dès la première période dans les usages contrastés que celui-ci fait des formes (déterminant vs. omission ou filler). Bien que l’on observe que le facteur référentiel apparaisse aussi, en combinaison avec des facteurs distributionnels, comme un facteur susceptible d’expliquer la production des omissions en période 1, il semble toutefois qu’il ne devienne particulièrement pertinent pour les omissions comme pour les fillers qu’en période 2. Ces deux formes de transition pourraient donc être utilisées dans un premier temps comme un ensemble que l’enfant oppose aux déterminants, avant que chacune d’entre elles ne devienne spécifiquement déterminée par le statut référentiel du nom, et que les facteurs phono-prosodique et syntaxique ne deviennent moins signifiants. Cette évolution des facteurs prédominants suggère que l’acquisition des déterminants est d’emblée multi-déterminée.

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