Nutrition clinique et dignité humaine

 Nutrition clinique et dignité humaine

Le cas de Monsieur DS, Maladie de Parkinson

– DS, un homme de 78 ans, souffre de la maladie de Parkinson (MP) depuis six ans. Il est atteint d’un diabète de type 2 depuis 2 ans. Traité initialement par le seul régime, il est, depuis quelques mois, traité par insuline en raison de la néphropathie diabétique débutante (protéinurie). Les symptômes de la MP ont progressé au fil du temps et le patient est maintenant incapable de marcher. Il présente des dyskinésies sévères, avec des épisodes d’akinésie / rigidité plus réguliers malgré le traitement pharmacologique. Sa taille est de 1,70 m et son poids de 57 kg, soit un IMC de 19 kg / m2 . Un médecin lui recommande un régime alimentaire faible en protéines afin de limiter l’intéraction avec le traitement de la MP. DS débute le régime faible en protéines, avec seulement une petite portion de protéines animales pour le dîner (environ 20g de protéines / jour). Le patient manifeste une intolérance aux produits laitiers. DS perd du poids après 2 semaines de régime. Son taux de glycémie s’aggrave. Aucune différence n’a été notée dans la fréquence et la durée des épisodes d’akinésie. Il a été recommandé qu’il arrête le régime alimentaire faible en protéines. Deux ans plus tard, il est admis à l’hôpital en raison d’une infection respiratoire. La MP a progressé avec une dysphagie modérée à sévère et la déficience cognitive s’aggrave. Au cours de l’admission à l’hôpital, le patient est incapable de manger à cause de la dyspnée. Une nutrition artificielle s’impose. Lors de l’hospitalisation, le patient présente des troubles cognitifs modérés qui n’ont pas empêché de l’interroger sur sa volonté de recourir à la nutrition artificielle. Il a accepté comme sa famille, la mise en place d’une sonde d’alimentation. Comme il fallait s’y attendre, un traitement à long terme (dysphagie modérée / sévère), avec  une sonde gastrique percutanée (PEG), a été mise en place. Au cours de l’hospitalisation, la gastroparésie (complication du diabète et de la thérapie médicamenteuse) est devenue évidente. En dépit d’un traitement procinétique et de l’assistance en continu d’une pompe pour la nutrition entérale, une pneumonie d’aspiration est apparue, associée aux volumes gastriques résiduels élevés. La nutrition a été rétablie avec succès en utilisant une extension de jéjunostomie et le patient a quitté l’hôpital avec une nutrition entérale à domicile. Pendant les mois suivants, la situation clinique s’est progressivement détériorée et il a développé une démence avancée qui a généré une détresse considérable chez les membres de la famille. Le patient a été transféré vers un centre de soins de longue durée. 

Le problème éthique

 La démence n’est pas synonyme de fin de vie. Cependant, la démence1 est une maladie progressive et incurable qui conduit à une perte complète de la fonction cognitive et à une mort subséquente. Elle se caractérise par une détérioration progressive et/ou épisodique de la capacité décisionnelle, ce qui entraîne une altération de son autonomie, condition requise pour que le patient puisse exprimer son consentement . Il existe plusieurs stades évolutifs allant du stade pré-démentiel au stade terminal. Le stade terminal se caractérise par une altération profonde des fonctions supérieures (aphasie, apraxie, non-reconnaissance de l’entourage proche) associée, notamment, à des troubles du comportement, une incontinence urinaire et fécale, un état grabataire et des troubles de l’alimentation. La sociabilité des patients déments est altérée, mais une communication bilatérale avec le soignant est possible. Il faut reconnaître que ces patients sont capables d’exprimer leur volonté, même si cela passe par une communication souvent non verbale4 . Il ne faut pas le confondre avec l’état des patients en états de conscience altérée (état végétatif chronique et pour toutes les activités de la vie et présentent un défaut de communication et d’interaction avec le monde extérieur. Les décisions cliniques pour les patients déments doit tenir en compte du pronostic de la maladie. Il faut savoir que la survie moyenne après le diagnostic est de huit ans pour les patients ayant entre 65 et 70 ans. La phase de démence sévère peut durer de une à trois années selon la gravité, mais souvent les patients peuvent vivre plus de vingt ans.1 Le risque de décès augmente avec la sévérité de la démence ou l’âge de la personne. Toutefois, la « fin de vie » ou la phase terminale est souvent difficile à pronostiquer. La démence et les maladies associées entraînent un impact sur l’apport nutritionnel2 . (Figure 7) Dans le cas de Monsieur DS, l’évolution de la maladie de Parkinson, de la démence et du diabète ainsi que les régimes restrictifs ont entraîné un état de dénutrition. La dénutrition et la perte de poids dans la démence sont corrélées avec le déclin cognitif et la progression de la maladie . La dénutrition aggrave la démence et la démence aggrave la dénutrition. Ainsi, la démence et les problèmes nutritionnels provoquent une forte charge de souffrance pour les patients qui aggravent leur dépendance, l’anxiété, la dépression et les comorbidités.état pauci relationnel). Ces patients, en raison de leurs troubles moteurs et cognitifs majeurs, sont dépendants.

Le support nutritionnel dans la démence

Lorsque les patients âgés présentant des troubles cognitifs ne peuvent plus s’alimenter de manière naturelle (risques vitaux en lien avec la dysphagie comme le risque d’aspiration), le médecin a souvent recours à la limitation de l’alimentation par la bouche (Nil per os) et à la nutrition artificielle par voie entérale. Ainsi, la sonde nasogastrique permet le passage des solutions de nutrition entérale (poches de nutrition industriellement préparées), mais aussi de l’hydratation et des médicaments jusqu’à l’intestin. Si la situation clinique se détermine irréversible, une alimentation et hydratation artificielles sont envisagées au long terme, comme c’est le cas pour Monsieur DS. Il est alors nécessaire de poser une sonde de gastrostomie percutanée endoscopique (GPE). La pose d’une sonde nasogastrique de nutrition entérale ou d’une PEG chez la personne âgée atteinte de démence est une situation clinique fréquente en « *&! médecine1 . Ce geste, du fait de sa dimension percutanée, semble facile à mettre en place et est donc devenu dans certaines situations, un acte technique presque banal. Cependant, il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’un geste sans risques. Par ailleurs, ses bénéfices réels sont aujourd’hui controversés. En outre, ce type d’alimentation artificielle favorise l’agitation, une plus grande utilisation des contentions physiques et chimiques. Il va de pair avec une utilisation plus grande des ressources économiques et du personnel de soins en raison des complications liées aux tubes. Les risques relatifs à la nutrition par sonde et par GEP sont de 3 à 15 % et concernent le risque de péritonite, d’hémorragie, de déplacement de la sonde, d’infection, d’abcès, de fuites et d’obturation et la bronchopneumonie d’aspiration2 qui est la principale cause de mortalité de ces patients3 . Les bénéfices de la nutrition entérale relèvent de divers ordres. Du point de vue nutritionnel, l’apport de calories et de nutriments permettrait de maintenir ou d’améliorer l’état nutritionnel du patient. Au plan clinique, la nutrition entérale, par ses effets sur l’état nutritionnel et son action sur d’autres systèmes tels que l’immunologique, permettrait d’améliorer les résultats cliniques, en diminuant la fréquence des infections, des escarres, et en limitant la durée de séjour à l’hôpital. Le moindre risque d’aspiration bronchique, de pneumonie de déglutition s’affirme souvent comme un des avantages de cette technique. Cependant, les pratiques concernant la nutrition artificielle par GEP chez les patients atteints de démence ne sont pas unanimes à cause des controverses sur le bénéfice réel et sur les risques attribués à cette pratique. Deux revues systématiques de la littérature scientifique, publiées récemment, ont évalué les effets de la nutrition entérale chez des patients atteints de démence4 . Les principaux résultats cliniques (la mortalité, la pneumonie de déglutition, les escarres, les marqueurs nutritionnels et la qualité de vie) et les taux de survie ont été examinés. La revue publiée par Goldberg en 2014 a évalué dix études publiées entre 1995 et 2012. Les études comparaient la survie des patients déments avec dysphagie qui étaient alimentés par GEP et les patients non alimentés par GEP. Aucune étude n’a montré que les patients s’alimentant par GEP avaient un meilleur taux de survie à long terme. Deux études ont fait apparaître un moins bon taux de survie à moyen terme chez les patients de plus de 80 ans atteints de démence et s’alimentant par GEP. La revue systématique de la littérature de Brooke publiée en 2015 a évalué cinq études qui comparaient les effets de la GEP chez des patients âgés déments et chez des patients non déments. Deux de ces études n’ont pas indiqué de différence dans le taux de mortalité chez les deux groupes de patients ; une étude a fait état d’une meilleure survie chez les patients déments tandis que deux autres études ont constaté une moins bonne survie chez les patients déments. L’auteur conclut en affirmant que les résultats de cette revue systématique permettent de « dépasser la vision traditionnelle selon laquelle la nutrition entérale administrée par GEP augmente le taux de mortalité chez les patients atteints de démence ». Cette conclusion reste toutefois très controversée. Aujourd’hui, il n’y a donc pas de consensus sur les pratiques de l’alimentation artificielle chez ce type de patients. A cet égard, la Société européenne de nutrition clinique (ESPEN) a récemment donné ses recommandations ou lignes directrices relatives à la nutrition dans la démence1 . L’ESPEN confirme l’utilisation de la nutrition entérale chez les patients atteints de démence légère ou modérée si la dénutrition est le résultat d’un état réversible et seulement pour une durée limitée. Les états réversibles sont des maladies concomitantes secondaires telles que la dépression, l’infection, l’utilisation de sédatifs, la douleur ou une mauvaise santé buccodentaire. L’ESPEN ne recommande pas l’utilisation de la nutrition entérale dans la phase terminale de la démence, bien qu’elle reconnaisse que les décisions sont relatives à chaque patient atteint de démence et que le pronostic général et les préférences du patient devraient être pris en considération. Enfin, il est important de constater que les deux revues de la littérature et les recommandations de l’ESPEN signalent l’absence d’études concernant les effets de la nutrition entérale par GEP sur la qualité de vie.

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