Numérique et médiation des savoirs
L’essor des technologies et supports numériques caractérisés par l’explosion des réseaux, la multiplication des données, l’économie de plate-forme, l’interactivité, la relative gratuité et la convergence des autres médias vers Internet, a une influence sur tous les secteurs de l’activité humaine et la communication. Nous verrons dans ce chapitre dans quelle mesure l’usage de ces technologies a reconfiguré les modalités de médiation des savoirs, suscitant des enjeux pour l’éducation aux médias.
Caractéristiques de l’écosystème médiatique numérique
De l’informatique au numérique
Les caractéristiques des médias numériques ainsi que la convergence des anciens et nouveaux médias193 instaurent de nouveaux modes de sociabilité en ligne194 et d’expressivité en facilitant la création de contenus et leur partage195. Les contenus circulent entre les différents supports médiatiques dans un mouvement de convergence, qui entraîne lui-même des changements culturels196 .
Le rapport à l’information et aux connaissances se transforme197. Les « gatekeepers » traditionnels, éditeurs intermédiaires chargés d’exclure ou d’intégrer les informations en les médiatisant, se trouvent concurrencés par de nouveaux acteurs. Cette liste non exhaustive témoigne de profonds bouleversements dans de multiples domaines, qui transforment également les rapports à l’espace et au temps.
Les outils numériques constituent selon certains chercheurs un nouvel écosystème, distinct de l’écosystème « terrestre » et lieu des « communications numériques » : dans son sens écologique, la notion d’écosystème vise à sortir d’une logique de l’outil ou du média. À trop considérer les objets et pratiques numériques comme des « en dehors » qui prolongent les capacités des individus pour peu que l’on sache les utiliser « correctement », on passe à côté du fait que les gens et les élèves en particulier, sont plongés simultanément dans deux univers :
l’écosystème terrestre, celui de leur vie matérielle, sociale et affective (et de ses contraintes, notamment scolaires et familiales) et celui de leurs communications numériques198 . Milad Doueihi insiste également sur le fait que le numérique n’est pas un outil mais bel et bien un « écosystème dynamique199 ». Serge Bouchardon et Isabelle Cailleau parlent quant à eux de « milieu » numérique, un outil conceptuel pour dépasser la représentation du numérique comme simple « fait » et le problématiser dans sa dimension socioculturelle.
Le terme de milieu signifiant alors à la fois ce qui est extérieur (ce qui « environne ») et ce qui est au centre, dans l’entre-deux. Le milieu humain comporte une dimension technique constitutive. Même si le numérique n’est pas la seule facette de la technique contemporaine, « parler de « milieu numérique » revient à mettre l’accent sur des aspects du milieu contemporain sans pour autant l’y réduire201 ». Notre milieu contemporain est traversé par cette dimension technique qui influe sur nos manières de penser.
Les outils numériques formeraient donc un écosystème, ou un « biotope » : nous apprenons à vivre et nous vivons en interaction avec un biotope changeant dont les technologies numériques sont parties intégrantes : mobiliser le concept biologique de « biotope » n’est nullement métaphorique tant les technologies numériques appartiennent concrètement aux facteurs écologiques du milieu qui constitue notre habitat202 . D’après Milad Doueihi, le numérique est la face «visible » et « culturelle » de l’informatique.
Celle-ci, en tant que science issue des mathématiques manipulant le code et créant les interfaces nécessaires à la navigation, reste « dans l’ombre » : « l’infscience de l’information et du discret et le numérique, dans sa dimension socio-culturelle, modifie l’empirique, l’insérant dans une logique génétique qui façonne le passage de l’information à la trace et finalement aux données203 ». L’écosystème numérique désigne par conséquent les aspects socioculturels de l’informatique et l’intégration de celle-ci à tous les aspects de la vie quotidienne : « l’informatique est partout et c’est sans doute depuis cette pénétration profonde de toutes nos activités et de tout notre environnement qu’il convient de l’appeler numérique204 ».
Nous pouvons tirer un parallèle entre l’idée de « pénétration profonde de toutes nos activités et de tout notre environnement » et l’omniprésence des médias touchant « tous les aspects de la vie », telle qu’elle est décrite par les chercheurs germanophones travaillant sur le concept de médiatisation (Mediatisierung) et de numérisation (Digitalisierung).