NUAGES ET POUSSIÈRES DE L’ATMOSPHÈRE MARTIENNE
M ARS est une planète d’une sobriété trompeuse. Les premières images de Mariner 4 (premier satellite à envoyer des données à une distance de plus d’une unité astronomique) révélèrent une surface cratérisée, lunaire, silencieuse (Branigan, 1965). Un demi-siècle plus tard, à l’heure où ces lignes sont écrites, la surface de Mars est entièrement couverte tous les jours par trois satellites (Mars Odyssey, Mars Express, et Mars Reconnaissance Orbiter), et deux rovers explorent jour après jour sa surface (Spirit et Opportunity). Avant eux, de nombreux satellites, atterrisseurs, et rovers. En projet : un véritable laboratoire nomade (Mars Science Laboratory), d’autres satellites, des retours d’échantillons. Et entre temps : beaucoup de découvertes. Mars révèle peu à peu sa fascinante complexité, et bouleverse, avec un calme spatial, notre connaissance du monde, et en particulier, du climat. Mars est un désert froid sous basse pression (quelques millibars), où règne une température d’environ -60◦C en moyenne. Un climat hyper-continental, et très aride, où l’eau en surface n’est stable qu’à l’état solide, et uniquement dans les régions polaires. Pourtant, dès 1979, les images Viking révèlent, aux moyennes latitudes, des structures alors qualifiées « d’écoulements visqueux » (Squyres, 1979), pour ne pas dire ce qui semblait alors invraisemblable : des glaciers en plein désert. De nombreuses structures glaciaires sont aujourd’hui imagées en détail, et révèlent l’existence de grandes glaciations dans le passé récent de la planète. Un nouveau défétait donc lancé aux Modèles de Circulation Générale (GCMs)1 , qui consistait à expliquer comment, en des lieux aujourd’hui hyper-arides, des glaciers avaient pu se former. Cela était possible grâce aux récents développements du GCM martien du LMD, qui incluait une représentation du cycle des poussières (Forget et al., 1999) et un cycle de l’eau complet (Montmessin et al., 2004). Après des résultats très encourageants expliquant l’origine de premiers dépôts glaciaires (Levrard et al., 2004; Forget et al., 2006), l’idée est alors apparue de créer un modèle paléoclimatique où les aérosols seraient mieux représentés, notamment par une meilleure prise en compte de leur effet radiatif. C’est ici que la présente recherche commence. L’objectif de cette thèse est de mieux comprendre le rôle des aérosols, c’est-à-dire principalement des poussières minérales et des nuages de glace d’eau, dans le système climatique martien. Originellement destinés à servir les climats passés, les développements du GCM ainsi réalisés se sont avérés indispensables à la compréhension du climat présent. Cette thèse se concentrera donc autant sur le rôle actuel que sur le rôle passé des aérosols. Pour comprendre l’impact climatique des aérosols sur des échelles de temps courtes ou géologiques, il faut les replacer dans le cadre plus général du système climatique martien, ce que nous faisons dans la première partie de ce chapitre. Ensuite, l’origine du sujet de thèse est explicité, et le plan présenté dans une dernière partie.
Une esquisse du système climatique martien
Mars est un système climatique dont les principales composantes sont l’atmosphère, la cryosphère, et la surface. Ce système climatique est soumis à des forçages qui contrôlent le climat. Ils sont externes quand ils n’appartiennent pas à la planète, et internes lorsPoint sur . . . . . . . . 1 qu’ils sont liés à son activité géologique profonde. ▲❡s ♣❛r❛♠ètr❡s ♦r❜✐t❛✉① ❞❡ ▼❛rs Commençons par décrire les forçages externes. Le premier est le Soleil. Mars se trouve à 230 millions de km du Soleil en moyenne (voir le tableau 1.1), sur une orbite qui est bien plus elliptique (e = 0.093) que l’orbite terrestre (e = 0.017). L’obliquité ǫ, c’est-àdire l’angle compris entre l’axe de rotation de la planète et la perpendiculaire au plan de son orbite, est proche de l’obliquité terrestre, permettant l’existence de saison qui nous sont familières. À une telle distance du soleil, l’éclairement intégré sur l’ensemble des longueurs d’onde solaire∗ est d’environ 600 W m−2 , environ deux fois moins que l’éclairement solaire reçu par la Terre. La température d’équilibre, pour un albédo de 0.25, est alors de 210 K. Le forçage solaire varie selon la configuration orbitale de la planète . À l’échelle saisonnière, la distance au Soleil change par l’excentricité de l’orbite. La longitude solaire au périhélie, notée Lp, permet alors de connaître la saison à laquelle la planète reçoit le plus d’ensoleillement. Les trois paramètres, obliquité, excentricité, et longitude solaire du périhélie Lp, seront par la suite appelés paramètres orbitaux. Actuellement, Mars est au périhélie pour une longitude solaire de 251◦ , ce qui correspond à la fin du printemps de l’hémisphère Sud. Sur une échelle de temps plus longue, de l’ordre de la dizaine voire centaine de milliers d’années, les paramètres orbitaux changent, et le climat ne cesse de varier en suivant des cycles appelés cycles de Milankovitch. Les paramètres orbitaux contrôlent la distribution latitudinale de l’éclairement solaire au cours de l’année. Par exemple, le dernier maximum glaciaire sur Terre s’est déclenché il y a 21000 ans, par un changement d’un peu plus d’un demi degré de l’obliquité ǫ. Grâce aux lois de la mécanique céleste, les paramètres orbitaux de Mars peuvent être calculés pour les derniers millions d’années de la planète, durée au-delà de laquelle la solution devient chaotique (Laskar et al., 2004). L’évolution de l’obliquité ainsi que de l’excentricité de l’orbite martienne est représentée sur la figure 1.1. Pour comparaison, l’amplitude de ces variations sur Terre est donnée par la région bleutée. Les variations des paramètres orbitaux de la planète Mars sont bien plus grandes que sur Terre. Mars a donc connu des changements climatiques intenses, et des ères glaciaires qui seront davantage décrites dans la partie 1.2
Dans cette thèse, nous nous concentrerons sur les changements climatiques dus aux variations du forçage solaire, et ce pendant les dernières centaines de millions d’années d’histoire de la planète . D’autres forçages externes sont essentiels, et ont probablement joué un grand rôle dans l’histoire primitive de la planète. Le vent solaire, par exemple, érode l’atmosphère de la planète si celle-ci ne possède pas un champ magnétique suffisant créé par l’activité d’un noyau métallique (Chassefière and Leblanc, 2004). La cratérisation est un autre forçage externe qui fut, dans le passé, un facteur essentiel du climat, surtout pendant le premier milliard d’années de la planète, à une époque où de nombreux petits corps peuplaient encore le système solaire (Hartmann and Neukum, 2001). La cratérisation contribue à l’érosion de l’atmosphère et à la diminution de la pression de surface, ce qui change considérablement le climat (Brain and Jakosky, 1998). Ce changement s’est accru lors d’un bombardement massif, survenu il y a 3.8-3.9 milliards d’années (Solomon and Head, 2007), nommé le « Late Heavy Bombardment » (LHB). La cratérisation a donc joué un grand rôle dans la transition d’une atmosphère dense et humide, lors du premier milliard d’années de la planète, à une atmosphère fine et sèche telle qu’on la connaît aujourd’hui. Après les forçages externes, les principaux forçages internes de Mars sont l’activité magnétique de son noyau, et le volcanisme. L’activité magnétique du noyau change le climat car la magnétosphère résultante protège l’atmosphère de l’érosion par le vent solaire (Chassefière and Leblanc, 2004). L’activité magnétique du noyau a aujourd’hui disparu, mais le survol à basse altitude de la planète par Mars Global Surveyor (MGS) a permis de détecter un champ rémanent (Acuna et al., 1998), piégé principalement dans les roches anciennes de l’hémisphère Sud. Mars possédait donc probablement un champ magnétique actif au début de son histoire, il y a plus de 3.7 milliards d’années. L’autre principal forçage interne est le volcanisme. Mars est une planète dont la surface a été principalement sculptée par les volcans et la cratérisation (Head et al., 2001). Le volcanisme a donc probablement beaucoup affecté les climats passés de la planète, par émission de clastes et de gaz (Hort and Weitz, 2001), mais aussi par interaction avec la cryosphère, lors d’intrusion magmatique dans d’immenses volumes d’eau souterraine (Gulick, 1998). L’activité volcanique est aujourd’hui quasi inexistante. Seules des émanations de méthane, qui restent à confirmer, pourraient suggérer la circulation actuelle de fluides hydrothermaux (Lyons et al., 2005).A présent, ces forçages contrôlent le système climatique et ses composantes, et nous décrirons en premier lieu la surface, dont nous avons déjà évoqué rapidement la géologie. Une carte topographique de Mars est représentée sur la figure 1.2, telle que mesurée par l’altimètre laser MOLA. Les terrains sont datés selon une chronologie constituée de trois principales ères, et basée sur leur taux de cratérisation (voir la figure 14 de Hartmann and Neukum, 2001) : le Noachien, qui va de la création de la planète il y a 4.5 milliards d’années à 3.8 milliards d’années, l’Hespérien, qui va de -3.8 à -3.2 milliards d’années, et l’Amazonien, qui désigne la période la plus récente. Une très rapide biographie de la surface se résumerait ainsi∗ . La planète se forme il y a environ 4.5 milliards d’années, son noyau métallique se différencie, et un océan de magma se refroidit en environ 100 millions d’années 2 . L’immense dépression du Nord de la planète (voir Fig. 1.2) se serait formée peu de temps après, et résulterait d’un gigantesque impact, expliquant cette étonnante barrière topographique entre le Nord et le Sud de la planète, nommée la « Dichotomy Boundary » (Andrews-Hanna et al., 2008). Par la suite et jusqu’à la fin du LHB, l’environnement de la planète était très différent de ce qu’il fut par la suite. En effet, de nombreux indices géologiques attestent de la présence d’eau liquide en surface à cette époque : des vallées ramifiées (Mangold et al., 2004), des dépôts sédimentaires stratifiés (Lewis et al., 2008), des deltas (Fassett and Head, 2005), et divers minéraux apparemment altérés par de l’eau liquide, dont nous reparlerons. Après le LHB, le volcanisme se poursuit pendant l’Hespérien, et façonne près de 30% de la planète (Carr and Head, 2010). Ses principaux centres sont le plateau de Tharsis (Fig. 1.2, 10◦S-110◦W), Elysium Mons (30◦N-150◦E), et Syrtis Major (5◦N-60◦E). Le bombement régional dû aux remontées mantelliques de Tharsis a créé de nombreux rifts et fossés d’effondrement, dont un spectaculaire : Valles Marineris (10◦S-60◦W, Hauber et al., 2010). De même, les interactions entre la cryosphère et le volcanisme ont créé des écoulements d’eau épisodiques et catastrophiques (les « outflow channels », Gulick, 1998), dont le plus étendu débouche sur Chryse Planitia (30◦N-30◦W). Il résulte de cette histoire géologique une topographie spectaculaire, abritant le plus grand volcan du système solaire, Olympus Mons (20◦N-135◦W), haut de 21 km, le canyon de Valles Marineris, d’environ 5 km de profondeur, et une région climatiquement intriguante, Hellas, située 7 km en dessous des plateaux environnants (Fig. 1.2, 40◦S-60◦E). À la fin de l’Hespérien, la surface martienne est assez proche de ce qu’elle est aujourd’hui. À l’Amazonien, le volcanisme est dix fois moindre qu’à l’Hespérien, et centré principalement sur Tharsis et Elysium (Carr and Head, 2010). L’Amazonien est l’ère des changements climatiques dus aux cycles de Milankovitch, avec de très nombreuses formations glaciaires.
1 Introduction 1 |