Les dernières avancées technologiques ont permis la miniaturisation des composants électroniques, conduisant à la mise au point de nouveaux dispositifs miniatures plus petits que les téléphones intelligents (« smartphones »). Dès 1998, Steve Mann propose une montre permettant d’utiliser une application de visioconférence . En 2001, IBM présente le concept de bijoux numériques [Miner, 2001] puis une montre ordinateur embarquant un système d’exploitation Linux [Narayanaswami et al., 2002].
Au cours de ce travail de thèse, de nouvelles montres interactives sont sorties dans le commerce, comme I’m Watch [I’mWatch, 2013], Pebble [Pebble, 2013] et la SmartWatch de Sony [Sony, 2013], qui sont autant de preuves du dynamisme du domaine des petits dispositifs interactifs miniaturisés. De tels objets soulèvent de nombreux problèmes en termes d’interaction : petite taille, peu de boutons physiques, écran petit ou inexistant. L’intégration de nouveaux capteurs (accéléromètre, gyroscope, caméra, boussole, capteur de pression…) permettant de détecter les mouvements, l’orientation, la pression ou encore le champ magnétique apporte de nouvelles possibilités d’interaction fondées sur les gestes que l’utilisateur réalise avec son dispositif. De par le facteur de forme (petite taille, poids), la connectivité (Bluetooth, Wifi, GSM) et les spécificités d’usage (l’utilisateur a en permanence le dispositif sur lui) des petits dispositifs mobiles, ce nouveau type d’interaction leur est particulièrement adapté. Nous nous intéressons ici à ce type d’interaction, où la principale préoccupation est d’augmenter la bande passante interactionnelle des bijoux numériques interactifs.
La plupart des dispositifs de montres existants ont les mêmes limitations. En effet sur tous ces prototypes, la seule partie interactive pour l’utilisateur se trouve être l’écran ou son contour immédiat. Ceci pose de nombreux problèmes en termes d’interaction:
– L’écran servant à la fois pour l’interaction en entrée et en sortie (affichage), il existe un très fort risque d’occultation de l’écran par le doigt de l’utilisateur. En outre, le doigt étant relativement grand en proportion de l’écran, il est difficile d’être précis en interagissant. Ce problème bien connu en informatique mobile est nommé le « fat finger problem » [Vogel and Baudisch, 2007].
– L’interaction gestuelle n’en étant qu’à son commencement sur de tels dispositifs, existe-til des métriques et des modèles utilisables pour des interactions à ce niveau d’échelle ? En l’occurence, la loi de Fitts semble prometteuse puisque largement répandue, y compris dans l’informatique mobile.
Dans toutes sortes de situations de la vie quotidienne, nous avons besoin d’effectuer des mouvements destinés à atteindre un point de l’espace. Par exemple pour éteindre la lumière dans une pièce il nous faut atteindre avec la main un interrupteur mural. Le contexte de l’IHM ne fait pas exception. Depuis l’origine de l’interface graphique mise au point dans les années 1980, l’utilisateur s’exprime la plupart du temps au moyen de clics de souris sur diverses cibles graphiques comme des icônes ou des liens hypertexte. De manière générale on appelle pointage l’acte consistant à atteindre un objet identifié comme la cible avec un pointeur (par exemple, le bout du doigt, la pointe d’un stylo ou d’un stylet, ou un curseur d’écran).
Comme on le sait au moins depuis Woodworth [Woodworth, 1899], tout mouvement de pointage se heurte à un problème de conflit vitesse/précision. Un mouvement précis est lent, tandis qu’un mouvement rapide est imprécis. La loi de Fitts [Fitts, 1954], qui lie le temps de mouvement (indice de vitesse) à la difficulté (indice de la précision requise) de la tâche de pointage, est une description mathématique de la relation liant la vitesse et la précision de nos mouvements de pointage.
Depuis sa description en 1954, et plus particulièrement grâce aux travaux de Card [Card et al., 1978] et MacKenzie ([MacKenzie, 1992],[Soukoreff and Mackenzie, 2004]), la loi de Fitts a été beaucoup utilisée pour évaluer expérimentalement de nombreux dispositifs d’entrée parmi lesquels :
– la souris, le plus courant ([Card et al., 1978], [Bacon and Vu, 2011], [MacKenzie and Isokoski, 2008]),
– le joystick (parfois francisé en « manche à balai », qui permet de contrôler un curseur en mode vitesse ([Card et al., 1978], [Epps, 1986], [Kantowitz and Elvers, 1988], [Casiez and Vogel, 2008]…),
– les touches de direction ([Card et al., 1978]),
– les pédales pour les pieds, agissant comme des flèches de direction gauche et droite ([Drury, 1975]),
– les surfaces tactiles ([Bacon and Vu, 2011]),
– les pavés tactiles (touchpad) ([Epps, 1986]),
– les boules de commande (trackball) ([Epps, 1986]),
– les tablettes graphique ([Guiard et al., 2011]),
– les dispositifs de suivi du regard (eye-tracker) ([Ware and Mikaelian, 1987]) .
Tous ces dispositifs sont utilisables par différentes parties du corps, comme la main, le pied ou les yeux. Ils peuvent être des périphériques de pointage direct (écran tactile, où l’utilisateur indique précisément sur le dispositif d’affichage le point qu’il vise) ou indirect (le contrôle du curseur se fait sur un dispostif distinct de l’écran). De la même façon, les pointages sont absolus (l’utilisateur pointe une coordonnée pour y placer le curseur), ou relatifs (l’utilisateur imprime un mouvement au dispositif d’entrée qui fait se déplacer le curseur dans une direction).
En informatique et en IHM en particulier, la loi de Fitts est massivement appliquée à des tâches où l’utilisateur doit positionner un curseur sur une cible à l’écran. D’après sa formulation originelle, elle s’applique spécifiquement dans les cas suivants :
1. Elle s’applique uniquement au mouvement dans une dimension unique et non pas à un mouvement en deux dimensions (même si des extensions ont été proposées, par MacKenzie [MacKenzie and Buxton, 1992] ou par Accot et Zhai —loi de Steerin — [Accot and Zhai, 1997] [Accot and Zhai, 2003]).
2. Elle s’applique à des tâches effectuées avec ou sans entraînement
3. Elle est aussi très utilisée pour l’étude de la saisie de texte, sur clavier physique ou virtuel ([MacKenzie and Zhang, 1999] [Zhai et al., 2002]).
La loi de Fitts permet de déduire des recommandations cruciales pour la conception d’interfaces graphiques :
1. Les boutons et autres contrôles actifs, graphiques ou physiques doivent être d’une taille suffisante, puisqu’il est difficile de cliquer sur de petits contrôles.
2. Les bords et les coins de l’écran d’ordinateur sont faciles à atteindre, parce qu’une fois que le pointeur a atteint le bord, il y reste indépendamment de la distance parcourue avec la souris, ce qui peut se traduire par une largeur de cible (W) infinie, donc un temps d’acquisition tendant vers 0. Dans ce genre de cas, des problèmes peuvent se poser, quand le curseur de la souris « glisse » le long des bords par exemple [Appert et al., 2008]. Cela explique la position du menu « Démarrer » dans les version récentes de Windows, ou du Dock sous Mac OS X. Dans le cas d’un écran tactile, cette assertion n’est pas toujours vraie, parce que la taille du doigt peut rendre l’acquisition de cible dans un angle ou trop près d’un bord particulièrement pénible.
3. De la même façon, un menu placé sur un bord de l’écran (sous Mac OS) est plus facilement pointable qu’un menu placé sur une fenêtre au milieu de l’écran.
Depuis sa formulation par Fitts en 1954 [Fitts, 1954], de nombreuses formules ont été proposées. Nous allons d’abord passer en revue les principales variantes proposées, puis la notion d’indice de difficulté sera explicitée. Enfin nous présenterons une limitation des notions de distance et largeur, fixées dans le protocole expérimental, qui sont remplacées par la distance et largeur effectives, déterminées expérimentalement.
1 Introduction Générale |