Cette thèse s’inscrit dans un contexte général d’émergence majeure et préoccupante de résistance aux antibiotiques. En février 2017, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié sa première liste «d’agents pathogènes prioritaires» résistants aux antibiotiques, recensant les 12 espèces ou familles de bactéries les plus menaçantes pour la santé humaine. L’objectif est d’orienter et promouvoir la recherche de nouveaux antibiotiques, afin de lutter contre la résistance croissante aux antibiotiques dans le monde. Ces agents sont classés en trois catégories, selon l’urgence du besoin en nouveaux antibiotiques : critique, élevée ou moyenne. Pseudomonas aeruginosa (PA) résistant aux carbapénèmes appartient à la catégorie des agents critiques, en tant que bactérie multi-résistante représentant notamment une menace particulière dans les hôpitaux et les maisons de retraite.
Selon un communiqué de l’ANSM, les bactéries multi-résistantes seraient responsables de 12500 décès par an en France, et pourraient ainsi devenir la première cause de mortalité dans le monde (Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des Produits de santé 2017). Selon les données européennes de l’European Centre for Disease Prevention and Control, la prévalence des souches de PA multi-résistantes (résistantes à au moins 3 groupes d’antibiotiques) responsables d’infection invasives en 2017 était de 13% (European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) 2018). Récemment, une étude multicentrique internationale a évalué la prévalence des pneumonies communautaires à PA multi-résistant dans la population générale à 2% (Restrepo et coll. 2018). Premier facteur incriminé dans l’émergence de la résistance, la consommation excessive d’antibiotiques qui en France dépasse de 40% celle de nos voisins européens. Cette consommation abusive impacte le microbiote, notamment digestif, des consommateurs, et sous l’effet de la pression de sélection antibiotique génère l’émergence de bactéries (multi)résistantes. Au travers de différents plans ministériels associés à la démarche « One Health » lancée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2015, la France tente de ralentir la progression de l’antibiorésistance. Les mesures de maîtrise visent en premier lieu à promouvoir une sensibilisation massive du grand public et des professionnels de santé concernés, ainsi que leur formation afin d’améliorer l’usage des antibiotiques en médecine humaine et animale. En parallèle de ces mesures préventives, de nouvelles mesures curatives doivent voir le jour afin de permettre une prise en charge thérapeutique des patients atteints d’infection à bactéries multi-résistantes. Outre le développement de nouvelles molécules antibiotiques, la recherche se concentre également sur des thérapeutiques alternatives aussi bien prophylactiques que curatives.
Pseudomonas aeruginosa (PA) est un bacille Gram négatif non fermentant, ubiquitaire de l’environnement humide. Décrit en 1872 par Schroter, il fut d’abord appelé Bacillus aeruginosis (Schroeter 1875) du fait de la couleur bleutée observée sur les lésions cutanées infectées. En 1882, il fut isolé et décrit par Gessard qui le renomma bacille pyocyanique (Gessard 1984). Enfin, Migula le nomma Pseudomonas aeruginosa (Migula 1900) et ce nom est toujours d’actualité. Il appartient à la famille des Pseudomonadaceae, à l’ordre des Pseudomonadales au sein de la classe des Gammaproteobacteria.
PAO1 est une des souches de référence de laboratoire de PA. Il s’agit d’une souche résistante au chloramphenicol dérivant de la souche originale PAO isolée en 1954 d’une plaie d’un patient à Melbourne en Australie (Klockgether et coll. 2010). Son génome, constitué de 6,3 Mb, a été entièrement séquencé en 2000 (Stover et coll. 2000). Il s’agissait du 25e génome bactérien complet séquencé. Il s’agit d’un des plus grands génomes bactériens connus qui porte de nombreux gènes impliqués dans la virulence et les fonctions métaboliques de PA. Avec le temps, des sous-lignées de PAO1 ont émergé, et présentent des différences génotypiques (nombreux SNPs différents d’une souche à l’autre), de sensibilité aux antibiotiques, et fait plus notable, de virulence, constat de l’observation de survies différentes après l’administration d’inocula identiques des différentes souches en modèle murin de pneumonie (Klockgether et coll. 2010). Inéluctablement, cette constatation impacte la comparaison des résultats d’études ayant eu recours à des souches de PAO1, et la caractérisation exacte de la sous-lignée par génotypage devrait à l’avenir être renseignée.
Parmi les caractéristiques morphologiques, structurales et métaboliques de PA, on notera sa taille de 1 à 5 μm de long, sa mobilité monotriche due à la présence d’un unique flagelle polaire et son métabolisme aérobie oxydatif.
PA est une bactérie retrouvée dans l’eau et le sol, pouvant infecter un grand nombre d’organismes : plantes(Rahme et coll. 1995), nématodes(Mahajan-Miklos et coll. 1999, M. W. Tan et coll. 1999), insectes (Apidianakis et coll. 2009), et divers mammifères (Chevaleyre et coll. 2016, Cigana et coll. 2016, Kukavica-Ibrulj et coll. 2014). Chez l’homme, PA est responsable d’un large spectre d’infections, aigües ou chroniques : oculaires (kératite), cutanées (folliculite et surinfections de brûlures), urinaires, respiratoires (sinusite, trachéobronchite, pneumonie), bactériémie. Sa pathogénicité repose sur de nombreux facteurs de virulence, notamment des exotoxines et des enzymes. Il produit également un biofilm qui le protège de l’environnement, des anticorps produits par l’hôte et des cellules phagocytaires.
On distingue différents syndromes au sein des infections respiratoires à PA :
Les pneumonies communautaires : PA colonise le tractus respiratoire supérieur puis infecte le poumon. C’est probablement le point de départ des pneumonies observées chez les patients atteints de mucoviscidose (CF) et les patients atteints d’infections respiratoires chroniques. Chez le patient atteint de mucoviscidose, les données 2017 du registre français de surveillance rapportent la présence de PA dans au moins un prélèvement respiratoire chez 37 % des patients, parmi lesquels 21 % sont colonisés chroniquement à PA. La prévalence de l’infection augmente avec l’âge du sujet (Vaincre la Mucoviscidose et Institut national d’études démographiques (Ined) 2019).
Les pneumonies nosocomiales dans les unités de soins intensifs : Elles comprennent les pneumonies sévères acquises à l’hôpital et les pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM) qui représentent 80% des pneumonies nosocomiales (Koulenti et coll. 2017). Dans les premières, la physiopathologie est la même que pour les pneumonies communautaires. Dans les secondes, PA infecte les poumons par aspiration à partir des fluides de ventilation mécanique. L’incidence des PAVM est estimée à 18 pour 1000 jours de ventilation mécanique en Europe, contre seulement 2 à 4 pour 1000 jours de ventilation aux USA (Koulenti et coll. 2017). En France, les données du réseau de surveillance REA Raisin rapportent un taux d’incidence de 15,5 PAVM pour 1000 jours d’intubation, variable d’un service à l’autre et selon les caractéristiques des patients (Santé Publique France 2019). Selon ce même réseau de surveillance, les bactéries les plus fréquemment isolées lors de pneumonies nosocomiales sont les entérobactéries (40 %), suivies par P. aeruginosa (18 %) et S. aureus (14 %). Près de 22 % des souches de PA présentent une résistance à la ceftazidime et 24 % aux carbapénèmes, et 1,6 % des souches sont pan résistantes (résistance aux bétalactamines dont carbapénèmes, aminosides, fluoroquinolones et colistine). La documentation microbiologique des pneumonies nosocomiales avoisine les 70% (Koulenti et coll. 2017). La mortalité des pneumonies nosocomiales est variable, estimée entre 5 et 13%, et dépend du terrain sous-jacent, notamment pour les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive qui présentent une mortalité supérieure (Leone et coll. 2018).
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