Nouveaux outils pour la construction de modèles de bassins
De nombreuses difficultés sont rencontrées dans la mise en œuvre des méthodes et des outils de simulation des bassins sédimentaires. Tout d’abord, du fait du caractère intrinsèquement multidisciplinaire de la modélisation de bassin, ceux qui la pratiquent ont souvent quelques connaissances en mathématiques appliquées, en géologie, en mécanique, en chimie, en biologie, en géophysique ou encore en thermodynamique. Toutefois ils ne sont guère spécialistes que d’une d’entre elles tout au plus. Par ailleurs, les échelles de temps et d’espace de simulation sont particulièrement grandes en comparaison de la taille des objets mesurés (échantillons de roche, puits…) et des durées d’études expérimentales. Ces écarts imposent des changements d’échelles importants dans la description des phénomènes, dans leur application et dans l’interprétation des résultats. Enfin, le temps disponible pour la réalisation des études des bassins sédimentaires est souvent compté. Ce contexte oblige donc à adopter des approches pragmatiques qui peuvent alors vite être critiquées par des spécialistes d’une discipline spécifique. Waples (1992a, b) et Burrus (1997) donnent un très bon aperçu des méthodes mises en œuvre par les modélisateurs de bassins pour l’analyse thermique des systèmes pétroliers. Ils décrivent précisément des approches pragmatiques fréquemment mises en œuvre par les géologues afin de prendre en compte les données et afin de les interpréter en lien avec les phénomènes thermiques. Ils illustrent de quelle manière sont construits et testés les différents scénarios géologiques dans les modélisations numériques. Ils explicitent la construction des hypothèses, leur façon d’analyser les résultats et de les accepter ou de les rejeter en fonction de leur cohérence avec les hypothèses initiales. Un des enseignements de l’expérience de ces modélisateurs de bassin est que la cohérence du modèle numérique avec le concept géologique est très importante. Il est ainsi préférable de bien prendre en compte les phénomènes au premier ordre plutôt que de rechercher une précision illusoire. Forcer les modèles à reproduire très précisément des données locales peut en effet être contreproductif pour l’objectif initial d’exploration du bassin sédimentaire.
Les outils de modélisation de bassin sont conçus pour construire des modèles géologiques et réaliser les simulations numériques associées. Toutefois des lacunes peuvent être observées dans l’accompagnement du modélisateur dans la mise en cohérence du modèle géologique avec les données numériques utilisées (ex : évolution géodynamique et modèle thermique du bassin sédimentaire). Ils requièrent souvent une organisation et une discipline personnelle importante pour assurer la cohérence d’éléments aussi divers que la géochimie de la roche-mère, l’analyse sédimento-stratigraphique, les propriétés mécaniques des roches, la géodynamique du bassin et son histoire thermique. Ce défi est encore plus grand lorsqu’il s’agit, en plus, de reproduire des données observées (ex : températures, pression dans les forages). Cette première partie présente deux nouvelles méthodes visant à y apporter des solutions. Elles visent à aider les modélisateurs de bassin dans leur construction de modèle cohérents avec l’ensemble des données et avec les interprétations géologiques à leur disposition. Elles proposent ainsi des approches nouvelles pour mieux prévoir deux aspects clés de la modélisation de bassin : l’histoire thermique du bassin et la distribution de la richesse en matière organique dans les roches-mères qui le composent.
La modélisation de bassin prend en compte la dynamique des processus interdépendants d’un système pétrolier afin d’estimer la quantité, la qualité et la localisation des accumulations de pétrole dans les bassins sédimentaires. Dans ce contexte, la détermination, à l’échelle du bassin, de l’évolution du champ de température au cours de son histoire géologique revêt une importance capitale. En effet, les travaux menés à partir du milieu du 20ème siècle ont démontré (ex : McNab et al., 1952 ; Pitt, 1961 ; Hoering et Abelson, 1963 ; Kartsev et al., 1959 ; Philippi, 1965) puis raffiné (ex : Louis et Tissot, 1967 ; Ungerer et al., 1986 ; Béhar et al., 2008) la compréhension de l’influence du temps et de la température dans les processus de transformation de la matière organique en pétrole (se référer à Burrus, 1997 ou à Ducros, 2014, pour une synthèse de ces travaux). Leurs résultats ont permis de comprendre précisément de quelle manière ces deux variables contrôlent à la fois les masses d’hydrocarbure générées, leur qualité ainsi que la chronologie des événements de génération et de migration des hydrocarbures. Avant l’émergence de la modélisation de bassin, l’histoire thermique d’un bassin était décrite à partir d’hypothèses simples, notamment via l’utilisation de gradients géothermiques constants dans le temps. Cette approche suppose l’absence de processus de convection ou d’éléments radioactifs et néglige tous les aspects de la dynamique des bassins sédimentaires (ex : rifts, sédimentation ou érosion rapide, tectonique…). La modélisation de bassin permet aux explorateurs d’utiliser ces informations afin de mieux contraindre l’histoire du champ de température et de lever les limitations liées à l’utilisation des gradients géothermiques. D’une part, elle permet l’utilisation de paléo-thermomètres tels que la réflectance de la vitrinite (ex : Burnham et Sweeney, 1989) ou les traces de fission de l’apatite, pour lesquels furent mis au point des modèles de leur évolution en fonction du temps et de la température. D’autre part, elle donne accès à la résolution de l’équation de la chaleur en temps et en espace, rendant possible l’estimation d’une évolution de la température plus réaliste. Il devient alors possible de tenir compte des variations (spatiales et temporelles) de température à la surface de la pile sédimentaire, des variations de flux de chaleur ou de température à la base du bassin sédimentaire et des propriétés thermiques des roches et de l’eau (compaction de la roche, conductivité thermique, capacité calorifique…). Elle permet enfin d’inclure des effets importants de la dynamique sédimentaire (érosions et sédimentation) et de la tectonique (rifts, fluage du sel…).