Netlore réinventer le folklore dans le contexte communicationnel du réseau

Netlore réinventer le folklore dans le contexte communicationnel du réseau

La question du folklore Internet est au cœur des études cyberculturelles, même si elle n’a pas fait l’objet d’une attention particulière après que la cyberculture ait disparu quelque peu des laboratoires d’université. Plusieurs raisons semblent nourrir ce déficit d’attention. Tout d’abord, la question du folklore, liée à celle des origines de la culture, n’est a priori pas posée dans un contexte technique souvent en porte-à-faux avec la technologie, qui lui serait opposé :

« La technologie et les expressions modernes de la société sont pratiquement absentes des études folkloriques [Volkskunde] […] exclues par définition parce que la culture populaire était comprise comme pré-technologique, pré-industrielle, et prémoderne »68 (Hermann Bausinger, Folk Culture in a World of Technology (1986) cité in Bendix, 1997 : 169). Une des liaisons possibles, selon le folkloriste Bausinger, serait à observer dans le folklorisme (la recréation artificielle du folklore pour des publics extérieurs), qui trouve ses conditions de réalisation précisément dans le lien avec les industries (ibid. : 183).

L’idée d’un folklore Internet est donc soumis soit au paradoxe (comment concilier culture « traditionnelle » et nouvelles technologies ?) soit à la suspicion (la médiation d’expressions folkloriques n’est-elle pas liée à une commodification des cultures populaires dans la reproduction technique ?). Par ailleurs, le folklore semble résister aux mécanismes d’ethnogenèse impliqués dans l’apparition d’une culture technologique : « les traditions du folklore sont perçues comme l’imitation d’un ‘monde perdu’, originel, stable et désiré »69 (Kuutma, 199870).

L’idée que les ethnogenèses de la cyberculture puissent faire émerger de nouvelles traditions culturelles populaires est en contradiction avec les thèses de la cyberculture comme celles de leurs critiques. En effet, la cyberculture se fonde sur des « mondes à part » marqués par la virtualité et la contre-culture. Ses détracteurs, militant pour la fondation d’une science d’Internet, cherchent à réévaluer le poids des représentations et pratiques ordinaires dans le contexte de réseau, mais aussi à démythifier le rapport à la technique, ce qui est également en contradiction avec la notion de folklore.

Celle-ci est donc marquée par le « présentisme » déjà critiqué à propos de la cyberculture par Barry Wellman, mais ici constitutif de sa définition même : « La tradition n’est ni authentique ni inauthentique parce qu’elle n’est pas propulsée depuis le passé comme une chose ou une collection de choses, mais elle se réinvente sur le plan symbolique dans un présent toujours renouvelé […] dans une phase permanente de désordre et de confusion, toujours sur le point de se désintégrer sous la pression du changement »71 (Kuuma, 1998).

Le problème du folklore en contexte de réseau est donc situé dans un intermédiaire peu confortable, d’autant plus que la question est davantage mise de côté que posée de manière analytique, inquiétant par l’instabilité qu’elle postule dans la définition de son objet. Pourtant, c’est précisément cette instabilité qui m’intéresse, dans la mesure où elle nourrit non seulement la problématique du vernaculaire, mais aussi l’histoire même de l’Internet pensée comme réinvention permanente (Abbate, 2000, cf. 1.1.2.2.).

 Le folklore informatique : un renouvellement des méthodes et des objets de la recherche folkloriste

Dans son introduction à l’édition 2007 du journal académique Folklore Forum, le directeur de publication Curtis Ashton évoque longuement les problèmes posés par Internet aux études folkloriques. Il encourage les chercheurs en folklore à s’intéresser à Internet non seulement comme une nouvelle plateforme pour la communication et la publication académique, le stockage et à la présentation des documents du passé, mais aussi comme terrain d’investigation ethnographique, et objet d’étude en soi (ses discours et ses motifs 105 traditionnels). Internet devient un moyen réflexif de s’approprier les méthodes et les objets du travail du folkloriste.

Dans un article écrit en 1983 et republié dans l’édition 2007 de Folklore Forum William S. Fox s’attache à poser les bases d’un folklore informatique dans l’observation des produits de processus folkloriques impliquant l’usage des ordinateurs (« computer lore »). Dans son observation des pratiques de jeunes étudiants face au réseau informatique local de leur école, Fox dégage une typologie provisionnelle en deux temps permettant de faire la distinction entre le folklore relatif aux ordinateurs et le folklore créé entièrement à partir d’ordinateurs. Je reprends ici sa typologie en rappelant, quand c’est possible, les développements ultérieurs effectués dans chacun des domaines. 

Un art folklorique informatisé

Contes et légendes, plaisanteries et anecdotes passées d’utilisateur en utilisateur par le biais du courrier électronique ou de disquettes sont des matériaux appartenant à un art folklorique qui informatise le matériau textuel. Ils sont mis en circulation entre des utilisateurs que Fox juge en général incompétents en informatique, ou, au mieux, novices.

Il trouve des motifs de cette incompétence dans les lieux communs d’une inquiétude face à ces nouveaux outils informatiques difficiles à maîtriser. S’il est difficile de maintenir l’hypothèse de la circulation de ce type de matériau seulement entre des utilisateurs novices, la persistance des motifs de l’anxiété informatique dans ces objets circulants est toujours palpable à l’ère du Web. Ainsi l’une des icones de l’humour de réseau les plus célèbres est l’illustration d’un chien qui est en train d’utiliser Internet et qui, s’adressant à un autre chien, dit : « Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien » (« On the Internet, nobody knows you’re a dog »).

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