Négociation entre histoire et fiction dans la matière du roman

Des « sites de production et de circulation de discours »

Le récit est déployé sous plusieurs supports : livre, film, série télévisée proposent des éléments communs, les adaptant à des situations de production et de réception différentes. La multiplicité devient la forme privilégiée pour des entrées singularisées dans le monde de cette fiction. Si l’on considérait Romanzo Criminale sous une perspective exclusivement structurale, comme une série de textes à travers lesquels se répète une même œuvre, le phénomène à décrire serait un mouvement traductif, une « interprétation des signes linguistiques au moyen de systèmes de signes non linguistiques ». C’est la notion de traduction intersémiotique, établie par R. Jakobson dans ses Essais de linguistique générale (1963) et utilisée par la traductologie (cf. Venuti, 1995 et 1998). Elle implique un acte de correspondance entre un texte d’arrivée (target text) et un texte source (source texte) ; la recherche d’une équivalence dans la différence renvoie toujours au problème de fidélité à un original2, conçu comme une œuvre produisant du sens de manière autonome. Dans le cadre de notre étude, la problématique de la fidélité à l’original est à problématiser. Elle est liée à une approche considérant le cinéma comme médium, point de vue qui nous semble sous-évaluer la place du cinéma dans l’histoire des médias et,  par-delà, les apports culturels et contextuels, communs à toute pratique d’adaptation, qui prennent forme dans un espace social de discours. Une perspective selon laquelle le texte serait la seule source de toute production de sens risquerait de nous faire sous- estimer le rôle actif des consommateurs. Notre objet propose un dispositif de répétition multiple : le renvoi à des textes préexistants, la familiarisation avec des personnages et des événements historiques et, d’un point de vue interne, la sérialité des contenus (notamment pour la série télévisée). Reprenant le paradigme de Jakobson, parler d’« équivalence » pour cet objet serait réducteur, car la diversité des langages qui véhiculent le récit est liée à l’évolution technologique ainsi qu’aux contenus culturels et aux discours sociaux dépendant du contexte de production et de réception. La problématique nous semble donc à analyser sous un angle différent de celui que proposerait une analyse purement structurale : l’adaptation doit prendre en compte d’autres éléments que la valeur de la fidélité à l’original. Nous estimons qu’il faut comprendre les rapports technologiques, économiques et sociétaux d’un média dans son contexte (Staiger, 2004). À l’époque contemporaine, les nouvelles technologies rendent possible une convergence des médias : concevoir un produit comme le maillon d’un réseau est de plus en plus fréquent. C’est par ailleurs ce que confirme ce commentaire d’un spectateur : eu encore le courage de nous expliquer1. Internet permet aux spectateurs d’accéder à un ensemble de connaissances, avec une rapidité inconnue auparavant et, cela, grâce à une organisation en réseau du savoir. Si, déjà en 1999, R. Altman remarque que la définition des lectures génériques est désormais une affaire qui concerne des groupes et non plus des individus (Altman 1999 : 166), dans le panorama du « Web 2.0 » on peut difficilement définir les opérations de décodage comme des pratiques que l’utilisateur effectuerait de manière autonome. Le lecteur est amené à rechercher des informations sur la matière qu’il explore à travers une plongée dans les myriades d’informations contenues dans la Toile. Et, à son tour, il est encouragé à réviser, amender, transformer le travail encyclopédique des autres internautes (dans les sites comme Wikipédia) ; à produire ses propres commentaires en mettant en avant son point de vue (dans les blogs ou dans les forums de discussion) ; jusqu’à créer des nouvelles formes de narration (sites de fanfiction, hommages ou parodies sur YouTube). Afin de définir les migrations et les formes d’emprunt constituant le phénomène que nous avons choisi d’étudier, on aura besoin, premièrement, de valoriser leurs renvois à des textes antérieurs, leur présence dans des réseaux d’éléments de nature variée, provenant de systèmes de représentation différents. La parole dans le texte peut être orientée vers le corpus littéraire antécédent ou synchronique : « any text is constructed as a mosaic of quotations; any text is the absorption and transformation of another ». (Kristeva, 1980 : 66; 1967). Selon la perspective structurale de J. Kristeva, le texte est à concevoir comme un carrefour où se coupent plusieurs voies textuelles, et qui met en relation les voix de l’écrivain, du récepteur et du contexte culturel dans lequel se produit la rencontre. Prendre en compte l’intertextualité signifie établir, selon des critères de pertinence, les modes par lesquels le texte analysé retravaille d’autres textes en les transformant et en les assimilant (Guagnelini et Re, 2007). Nous adopterons donc le choix de considérer chaque texte comme un nœud en relation avec d’autres textes, de nature différente, dans un espace comparable à un réseau. Si le dualisme structuraliste, focalisé moins sur les processus concernant la construction ou l’interprétation que sur la structure interne du texte, amène à concevoir le texte de manière déterministe (le texte imposerait certaines réactions à ses consommateurs), le modèle « encoding/decoding » (Hall, 1980) devançant le schéma proposé par Jakobson, souligne l’importance des codes et des contextes sociaux concernés dans l’échange communicatif. S. Hall propose un modèle qui met en avant l’importance de la lecture active du message, dans un système où les codes sociaux et contextuels déterminent les modalités de production et de réception du discours. Le sens du texte dépend donc d’une circulation de sens foncièrement liée à un contexte. Suivant ce paradigme, il se révèle nécessaire de prendre en compte les apports intertextuels comme faisant partie de cet espace de circulation de sens, au niveau de la production comme au niveau de la réception.

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