Nécessité d’assistants cognitifs dédiés aux règles de conception
Manuels de règles de conception dans l’industrie manufacturière
Les connaissances expertes de domaines variés sont essentielles au processus de conception. Les règles de conception permettent d’intégrer ces savoirs à la conception de produits en créant une interface simplifiée de ce corpus de connaissances pour le concepteur [31]. Pour répondre à une complexité de la conception en augmentation, les entreprises sont amenées à imposer un nombre croissant de règles de conception. Les documentations non structurées sont faciles à mettre en place et donc très largement utilisées dans l’industrie manufacturière.
Afin de compléter le constat établit dans le contexte de nos travaux, nous avons étudié l’utilisation des manuels de règles de conception dans l’industrie. Cette étude se base sur un Nécessité d’assistants cognitifs dédiés aux règles de conception 19 questionnaire diffusé en ligne à un ensemble de concepteurs professionnels du groupe Capgemini Engineering. 37 concepteurs des secteurs de l’aéronautique, de l’aérospatial, de l’énergie et de l’outillage industriel ont répondu à ce questionnaire. 77.1% des répondants affirment avoir au moins un usage occasionnel desrègles de conception à partir de documents non structurés.
Pour plus de 45% des répondants, cet usage est fréquent ou très fréquent. Cependant, les concepteurs rencontrent plusieurs difficultés dans l’utilisation de ces règles : Les règles de conception stockées dans des documents non structurés sont difficiles à retrouver pour le concepteur. Il ou elle doit y accorder du temps et de la concentration qui n’est pas disponible pour d’autres tâches. En effet, 58.8% des répondants au questionnaire déclarent trouver le temps de recherche de règles trop long.
La situation peut être complexifiée par la façon dont la documentation est organisée. Trois répondants font état de documents nombreux et éparpillés entre différentes équipes ou différents projets. Ce temps de recherche n’apporte en lui-même aucune valeur ajoutée au processus de conception. La mise à jour des documents non structurés est également complexe. 29.4% de nos répondants déclarent avoir été confronté à des règles de conception obsolètes. La mise à jour de ces documents est longue et fastidieuse.
Le suivi des règles est également problématique. Il est laborieux de savoir quelles règles ont été utilisées par un concepteur et encore plus difficile de confirmer la bonne application de ces règles. Un meilleur suivi de l’utilisation des règles permettrait de faciliter la validation des pièces. Il pourrait également permettre d’identifier les règles peu utilisées et donc potentiellement inutiles ou obsolètes. Les répondants insistent notamment sur la formation nécessaire à l’utilisation de cette documentation.
Un participant déconseille de consulter la documentation de règles en autodidacte. Plusieurs répondants expérimentés indiquent aussi que les formations s’oublient avec le temps. L’aide d’un collègue pour la recherche et/ou la compréhension de certaines règles est souvent nécessaire. 69.7% des répondants déclarent avoir un besoin au moins occasionnel du soutien d’un collègue sur ces questions.
Assistants cognitifs
Définitions Tecuci et al. [32] définissent un assistant cognitif comme un logiciel capable d’apprendre des connaissances expertes nécessaires à la résolution de problèmes et d’utiliser ces connaissances pour aider ses utilisateurs à résoudre des problèmes similaires. Cette définition est sémantiquement proche de celle d’un système expert, lequel est défini comme un logiciel développé pour modéliser les capacités de résolution de problèmes d’experts [33].
Les assistants cognitifs sont principalement utilisés dans des domaines qui sont cognitivement exigeants, c’est à dire qui demandent le traitement rapide de grandes quantités d’informations comme dans le pilotage aérien [34], [35], ou qui demandent beaucoup d’expérience et d’entrainement comme dans le diagnostic médical [36], [37]. Les systèmes experts ont été introduit dans les années 70.
Ces systèmes experts reposent majoritairement sur de faibles quantités de connaissances, formalisées par un ensemble de règles logiques et formelles. Plusieurs livres et articles des années 80 et 90 apportent une rétrospective sur les techniques et les applications de cette première génération d’assistants cognitifs [38]–[41]. Les avancées techniques en informatique dans le domaine des logiciels intelligents ont permis le développement d’assistants cognitifs. Ces programmes sont appelés intelligents en raison de leur capacité à effectuer des raisonnements jusque-là réservés aux humains.
Cependant, ces raisonnements reposent sur l’interprétation de grandes quantités de données d’origine humaine. Dans une récente revue de ce domaine scientifique, Perkusich et al. [42] définissent les logiciels intelligents par l’utilisation de techniques d’exploration des données. Ainsi donc, on peut parler de sciences des données pour désigner ces technologies [43], [44]. Le raisonnement à partir de données issues d’experts permet donc de réutiliser ces connaissances dans le cadre d’assistants cognitifs.
Les définitions associées aux concepts de données, informations et connaissances reposent sur une hiérarchie des connaissances proposée par Ackoff en 1989 [45] et largement discuté dans la communauté scientifique depuis [46]–[48]. Les données sont des éléments d’information non interprétées, elles n’apportent pas de compréhension si prises individuellement. Une information est un regroupement de données pertinentes donnant un élément de compréhension. Une connaissance représenter un regroupement d’informations reliées entre elles et permettant la prise de décision. Un assistant cognitif raisonne sur des connaissances, c’est-à-dire un réseau d’informations structurées.