NATURE, ROLE ET STATUT DE LA GARANTIE DIVINE
L’OBJECTION DU CERCLE
La question du rôle joué par Dieu dans le fondement de la connaissance humaine est ouverte dès la première réception des Méditations métaphysiques par les auteurs respectifs des secondes, quatrièmes et cinquièmes objections. Ainsi lit-on : En troisième lieu, puisque vous n’êtes pas encore assuré de l’existence de Dieu, et que vous dites néanmoins que vous ne sauriez être assuré d’aucune chose, ou que vous ne pouvez rien connaître clairement et distinctement si premièrement vous ne connaissez certainement et clairement que Dieu existe, il s’ensuit que vous ne savez pas encore que vous êtes une chose qui pense, puisque selon vous cette connaissance dépend de la connaissance claire d’un Dieu existant, laquelle vous n’avez pas encore démontrée, aux lieux où vous concluez que vous connaissez clairement ce que vous êtes.
Puis, sous la plume d’Arnauld : Il ne me reste plus qu’un scrupule, qui est de savoir comment il [Descartes] se peut défendre de ne pas commettre un cercle, lorsqu’il dit que nous sommes assurés que les choses que nous concevons clairement et distinctement sont toutes vraies, qu’à cause que Dieu est ou existe. Car nous ne pouvons être assurés que Dieu est, sinon parce que nous concevons cela très clairement et très distinctement ; donc, auparavant que d’être assurés de l’existence de Dieu, nous devons être assurés que toutes les choses que nous concevons clairement et distinctement sont toutes vraies455 . 454 AT, IX, 1, pp. 98-9
L’HYPOTHÈSE D’UN REVIREMENT DOCTRINAL AU PROFIT DE DIEU APRÈS
Monsieur Alban Bouvier, dans une analyse sociologique et sociolinguistique, complétée par une analyse psychologique de l’argumentation458, s’attache à démontrer que Descartes n’a pas réussi, ou n’a qu’insuffisamment réussi, à faire comprendre sa philosophie, notamment sa théorie de la connaissance et, en particulier, son « programme fondationnel », autrement dit, l’exposition de ce qui fonde, dans sa philosophie, la connaissance.
Monsieur A. Bouvier en veut pour preuve l’incompréhension qui s’installe entre Descartes et les objecteurs l’accusant de commettre un cercle logique en fondant la vérité de l’évidence sur la connaissance de Dieu et la connaissance de Dieu sur la vérité de l’évidence. La démonstration de Monsieur A. Bouvier s’appuie sur l’étude du passage de la Méditation troisième où Descartes décrit un balancement entre le doute que lui inspire l’idée d’un Dieu qui peut tout, y compris nous tromper dans les choses qui nous paraissent les plus évidentes et l’impossibilité de douter de ce qui est présent à notre esprit de façon parfaitement claire et distincte
Mais toutes les fois que cette opinion ci-devant conçue de la souveraine puissance d’un Dieu se présente à ma pensée, je suis contraint d’avouer qu’il lui est facile, s’il le veut, de faire en sorte que je m’abuse, même dans les choses que je crois connaître avec une évidence très grande. Et au contraire toutes les fois que je me tourne vers les choses que je pense concevoir fort clairement, je suis tellement persuadé par elles, que de moi-même je me laisse emporter à ces paroles : Me trompe qui pourra si est-ce qu’il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tandis que je penserai être quelque chose ; ou que quelque jour il soit vrai que je n’aie jamais été, étant vrai maintenant que je suis ; ou bien que deux et trois joints ensemble fassent plus ni moins que cinq, ou choses semblables que je vois clairement ne pouvoir être d’autre façon que je les conçois.