Le mouvement féministe est ancré dans un historique dont les racines remontent aujourd’hui à plus d’un siècle. L’évolution de ce mouvement au cours des décennies peut être retracée à l’aide du concept de « vagues » pour décrire les transformations et les reconfigurations dont il a été l’objet. Le mot vague a été énoncé pour la première fois en 1920 par Elizabeth Sarah mais a surtout été utilisé lors de la seconde vague pour établir une distinction avec la précédente (Koechlin, 2019). La reconfiguration du mouvement va émerger en regard d’une évolution des cadres théoriques et du contexte social. Une nouvelle vague est créée lorsqu’il y a une augmentation de l’engagement militant ou de l’intérêt social et lorsque les méthodes et thèmes changent. L’apparition d’une nouvelle génération de militantes peut être tant une cause qu’un indice de reconfiguration (Bertrand, 2018). La vague renvoie à un mouvement de va et vient, se modifiant en intensité et en temporalité, avec des moments creux (backlash) entre deux vagues successives (Toupin, 1998). Il s’agit donc d’une mobilisation s’étendant sur une période estimée en années et qui apparaît dans différents pays (Koechlin, 2019).
La première vague
Cette première vague s’établit sur la période entre 1868 et 1939. Elle est initiée par les premiers mouvements militants revendiquant des droits civils et civiques pour les femmes en Occident (Pavard, 2017). Entre 1800 et 1850, les revendications pour les droits des femmes n’apparaissent que lors de contextes de crises et de révolutions au sein de l’Europe, permettant une libération de la parole féminine et faisant écho dans le monde politique. A l’inverse, la politique interne belge reste stable (Gubin et al., 1997).
Le féminisme belge francophone est fortement lié au féminisme français, notamment en raison de la proximité géographique et culturelle (y compris linguistique) entre les deux pays, ce qui favorise les échanges et relations entre les deux mouvements. Dès 1830, les deux pays vont militer pour que les femmes aient accès à l’enseignement professionnel. De nombreuses féministes populaires, dont Zoé de Gamond et Isabelle Gatti, vont s’inspirer de la France et des collaborateurs correspondants facilitent les échanges. La Ligue belge du droit des femmes est créée en 1892 sur inspiration de la Ligue française et s’inscrit dans la même idéologie libérale progressiste (Gubin et al., 1997).
Le conseil national des femmes belges est créé en 1905 et provient d’un milieu bourgeois francophone, universitaire et intellectualiste qui s’appuie sur la science. Le réseau politique belge divisé par le catholicisme va créer des subdivisions au sein du féminisme, relié lui-même à un parti politique (féminisme libéral, chrétien et socialiste). Cette situation est à l’inverse de la France, qui possède moins de liens coercitifs entre politique et féminisme (Jacques, 2007 ; Gubin et al., 1997). Les militantes belges se focalisent sur l’acquisition de droits économiques et civils afin d’obtenir l’indépendance. A contrario, le mouvement européen réclame le droit de vote suite aux révolutions. La Belgique va s’inspirer du code Napoléon français pour accéder à la liberté économique via la réforme du code civil, l’enseignement et l’éducation (Gubin et al., 1997). Un office central de documentation a été créé en Belgique vers 1900 (Jacques, 2007) comme devoir de mémoire et de source écrite afin de visibiliser ce que les femmes avaient accompli lors de la révolution (Perrot, 2011). Cette base de données va alors devenir un outil supranational, créant des liens entre les militantes belges et anglo-saxonnes (Gubin et al., 1997).
La première guerre mondiale va arrêter brusquement l’élan du mouvement féministe et prôner le patriotisme. Toutefois, certaines femmes vont découvrir et adhérer à la pratique de militantisme à cette époque (Jacques, 2007). La période entre les deux guerres est peu décrite historiquement. Seule une minorité de femmes élitistes sont présentes dans le milieu universitaire, le reste du mouvement est confiné à domicile pour repeupler le pays (Jacques, 2007).
La seconde vague
Le terme de seconde vague a été utilisé à partir de 1986 en occident afin de contraster cette nouvelle vague en regard de la première (Zancarini-Fournel, 2018). Le contexte des ‘Golden Sixties’ a permis à un nombre conséquent de femmes d’accéder au marché du travail (Jacques, 2007). Les femmes des classes moyennes rejoignent les militantes provenant d’un milieu bourgeois élitiste lors du mouvement mai 68 (Gaspard, 2002). L’idéologie marxiste prend de l’essor et la lutte contre le patriarcat s’intensifie (Pavard, 2017).
Le féminisme matérialiste s’éloigne du mouvement marxiste et ouvrier pour devenir autonome. L’organisation va devenir non-mixte pour s’auto-organiser, se baser sur son vécu pour théoriser, et offrir un espace de parole. Cependant, peu de stratégies sont élaborées, le mouvement social est faible et peu de collaboration est créée (Koechlin, 2019). Le féminisme différentialiste va accepter les différences biologiques entre les sexes pour valoriser les caractéristiques féminines. Le féminisme de lutte des classes qui associe patriarcat et capitalisme est moins présent en France en comparaison des pays anglosaxon (Koechlin, 2019).
La seconde vague va se centrer sur la femme et non sur des droits généraux tels que l’égalité salariale (Boussaguet, 2009). Les luttes vont être axées sur l’acquisition de droits du corps et sexuel (reproductif, contraception, avortement, disposition de son corps). En France, deux organismes réputés vont agir pour le droit à l’avortement, le mouvement de libération des femmes (MLF) et le mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) (Koechlin, 2019). C’est dans ce contexte d’étude des sujets relatifs à la sexualité que les violences faites aux femmes vont être dévoilées (Herman, 2011). Dans le même temps, la seconde vague a également remis en cause la notion de sphère privée et publique. Elle estime que l’Etat n’est pas intervenu auprès des femmes victimes de violences car ces actes se déroulaient dans un contexte privé et non public (Langevin & bouchard, 2011).
Le patriarcat est un système qui organise toute la société, en lien avec le marxisme et se perpétue par les structures étatiques. Il favorise les postures inégalitaires qui, par les différences entre les sexes, placent les femmes dans une position inférieure. Le capitalisme valorise le travail rémunéré mais invisibilise le travail domestique, base biologique et naturelle féminine, qui serait la cause du système patriarcal. Ce dernier est gratuit, fonctionne par don sans échange monétaire et exclusivement réalisé par les femmes. Il englobe l’éducation des enfants, les tâches ménagères et la disposition sexuelle de son corps (Delphy, 2009). La seconde vague va subir un changement organisationnel (moins de groupes organisés et de leaders), une modification des revendications (focalisation sur le corps de la femme) et l’apparition de nouveaux modes d’actions (se revendique expert, collaboration avec l’Etat) (Pavard, 2017). La seconde vague a permis de modifier le code civil (suppression de la notion de chef de famille, création du divorce par consentement mutuel, …) et le régime de gestion des biens pour les femmes mariées (Gaspard, 2002).
Backlash
Avant l’apparition de la troisième vague située dans les années 90 (Pavard, 2017), une période de backlash a eu lieu entre 1980 et 1990. La société a alors été moins réceptive au discours féministe et révélait certaines résistances (Boussaguet, 2009) en estimant que les femmes ont accédé à leurs revendications d’émancipation (Oprea, 2008). Le contexte politique international avec la chute de l’URSS, la fin de la guerre froide et les attentats du 11 septembre 2001 va diminuer l’adhésion de la population aux théories marxistes et d’extrême gauche (Pavard, 2017).
La troisième vague
L’élément déclencheur de l’apparition de cette troisième vague aux Etats-Unis provient des ‘Women’s studies’ universitaires. L’objectif est de réaliser des liens entre la théorie et la pratique de terrain (Lamoureux, 2006) et d’institutionnaliser les théories genrées. Ces études s’inspirent des théories postmodernes, post structuralistes et post-colonialistes (Oprea, 2008). Aux Etats-Unis, cette troisième vague va surtout permettre un apport théorique (théorie queer, intersectionnalité, …). L’institutionnalisation va débuter après la quatrième conférence mondiale sur les femmes de 1995 (Bertrand, 2018).
Le féminisme dominant est considéré comme blanc, intellectualiste et hétérosexué lors de la seconde vague (Blais et al. 2007) et la femme est vue comme une unique catégorie. Cette notion d’intersectionnalité a éclos aux USA, lorsque les militantes se sont rendu compte que les femmes noires étaient victimes de racisme et de sexisme conjointement. Le mouvement va alors superposer les formes d’oppression et de domination et parler de féminisme pluriel (Koechlin, 2019). Ce féminisme inclusif va intégrer les LGBT+ afin de réclamer leurs droits dans une logique de convergence des luttes et d’approche intersectionnelle. La sexualité ne doit dès lors plus être envisagée sur un mode binaire mais sur un continuum (Pavard, 2017) car l’identité binaire est reliée à un mécanisme de pouvoir (Lamoureux, 2006) et le genre est un construit social (Koechlin, 2019). La non-mixité au sein du mouvement est alors remise en question (Koechlin, 2019). Les identités raciales, identitaires, religieuses et sociales vont également être questionnées (Pavard, 2017). Des débats (‘sex wars’) vont apparaître en interne sur des thèmes comme la pornographie, la pénalisation des clients lors de la prostitution, le port du voile, …
A partir de 2005, de nombreux conflits vont apparaître au sein du mouvement féministe concernant la transmission et la collaboration intergénérationnelle. De nouvelles associations sont créées (Barbe, Osez le féminisme, Les Femen ,…) par la nouvelle génération (Pavard, 2017). Ensuite, de nouveaux modes d’actions militants plus radicaux émergent, étant qualifiés parfois de « sextréminisme » (Pavard 2017). Par exemple, les Femen dévoilent leurs seins nus et utilisent leur corps comme moyen d’expression (Bard, 2014). A l’inverse des courants idéologiques déterminés des années 70, les débats internes et externes des mouvements vont opacifier les frontières entre les différentes pensées (Henneron, 2005). Pour exemple, l’affaire du foulard de 2004 qui concernait l’interdiction du port du voile à l’école va opposer ‘Ni Putes Ni Soumises’ et ‘le Collectif féministe du Mouvement des indigènes de la République’ (Garcia, 2012).
La quatrième vague
Il est complexe de dater précisément la fin de la troisième vague et le début de la quatrième. Les vagues d’actions féministes entre 2000 et 2010 peuvent être considérées comme une période de transition entre l’essoufflement de la troisième et l’émergence de la quatrième (Bertrand, 2018). Certains estiment que les mobilisations des années 2009 et 2010 font partie de la troisième vague. D’autres qu’il s’agit d’un cycle nouveau qui s’inscrivant dans un contexte social et technologique neuf (Bertrand, 2018).
A l’échelle internationale, divers évènements situés en Amérique Latine peuvent contextualiser l’émergence de cette quatrième vague. Par exemple, le féminicide de Susana Chavez en 2011, militante mexicaine dénonçant les féminicides de Ciudad Juarez. Par la suite, le féminicide de Chiara Paez a déclenché la manifestation ‘Ni Una Menos’ en 2015. Cette manifestation va s’étendre aux autres pays d’Amérique Latine lors de la même année. Le Pérou va alors y inclure comme objet l’oppression des femmes indigènes. Le Chili va quant à lui réaliser un mai féministe en 2018 (Koechlin, 2019). Le mouvement va par la suite se diffuser, avec les ‘Women’s marches’ contre Trump en 2017 et les manifestations contre les violences envers les femmes en Inde dès 2012 (Koechlin, 2019). La marche des salopes (‘SlutWalks’) apparaît au Canada en 2011 à la suite de propos policiers inscrits dans la culture du viol (Bard, 2014).
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