Mythologie individuelle comme outil à la création
L’image mnémonique
Au même titre que le souvenir, je considère l’imaginaire comme une forme de mémoire dont nous n’avons pas le contrôle. C’est-à-dire que l’imaginaire est influencé par ce que l’on connaît et a expérimenté dans le passé et nous n’en avons pas totalement le contrôle par la présence consciente et inconsciente d’éléments du souvenir. Le souvenir est une part importante de l’identité et il nourrit ma création autant dans sa manifestation que dans son interprétation. Je l’utilise, le transforme, le modifie, m’approprie celui de l’autre et le mélange au mien. Si bien que le produit final devient une entité qui possède elle-même une nouvelle identité.
Seulement la mémoire est constituée d’une multitude de fragments décontextualisés par les souvenirs. En effet, appartenant au passé, nos souvenirs sont biaisés par notre perception, nos sentiments, nos doutes, ou nos interprétations. On pourrait donc mettre en question la sincérité ou l’authenticité de l’œuvre due au fait qu’elle soit influencée par ces facteurs. Ou même pensé qu’elle ne reflète pas bien la réalité ou que les évènements n’y sont pas relatés de manière fidèle. Face à ces critiques, il faut bien définir le but de l’utilisation de ces archives personnelles dans mon travail. Bill Viola, artiste majeur de son domaine et de son époque, utilise entre autres son expérience personnelle comme sujet de son travail. Cependant, il ne nous le présente pas comme une documentation de l’événement, mais plutôt comme une version de la réalité esthétisée et poétique, à partir de ses souvenirs. Il y a alors un désir non pas de relater à la perfection un événement survenu, mais plutôt de donner forme à une expérience vécue par l’artiste afin qu’elle soit revécue par le regardeur. Sally Bonn explique d’ailleurs :
« Le dispositif chez Bill Viola passe par cette volonté que l’œuvre soit le médium, l’intermédiaire entre une expérience vécue et rendue pour être revécue. L’image vidéo se tient au seuil de deux perceptions, celle de l’artiste et celle du spectacle. Mais il est bien question de l’expérience vécue par l’artiste avant tout. Ce qui doit être éprouvé c’est bien l’expérience de l’artiste et celle qui est vue, mais vue comme ayant été faite. »
Le souvenir est cependant réinterprété par le spectateur. L’œuvre décèle donc bien plus qu’un simple sentiment de nostalgie, qui va agir comme une sorte de caisse de résonnance de la vie ou de l’histoire de l’artiste.
Memento mori : meubler l’absence
Le souvenir est donc traité comme élément, événement appartenant au passé. S’il s’inscrit dans le souvenir, il n’est donc plus actuel, il n’existe pas dans notre quotidien immédiat et provoque l’existence d’une forme d’absence dans le présent. Je relève dans mon travail une certaine documentation de l’absence. Cette absence peut se manifester comme une référence à la mort avec la présence de mouches et l’évocation du masque mortuaire ou encore une trace, ou une marque laissée derrière soi comme de vieux souvenirs, vides de sens et d’importance. Ces formes de deuil, étant une partie importante de l’expérience humaine, prennent forme dans mon travail comme sujet principal et à d’autres moments les images proposées au regardeur en font seulement référence.
J’utilise l’esthétique médicale; pansement, bandage, outils, blessures, en parallèle avec des éléments mortuaires, tels que la viande, des animaux, ou encore des insectes liés à la mort, la maladie et l’état de décomposition.
La mort peut aussi être suggérée par un lieu sans présence physique humaine. Elle se manifeste alors par la mise en relation des vestiges de cette présence vis-à-vis d’un « objet témoin » , empreinte de l’existence. On pourrait alors parler de souvenir dans le sens où il s’agit d’exposer un objet conservé, capable d’évoquer un événement ou un état passé. Ils sont quelquefois authentiques, m’appartenant ou appartenant à un inconnu, et d’autres fois fabriqués de toutes pièces afin de procurer une certaine authenticité artificielle. Ces objets construisent une certaine sensation d’intimité face à une identité pourtant anonyme. On serait porté à croire qu’ils ont une grande valeur pour quelqu’un, même s’ils ne sont associés à personne directement. Seulement, ils apparaissent seuls et cela laisse entrevoir un effet d’incomplétude, procurant un effet empathique.
Je traite le sujet du deuil par mes expériences antérieures, mon imaginaire, mais aussi à travers ma perception, mon histoire, mon tempérament. Lorsqu’une œuvre découle de mes expériences il prend forme une sorte de méthodologie de production qui débute par un événement marquant que je déconstruis. Ensuite, je le recompose afin qu’il soit rendu en image de manière fidèle à mon état émotif et mon imaginaire par rapport à cet événement. Cet imaginaire qui, par exemple, puise beaucoup d’inspiration esthétique de la médecine ou encore la chasse, étant tous deux lié à des évènements de mon passé et donc à mon identité. La mise en scène de mon visage, fait aussi écho à cette utilisation de l’identité de l’artiste, par son image directe ou de son existence.
INTRODUCTION |