Mouvements des plantes sous le vent
Problématiques associées aux mouvements des plantes
L’étude des mouvements induits par le vent sur les plantes, qu’il s’agisse de plantes isolées ou en situation de couvert, est motivée par des problématiques de recherche importantes en agronomie et en biologie. Le problème majeur, également le plus connu, concerne l’endommagement des cultures par le vent. Ce phénomène est appellé la verse. Une autre motivation concerne l’étude de l’influence des contraintes mécaniques subies par les plantes sur leur croissance. Ces contraintes sont en fait essentiellement liées `a l’action du vent. Cet effet, appellé la thigmomorphogénèse, constitue un domaine de recherche en plein essor. Enfin, la troisième application importante des mouvements des plantes sous le vent est leur rˆole présumé dans le détachement et la dispersion de particules, de pollens par exemple. Nous abordons ci-dessous ces trois problématiques biologiques et finissons par des questions d’ordre plus théoriques liées au mouvement des plantes sous le vent.
La verse des cultures
Quand les mouvements induits par le vent sur les plantes sont très forts, ils peuvent mener `a la verse de la culture, c’est-`a-dire une inclinaison irréversible des tiges pouvant aller jusqu’`a leur abattement sur le sol, voir Figure 1.2∗. Malgré la sélection au cours des dernières décennies de variétés plus courtes et plus résistantes, et malgré l’emploi intensif de régulateurs de croissance, la verse mène encore `a des pertes de rendements agricoles de 10 `a 30% au niveau mondial (Farquhar et al., 2000). A une autre échelle, rappelons également les ravages dramatiques sur les forˆets lors de la tempˆete de 1999 en France. La verse se produit soit par rupture ou flambage localisé de la tige, soit par déracinement de la plante, et résulte d’une interaction complexe entre la dynamique du vent, l’éventuelle présence de pluie, les propriétés mécaniques de la plante et les caractéristiques du sol (Baker, 1995; Farquhar & Meyer-Phillips, 2001; Sterling et al., 2003). Les régulateurs de croissance utilisés par les agriculteurs pour limiter les risques de verse se révèlent extrˆemement polluants. Leur interdiction a déj`a été votée dans certains pays ou régions, notamment l’Autriche et la Wallonie, et il existe de fortes pressions pour l’extension de cette interdiction `a toute l’Europe (Ambroise et al., 1998). Sans l’emploi de ces produits, un champ de blé subit en moyenne 50% de verse et un champ d’orge jusqu’`a 80% (Moulia, 2005), d’o`u un regain d’intérˆet important pour les problématiques liées `a la verse. Si les études biomécaniques de la verse se sont jusqu’ici principalement concentrées sur la résistance des tiges et des systèmes racinaires `a un chargement donné, et l’impact sur cette résistance des différents facteurs géométriques et physiologiques, voir par exemple Farquhar & Meyer-Phillips (2001); Farquhar et al. (2002), il apparait maintenant nécéssaire de mieux comprendre les mouvements des cultures dˆus au vent `a l’origine de la verse (Berry et al., 2003). Les motifs particuliers produits par la verse sur les champs (Figure 1.2) illustrent l’action de rafales de vent localisées qui induisent un mouvement cohérent intense de zones de champs jusqu’`a leur rupture. Une description plus précise de ces mouvements cohérents et une meilleure compréhension de la dynamique des couverts végétaux sous le vent sont nécessaires pour améliorer les modèles de verse et envisager de nouvelles solutions.
La thigmomorphogénèse
La thigmomorphogénèse (du grec thigmo = toucher) est l’influence des sollicitations mécaniques sur la croissance et le développement des végétaux (Boyer, 1967; Jaffe, 1973). Comme l’ensemble des ˆetres vivants, les plantes per¸coivent les déformations de leurs cellules résultant des sollicitations mécaniques qu’elles subissent -flexions, compressions, piqures, etc.- (Coutand & Moulia, 2000) et y répondent en réduisant leur croissance en hauteur au profit de leur croissance racinaire, et chez certaines espèces en stimulant leur croissance radiale. La réponse thigmomorphogénétique inclut également une modification de la composition et des propriétés mécaniques de la tige principale (Coutand, 1999). Il est par exemple connu que de jeunes arbres soutenus par des tuteurs, comme c’est souvent le cas en agglomération, poussent plus haut et ont un diamètre plus faible que les mˆemes arbres libres de mouvements (Jacobs, 1954). De plus, il a été montré que des arbres, libérés de leur tuteur après deux années, n’étaient plus aptes `a supporter les sollicitations mécaniques dues au vent et flambaient sous leur propre poids (Coutand (2005), voir Fig. 4 dans Fournier et al. (2005)). Bien qu’on ait depuis longtemps décrit qualitativement l’influence des mouvements induits par le vent sur la croissance des arbres et sur l’adaptation `a leur environnement (Crook & Ennos, 1996), l’importance des réponses thigmomorphogénétiques sur le plan agronomique n’a été montrée que très récemment (Moulia & Combes, 2004) comme l’illustre la Fig. 1.3 : dans un champ de luzerne, une parcelle de plantes ayant poussé `a travers deux grilles, qui réduisent l’amplitude de leur mouvement, poussent 40% plus haut que les plantes voisines libres d’osciller avec le vent. Les mouvements induits par le vent sur les plantes de culture affectent non seulement leur croissance en hauteur, mais aussi leur production en biomasse aérienne (pour la luzerne, les feuilles, qui sont utilisées comme fourrage pour les animaux) et la composition en matériau ligneux (bois, non comestible) de la tige. Enfin, dans la gamme des vents modérés (< 30 km/h) on observe des gammes de réponse allant de 0 `a 40% de réduction de la croissance en hauteur, en fonction des niveaux de vent subis pendant la période de croissance. Ainsi la réponse thigmomorphogénétique au vent est un phénomène important pour comprendre les variations de croissance d’une année sur l’autre. Or, pour quantifier les réponses thigmomorphogénétiques d’une culture, il est nécéssaire de connaˆıtre les sollicitations per¸cues par les plantes en situation naturelle et donc leurs mouvements induits par le vent.