Mouillage statique et dynamique
De lʼéchelle microscopique à lʼéchelle macroscopique
L’angle de contact que fait un coin de liquide sur un substrat solide possède plusieurs déĕnitions. Il peut se déĕnir à l’échelle macroscopique, comme condition de raccord au solide du proĕl de l’interface d’un liquide. Mais il est de plus en plus question de sa déĕnition à l’échelle moléculaire. À cette échelle, il est sélectionné par l’équilibre des forces intermoléculaires entre chaque molécule du liquide et entre les molécules du liquide et les molécules du solide. Cette sélection intervient dans les quelques couches moléculaires du liquide au-dessus du solide à l’approche de la ligne de contact. L’angle que fait l’interface avec un solide homogène à une centaine de nanomètres de la ligne de contact représente ainsi l’angle de contact d’Young. Le fait que cet angle d’Young soit au ĕnal sélectionné par des tensions de surface, déĕnies macroscopiquement par la thermodynamique, est donc en soi assez surprenant. Or, de nombreux indices pointent pourtant vers une vision moléculaire de la ligne de contact. En effet, de nos jours, avec le développement des applications technologiques micro- voire nanosopiques impliquant des Ęuides et des fronts de mouillage, ce point de vue devient primordial. Ces applications rendues possibles grâce aux développements de la microĘuidique, de l’électromouillage, de l’élasto-capillarité, ou encore de l’étude de la dynamique de la ligne de contact mettent en exergue des paramètres microscopiques ayant une inĘuence sur ces manifestations macroscopiques. Ces paramètres, qu’il puisse s’agir d’une longueur de glissement, d’une longueur de coupure, ou de n’importe quelle longueur moléculaire, sont nécessaires pour pouvoir expliquer les phénomènes observés à l’échelle macroscopique. Même si leur inĘuence qualitative peut rester faible, ils dégagent le rôle de nouveaux phénomènes physiques et montrent les limites des théories macroscopiques lorsqu’elles sont appliquées à la modélisation de la physique de la ligne de contact. Tension de ligne, électromouillage, déformations du substrat, transitions de mouillage dynamique. . . Prenons quelques exemples qui seront développés par la suite. Tout d’abord, l’étude du mouillage à l’échelle de la centaine de nanomètres est de plus en plus courante. De nombreuses applications liées à la microĘuidique, mais aussi à l’étude des matériaux poreux font face aux problématiques du mouillage à ces échelles. Notamment, un paramètre thermodynamique, la tension de ligne, est souvent nécessaire pour pouvoir décrire convenablement les phénomènes. Or, la tension de ligne possède encore aujourd’hui un statut assez confus, car elle n’est expérimentalement pas mesurable aisément, et car les mesures disponibles diffèrent à la fois de signe et d’ordre de grandeur. On s’attend effectivement à ce que les effets de tension de ligne ne soient visibles qu’à des échelles inférieures au micromètre. Mais aucun modèle microscopique n’a encore permis de l’expliquer ou de la modéliser. Les questions qui restent en suspens à son sujet sont liées à une description des interactions qui interviennent au voisinage de la ligne de contact. Or ces descriptions sont difficiles : quelle est l’inĘuence de la forme locale de l’interface ? Quelle est l’inĘuence des phénomènes de stratiĕcation des molécules proches du solide ? Sont-ils déjà pris en compte dans la loi d’Young ? Ensuite, la physique de l’électromouillage résume à elle seule l’importance de la description microscopique d’une ligne de contact. Lorsqu’une goutte sur un substrat isolant est portée à un potentiel électrique non-nul, son angle de contact change. Seulement, il a été observé depuis une quinzaine d’années que l’angle de contact sature avant le mouillage total, et ce phénomène reste encore inexpliqué aujourd’hui. La saturation s’avère dépendre à la fois du liquide utilisé et du solide sur lequel repose la goutte. L’ensemble des modèles proposés jusqu’ici se tournent alors vers une description d’autres phénomènes à prendre en compte au voisinage de la ligne de contact. En effet, lorsque des charges se disposent à l’interface d’un liquide, et notamment au voisinage d’un coin de liquide, les champs électriques divergent, et il est alors nécessaire d’introduire une coupure des interactions à l’échelle moléculaire, et dont le statut est encore assez confus. Comment ces phénomènes interagissent-ils avec la capillarité ? Nous aurons aussi l’occasion d’aborder les effets des forces capillaires sur les solides. Lorsque ceux-ci sont déformables, la force exercée par le liquide sur le solide à la ligne de contact ne peut pas être décrite par une force ponctuelle. En effet, une telle force mène dans le cadre de la théorie élastique à des déformations inĕnies. Il est donc nécessaire de modéliser le comportement du liquide et du solide à l’échelle microscopique pour pouvoir résoudre ce problème. Or la description de la déformation du solide est importante car elle pourrait permettre de prédire la valeur de l’angle de contact apparent du liquide, et donc de permettre une description, par exemple, des phénomènes d’hystérésis. Enĕn, lorsque la ligne de contact est mobile, il est connu depuis une quarantaine d’années que, dans le cadre de l’hydrodynamique classique, l’énergie dissipée dans le liquide est censée diverger. De nombreux modèles ont tenté par le passé de dépasser ce paradoxe en introduisant des paramètres microscopiques tels qu’une longueur de glissement, ou l’existence d’un ĕlm moléculaire en amont de la ligne de contact. Mais, le problème reste subtil car les descriptions microscopiques et macroscopiques sont étroitement liées, et inĘuent l’une sur l’autre. Ainsi, ce problème devient prépondérant lorsqu’il s’agit de décrire les transitions de mouillage dynamique. En effet, lorsque le solide se translate sous un coin de liquide, il existe une vitesse à partir de laquelle l’interface de liquide n’est plus stable. Le problème de la transition de mouillage, lorsque la ligne de contact recule, a été abondamment étudié ces dernières années. Toutefois, le problème symétrique, de la transition de démouillage, lorsque la ligne de contact est en avancée, reste trouble tant d’un point de vue théorique que d’un point de vue expérimental. Dans cette transition, c’est un ĕlm d’air qui est entraîné sous le liquide lorsque le solide se déplace. Et, il a été montré récemment que la pression de la phase vapeur a une forte inĘuence sur le seuil d’entraînement, or celle-ci n’a aucune inĘuence sur la viscosité et donc sur la dissipation. Un autre paramètre microscopique pourrait alors être invoqué pour expliquer ce phénomène : le libre parcours moyen dans le gaz aurait-il une inĘuence ? Nous voyons qu’il devient nécessaire dans beaucoup d’applications faisant appel à des phénomènes physiques très différents de décrire la ligne de contact à l’échelle microscopique. Comment ces phénomènes et la capillarité interagissent-il ? Comment décrire les forces capillaires à l’échelle moléculaire ? La loi d’Young est-elle encore valable à ces échelles ?
Effets géométriques à la ligne de contact
Interprétation microscopique de la capillarité
Il n’existe pas à ce jour de modèle simple de distribution des forces capillaires à l’échelle moléculaire. Les outils théoriques actuels de la physique statistique des interfaces ne permettent pas aisément de décrire l’interface, d’autant plus lorsque d’autres phénomènes physiques, tels que le désordre à grande échelle, l’électromouillage ou la description d’un solide élastomérique, se greffent au problème. En outre, il existe encore aujourd’hui beaucoup de confusions sur l’interprétation microscopique de la capillarité. Pourquoi la tension de surface est-elle une force parallèle à l’interface, alors qu’il existe une image classique, présente dans tous les livres d’enseignement d’une molécule dont il manque la moitié des liaisons à l’interface, ce qui tend à nous faire penser que la force sur une molécule à l’interface doit être perpendiculaire à celle-ci ? De la même façon, lorsque l’on s’approche de la ligne de contact, il existe aussi un grand nombre d’imprécisions : quel est le système sur lequel la construction d’Young s’applique ? Quel est le statut de la force verticale manquante ? Est-ce que la force de tension de surface et l’énergie de surface sont identiques pour un liquide ? pour un solide ? Le travail d’adhésion et la tension de surface sont-ils identiques ? Ces questions font alors écho aux forces capillaires exercées par les liquides sur les solides : Quelle est la force exercée par le liquide sur le solide à la ligne de contact, et peut-on appliquer la construction d’Young pour la déterminer ? Où sont localisées les forces capillaires sur un solide immergé ? Notamment, existe-t-il une pression de Laplace aux interfaces liquide-solide courbées ? Ces « questions simples aux réponses compliquées » montrent que l’interprétation microscopique de la capillarité est encore très confuse. Nous aurons l’occasion dans cette thèse de créer un modèle simple d’interactions dans les liquides qui permet de statuer sur ces différentes questions.
Effets géométriques
Ce modèle, basé sur la théorie de la fonctionnelle de la densité, va nous permettre d’interpréter de façon géométrique les effets microscopiques à la ligne de contact. Nous allons pouvoir expliciter la distribution des forces d’origine capillaire dans un liquide et dans un solide en considérant les spéciĕcités de la géométrie d’un coin adoptée par un liquide sur un solide à l’approche de la ligne de contact. En effet, à l’approche d’un coin, les concepts macroscopiques de la tension de surface ne sont plus bien déĕnis. Il existe de plus l’inĘuence du solide, qui est généralement décrite par une pression de disjonction, mais qui n’est pas non plus déĕnie pour un coin. De plus, cette géométrie ne comporte pas de longueur caractéristique. Nous verrons qu’il est tout à fait possible de décrire les interactions dans une telle géométrie, et que le modèle que nous développons permet d’expliciter les différentes longueurs microscopiques qui interviennent, et comment elles peuvent perturber un coin de liquide. Nous pouvons de la même manière y inclure d’autres interactions, telles les interactions électrostatiques. Nous allons ainsi pouvoir expliciter la validité de la loi d’Young d’un point de vue microscopique, et généraliser ce résultat à des effets plus compliqués. De plus, nous serons amenés à considérer les effets géométriques créés par les spéciĕcités des échelles microscopiques. Ainsi, comment interpréter les interactions mises en jeu à la ligne de contact, s’exprimant d’un point de vue macroscopique en une énergie proportionnelle à la ligne de contact : la tension de ligne ? De la même façon, la distribution des forces capillaires dans un solide élastique dépend de la forme du solide qui dépend elle-même de la distribution des forces. Nous tenterons alors de modéliser ces déplacements et d’étudier l’inĘuence de la description du solide sur la distribution des forces exercées par les liquides. Ensuite, les effets de coupure à l’échelle microscopique peuvent s’exprimer par des effets de saturation : Comment la singularité électrostatique d’une la ligne de contact est-elle évitée par la disposition de l’interface liquide ? Comment la singularité de la dissipation visqueuse à la ligne de contact est-elle évitée par l’écoulement ? De la même façon, les coupures aux échelles microscopiques peuvent se manifester par des effets de conĕnement des échelles d’interaction ou des échelles d’écoulements. Ainsi, on peut restreindre ces échelles de différentes manières : comment l’épaisseur d’un substrat déformable inĘue-t-il sur la vitesse de la ligne de contact ? La déformation locale du substrat a-t-elle un effet sur la loi d’Young ? Que se passe-t-il lorsque l’épaisseur d’un ĕlm d’air entraîné dans un liquide devient comparable au libre parcours moyen ? Nous verrons alors comment ces considérations permettent d’interpréter les phénomènes de saturation de l’angle de contact en électromouillage, la déformation des solides élastiques par les forces capillaires, la dissipation dans un solide déformable, ou encore la transition de démouillage dynamique par entraînement d’air
Résumé – Abstract |