Développer l’estime de soi et la motivation des élèves en difficulté d’apprentissage par le tutorat entre pairs
Motivation scolaire
L’étude du B.O. du 26 novembre 2015 présentant les nouveaux programmes pour la rentrée 2016 montre une faible occurrence du terme « motivation ». De fait, il apparait seulement deux fois, au cycle 2, comme avantage apporté par le travail en binôme dans les tâches d’écriture en français ainsi que par la démarche de projets artistiques en arts plastiques. La motivation ne constitue pas une compétence à acquérir par l’élève mais une attitude souhaitée, qui favorise l’apprentissage. Ceci peut expliquer qu’elle n’apparaisse pas explicitement comme un objectif à atteindre par l’enseignant. Cependant, tout enseignant va tendre à intégrer cette notion dans son application des programmes. Le terme « motivation » désigne l’élément déclencheur, le processus, qui amène une personne à s’engager dans une activité. La question de la motivation dans le domaine scolaire est très récente comme le stipule Meirieu (s. d.). Ce n’est qu’à partir du début du XXème siècle que les pédagogues la prennent en considération. Différents courants s’opposent alors avec d’un côté, « la pédagogie des préalables » qui considère que l’élève ne peut être motivé que par ce qu’il connait et implique donc l’apprentissage contraint de « savoirs élémentaires », et de l’autre, les « pédagogies nouvelles », pour lesquelles il est nécessaire de susciter la curiosité des élèves et de les rendre acteurs de leur formation. Il s’agit pour ces dernières de « faire naître le travail dans la motivation et la motivation dans le travail » (Bottero et Meirieu, s. d.). Ces dernières années, bon nombre de recherches ont été entreprises sur la motivation en situation d’apprentissage permettant d’en souligner les enjeux et de proposer des pistes d’action. L’article de Galand (2006), qui fait le point sur les résultats d’études récentes sur cette thématique, montre l’importance de prévenir la démotivation, à l’origine du décrochage scolaire. Cette démotivation couramment associée aux difficultés d’apprentissage provient en fait souvent de « l’illusion d’incompétence ». Ce phénomène fait référence à des élèves aux capacités intellectuelles dites normales qui sous-estiment leurs compétences. En effet, les études évoquées dans l’article indiquent que le sentiment de compétence tient une place prépondérante dans la construction de la dynamique 5 motivationnelle. Ainsi, l’amélioration de l’estime de soi chez les élèves est l’un des éléments clés du soutien de leur motivation.
Estime de soi
L’estime de soi est, quant à elle, abordée dans le B.O. (2015) en enseignement civique et moral (EMC) pour les cycles 2 et 3 ainsi qu’en éducation physique et sportive (EPS) au cycle 2. L’objet de l’EMC est de transmettre les valeurs de la République qui « supposent une école à la fois exigeante et bienveillante qui favorise l’estime de soi et la confiance en soi des élèves, conditions indispensables à la formation globale de leur personnalité ». Le développement de l’estime de soi est donc un enjeu explicite de l’école primaire. Ainsi la motivation et l’estime de soi chez les élèves doivent être prises en compte par l’enseignant et, bien que ces termes ne soient pas repris explicitement dans le référentiel de compétences des enseignants (2013), ils peuvent se retrouver sous l’intitulé suivant : « Organiser et assurer un mode de fonctionnement favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves ». Pour le psychologue André (2005), l’estime de soi d’un individu résulte d’une autoévaluation de plusieurs dimensions, souvent au nombre de cinq chez l’enfant : l’aspect physique, la réussite scolaire, les compétences athlétiques, la conformité comportementale et la popularité. Le résultat de cette évaluation n’est pas forcément homogène dans les différents domaines et dépend de l’importance accordée à chacun par l’enfant et par conséquent de l’environnement social dans lequel il évolue, qui peut l’amener à considérer une dimension plus qu’une autre. Il apparait au regard de cette définition de l’estime de soi que celle-ci peut être fortement influencée par le cadre scolaire. André confirme l’existence d’une « corrélation réciproque » entre estime de soi et résultats scolaires. Ainsi, une faible estime de soi peut entrainer un excès d’autocritiques, un déni des difficultés ou encore l’évitement de la situation problématique. A l’inverse, une bonne estime de soi favorise l’optimisme quant à trouver les ressources nécessaires pour résoudre le problème. En outre, le climat scolaire impacte également d’autres composantes de l’estime de soi telles que la conformité comportementale et la popularité à travers les regards de l’enseignant et des camarades de classe. Cela fait écho à l’article de Galand (2006) sur la motivation 6 qui présente les buts sociaux (être accepté en classe, se faire des amis, coopérer) comme moteurs de mobilisation. Il semble ainsi envisageable de voir se dessiner à l’école un cercle vertueux entre lien social, estime de soi et motivation aboutissant à la réussite scolaire de l’élève. Il reste cependant pour l’enseignant à trouver les outils pour amorcer ce processus. Si l’on reprend les éléments évoqués précédemment, il faut d’abord instaurer un climat de confiance, de sécurité affective. Il faut ensuite favoriser l’intégration de l’élève au groupe par la coopération. Il faut également adopter une attitude bienveillante dans les apprentissages, acceptant l’erreur, valorisant les progrès. Enfin, il est important d’amener l’élève à mieux se connaitre. L’enseignant va devoir déterminer une posture et un ou plusieurs dispositifs lui permettant d’apporter cela à l’ensemble de ses élèves ou, du moins, au plus grand nombre. Il semble donc judicieux de s’orienter vers un dispositif privilégiant la différenciation. Parmi les dispositifs recommandés par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco, 2017), le tutorat entre pairs apparait comme un outil se prêtant particulièrement au développement de l’estime de soi.
Tutorat entre pairs
Le dispositif de tutorat entre pairs n’est cité qu’une seule fois dans les programmes, en EMC pour le cycle 2. Il fait partie des exemples de pratique en classe proposés pour encourager les conduites d’entraide ; ce qui en fait un dispositif adapté au développement des compétences sociales jouant un rôle important dans la construction de l’estime de soi. Au sein de cette forme de travail coopérative et dissymétrique, l’élève développe ses capacités cognitives et devient plus autonome. L’enseignant ne constitue plus la seule source de savoir. L’élève apprend de ses camarades. Bruner (1983) en vantait déjà les mérites et définissait les fonctions qu’implique ce dispositif d’étayage : 1. L’enrôlement : le tuteur s’attache à engager l’intérêt de son camarade dans la tâche à accomplir. 2. La simplification de la tâche : le tuteur décompose l’objectif principal en sous-tâches facilement réalisables. 7 3. Le maintien de l’intérêt : le tuteur entretient la motivation de l’élève dans la poursuite de l’objectif. 4. La définition des caractéristiques de la tâche déterminantes pour son exécution. 5. Le contrôle de la frustration : faire en sorte que les erreurs ne découragent pas l’élève. 6. La démonstration : le tuteur fournit un modèle, une solution possible que l’élève pourra réutiliser et s’approprier. On devine aisément que ce dispositif permet au tuteur de gagner en estime de lui même puisqu’il se place dans le rôle d’enseignant, détenteur du savoir ou savoir-faire. Barnier (2001) et Connac (2009) remarquent d’ailleurs que c’est lui qui apprend le plus au sein du dispositif. De fait, la nécessité de reformuler, de s’adapter à l’autre, ou encore l’empathie démontrée renforcent les connaissances et compétences de l’élève. Mais l’estime de soi est également améliorée chez le tutoré qui découvre une autre façon d’apprendre, se montre probablement plus disposé à reconnaitre ses difficultés et reçoit les explications d’un pair, dont le raisonnement et le vocabulaire sont proches des siens. Le choix de ce dispositif présente aussi un intérêt du point de vue de la posture d’étayage de l’enseignant qui se retrouve en accompagnement. Il peut ainsi apporter une aide ponctuelle en fonction de l’avancée dans la tâche, observer le comportement des binômes, provoquer des discussions entre élèves. Ce type de posture favorise une atmosphère détendue, collaborative et place les élèves dans une posture réflexive et créative (Bucheton et Soulé, 2009). Il faut toutefois prêter attention à certains points dans la mise en œuvre du dispositif de tutorat entre pairs.
Introduction |