Morphodynamique des plages sableuses de la mer d’Iroise (Finistère)
L’Observatoire du Domaine Côtier de l’IUEM
Cette thèse s’inscrit dans le contexte scientifique de l’Observatoire du Domaine Côtier (ODC) mis en place par l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) et labellisé par l’INSU, en 2005, Observatoire des Sciences de l’Univers (O.S.U). Il a pour objectif d’établir un lien tangible entre l’analyse quantitative des facteurs environnementaux et la description qualitative du fonctionnement des sociétés humaines. Au-delà de cette problématique générale, il s’agit de mieux cerner le rôle de la variabilité climatique inter-annuelle dans les relations Homme/milieu. Deux analyses conjointes sont proposées pour répondre à ces interrogations : d’une part, l’observation à long terme de la variabilité des caractéristiques physiques, chimiques et biologiques de milieux littoraux typiques de l’ouest de l’Europe3 ; d’autre part, une série d’analyses destinée à déterminer le niveau d’influence des dynamiques climatiques à grande échelle dans cette variabilité et à la confronter à l’influence anthropique (Tissot et al., 2004). Ces deux axes de recherche regroupent des champs de compétences très divers (biologie, géochimie, géographie) qui enrichissent la démarche pluridisciplinaire de l’ODC. Centrés autour de l’analyse des interactions en milieu côtier, les thèmes de recherche développés ont pour mission de confronter des séries d’indicateurs physiques, chimiques, biologiques et anthropiques (issus de mesures in situ ou de simulations) aux fluctuations climatiques résultant de l’Oscillation Nord Atlantique. Divers auteurs ont observé que la variabilité des vents dans l’ouest de l’Europe semble contrainte par l’Oscillation Nord-Atlantique (Lemasson, 1999 ; Pirazzoli et al., 2004), phénomène climatique associé à la localisation géographique des grands centres dépressionnaires et anticycloniques en Atlantique Nord. L’indice ONA (ill. 3) est défini par le différentiel barométrique saisonnier entre l’Islande et les Açores. Les fluctuations de cet indice traduisent la variabilité de la circulation atmosphérique à l’échelle annuelle. Il est alternativement positif ou négatif selon si les flux sont dominés par une circulation zonale (W-E) ou méridienne (N-S). Les séries météorologiques du sémaphore d’Ouessant révèlent deux grandes tendances d’évolution de la direction des vents conformes aux fluctuations de l’Oscillation Nord-Atlantique (Pirazzoli et al., 2004) : la première de 1950 à 1975 caractérisée par une intensification de la circulation méridienne (vents de nord), la seconde de 1975 à 1997 par une diminution des vents de secteur nord et sud à la faveur d’une circulation zonale. Alors que la vitesse des vents forts de secteur sud augmente au cours de cette dernière période, la 3 Les données sont archivées dans le Système d’Information de l’Environnement Côtier (http://www.univbrest.fr/IUEM/observation/SIEC.htm) assurant le stockage et le partage des données auprès de la communauté scientifique. 14 Illustration 3. Indice ONA (Oscillation Nord Atlantique) entre 1820 et 2004 (modifié d’après http://www.euronet.nl/ users/e_wesker/nao.html). fréquence des surcôtes marines associées baisse du fait de la réduction de la durée des tempêtes de suroît (Bouligand et Pirazzoli, 1999 ; Bouligand et Tabeaud, 1999 ; Pirazzoli et al., 2004). Ces observations témoignent du changement de la direction et de l’intensité des tempêtes en mer d’Iroise à partir des années soixante-dix. Dans le même temps, une légère augmentation de la hauteur des vagues en Atlantique est constatée (WASA, 1998 ; Kushnir et al., 1997) laquelle semblerait corrélée à un indice positif de l’Oscillation Nord-Atlantique. Ces résultats sont toutefois contredits par l’étude de Goasguen (2006) qui indique une stationnarité du climat de houle et des surcotes sur la façade atlantique française entre 1979 et 2002. Sur la période récente (1975-2000), il semblerait donc que les houles extrêmes soient stationnaires tandis que la direction des vents et des tempêtes ait changé sous l’influence de l’Oscillation Nord-Atlantique. En mer d’Iroise, on peut ainsi soupçonner une variabilité dans l’évolution morpho-sédimentaire des plages à l’échelle pluri-annuelle selon leur exposition aux agents de forçage météo-marins. Plusieurs séries d’observation sont acquises dans le cadre de l’ODC dont une série morphologique mobilisée pour cette thèse. L’intégration d’une série morphologique est justifiée par la mise en évidence d’une variabilité des paramètres météorologiques (Lemasson, 1999 ; Pirazzoli, 2000 ; Pirazzoli et al., 2004 ; Pirazzoli, 2004) et la suggestion de son influence sur l’évolution morphologique des littoraux bretons (Regnauld and Louboutin, 2002 ; Hénaff, 2005). En géomorphologie littorale, la démarche consiste à étudier la variabilité morpho-sédimentaire des plages et la mobilité du trait de côte à l’échelle pluri-annuelle. Son objectif est de détecter un signal climatique de type Oscillation Nord-Atlantique forçant l’évolution morpho-sédimentaire des plages à long terme. Un protocole de mesures a donc été mis en place depuis janvier 2003. Il est fondé sur l’acquisition de mesures 15 topographiques réalisées sur quelques plages sableuses de la mer d’Iroise, depuis le domaine supratidal jusqu’à la limite inférieure de la zone intertidale (niveau des plus basses mers de vives-eaux). Cet effort de mesure constitue le point de départ de nos recherches dans la mesure où le suivi topographique de la morphologie des plages est l’étape indispensable à l’appréhension de leur morphodynamique. En effet, cette méthodologie est utilisée sur tous les sites expérimentaux où des recherches en dynamique sédimentaire littorale sont réalisées, aussi bien en France (plage du Truc Vert sur la côte aquitaine, littoraux du Cotentin et du Calvados, côte d’Opale, côte méditerranéenne) qu’à l’étranger (à Egmond, Terschelling, Noordwijk aux Pays-Bas, à Duck aux Etats-Unis, à Hasaki au Japon). 2. Le cadre géographique de la mer d’Iroise La mer d’Iroise, localisée à la pointe occidentale de la Bretagne, délimite un espace marin ouvert comprenant du nord au sud, l’île d’Ouessant, l’archipel de Molène, les abords de la rade de Brest, la baie de Douarnenez et le raz de Sein (ill. 4).
Contexte géomorphologique
C’est un littoral rocheux dont le découpage est hérité de la tectonique hercynienne et de l’érosion différentielle des roches induite par des degrés divers de dureté et d’exposition aux houles (Hallegouët, 1971). La bathymétrie du site est complexe de part les nombreux îles, îlots et écueils rocheux parsemés sur le plateau continental (ill. 4). Ce dernier est également incisé par des chenaux profonds (goulet de Brest, chenal de la Helle) dessinés par des failles tectoniques ou correspondant à des paléovallées fluviatiles. De plus, le plateau continental est relativement large, l’isobathe -100 m se situant à 30-40 km de la côte. Les plages sableuses occupent les fonds d’anse (plages « de poche »). Les cordons dunaires du BasLéon (côte nord-ouest du Finistère) se sont formés lors des périodes de bas niveau marin à la faveur d’une intense érosion des formations meubles émergées. Par transport éolien, les sables se sont accumulés sur les paléo-continents. Ils sont datés des derniers épisodes de régression marine (Hallégouët, 1971 ; Hallégouët, 1978 ; Guilcher et Hallégouët, 1991), depuis l’Age du Fer (- 2600 ans) jusque postérieurement à la transgression dunkerquienne (- 1100 ans). Les plages de la mer d’Iroise sont constituées de sables fins à grossiers issus de la mobilisation des dépôts sédimentaires sous-marins (lors de la transgression flandrienne) et de l’érosion continentale et marine des falaises rocheuses hercyniennes de nature granitique ou métamorphique (BRGM, 1980 ; BRGM, 1989). Les apports fluviatiles sont inexistants, l’Aulne et l’Elorn charriant des particules fines qui sédimentent en rade de Brest. 2.2. Contexte hydrodynamique La mer d’Iroise est soumise à une agitation mixte caractérisée par un régime macrotidal semi-diurne, des houles océaniques et des vagues de mer du vent. Les houles sont formées en Atlantique nord par les systèmes dépressionnaires et se propagent vers les côtes bretonnes sous une incidence de secteur ouest. 16 Illustration 4. Carte bathymétrique de la mer d’Iroise et localisation des sites étudiés. La mer du vent est générée localement et se traduit par des vagues courtes d’incidence très variable, de secteurs sud, ouest et nord, selon la trajectoire des dépressions sur la pointe finistérienne. Les marnages moyens et exceptionnels d’équinoxe sont respectivement de 5,6 m et 7,3 m en vives-eaux (coefficients 90 et 120), 2,9 m et 1,2 m en mortes-eaux (coefficients 45 et 20). Les courants de marée sont alternatifs, globalement nord-sud sur la pointe finistérienne (dirigés vers le nord pendant le flot, vers le sud au jusant) et localement orientés selon l’axe des chenaux, comme dans le goulet de la rade de Brest (vers l’est durant le flot, vers l’ouest au jusant). Les vents dominants (fig. 5B), d’origine océanique, couvrent de façon égale les secteurs nord, ouest et sud (de N160 à N40) tandis que les vents d’origine continentale sont associés aux vents de secteur est (N60 à N140). Les climats de vagues simulés au large de l’île d’Ouessant (fig. 5A) témoignent d’un environnement très énergétique (Hs,95% 4 =5,9 m ; Hs,99%=8,3 m), exposé aux longues houles générées en Atlantique nord et aux vagues courtes créées par le passage des systèmes dépressionnaires. En effet, les hauteurs de vagues extrêmes associées à des périodes de retour annuelle, décennale et centennale sont respectivement
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