Mondialisation et globalisation

Plusieurs auteurs parlent de l’échec de la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui (voir par exemple Chardel, 2015; E. Morin, 2015; Stiglitz, 2003). Les défenseurs de la mondialisation promettaient une amélioration des conditions de vie, une hospitalité plus vive et des relations humaines diverses et enrichissantes en contradiction avec l’état des sociétés traditionnelles. C’est d’ailleurs ce que Rostow (1960) présentait dans sa théorie des étapes de croissance économique qui commence par un état de société traditionnelle pour terminer à l’âge de la consommation de masse. Au 21ième siècle, la mondialisation apparaît comme un phénomène irréversible très critiqué. Bien que certaines études et recherches montrent que la mondialisation a permis à certains pays d’augmenter leur niveau de richesse, peu de population vivant du Sud peuvent se vanter d’avoir connu une amélioration notable de leur sort.

MONDIALISATION ET GLOBALISATION

La mondialisation est un phénomène particulier au sein duquel « la vitesse et la mobilité ont été érigées au rang de vertu suprême de l’âge global » (Canet, 2014, p. 70). Vitesse dans les échanges et les communications par exemple, mais aussi dans la rentabilité : une exigence rapide de rentabilité liée à la question de la mobilité, à fois la nationale et internationale. La théorie assez âgée des « 3D », développée par Henri Bourguinat dans son livre Finance internationale définit ce qu’est la mondialisation (Bourguinat, 1992). C’est un processus de déréglementation, de désintermédiation et de décloisonnement2. À l’origine appliquée pour expliquer les activités de mondialisation financière des années 1980, cette théorie s’est étendue à d’autres champs. Chacun des enjeux de la mondialisation est associé à un échec particulier sur le plan social. Que ce soit dans le domaine économique (l’augmentation des reprises financières), social (les mouvements de grèves de plus en plus nombreux), culturel (choc des cultures, uniformisation des cultures), environnemental (pollution, réchauffement climatique, disparition de certaines espèces animales, les catastrophes environnementales) ou politique (le mépris des institutions démocratiques), la mondialisation entretient les angoisses personnelles et collectives et perpétue parfois un sentiment de peur et de méfiance (Chardel, 2015; Himmich, 2013). Ce qu’elle implique sur le plan collectif se répercute grandement sur le plan individuel. Ces angoisses non contrôlées sont la source de bien des manifestations xénophobes, racistes ou liées à l’intolérance principalement lorsqu’il est question des problématiques migratoires. Cette angoisse crée elle-même des politiques qui sont faites pour y répondre, mais qui en même temps perpétuent ce sentiment. C’est un cercle vicieux qui ne semble pas vouloir s’arrêter. Pour en sortir « il faut […] réfléchir sur les conditions, les présupposés dans lesquels nous essayons de penser l’avenir » (E. Morin, 2015, p. 97) en mettant  en exergue les ratés de la mondialisation. Ainsi à l’avenir, « le véritable conflit porte[ra] […] davantage sur la façon la plus efficace de faire progresser réellement les conditions de vie des plus défavorisés et sur l’étendue des droits qu’il est possible d’accorder à tous que sur les principes abstraits de justice sociale » (Piketty, 2015, p. 4).

E. Morin (2015) ne manque pas de rappeler qu’il existe par contre une mondialisation positive, comme il existe un pendant qui lui est négatif. Par exemple, ce qui est négatif c’est « tout d’abord que [l’individualisme] peut se traduire par de l’égoïsme, et cet égoïsme peut d’autant plus se libérer et se déchaîner que l’occidentalisation provoque une destruction des solidarités traditionnelles » (E. Morin, 2015, p. 71). L’intitulé du livre de Stiglitz, La Grande Désillusion, en demeure aussi l’une des illustrations les plus criantes : « Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale » (Stiglitz, 2003, p. 341). L’ouverture à d’autres cultures et le partage qu’elle entraîne peut par contre être qualifiée d’élément positif lié à la mondialisation.

Comme nous le disions plus tôt, la vitesse et la mobilité sont au centre de l’activité générée par la mondialisation. Cette mobilité met de l’avant la notion d’immigration, qu’elle soit permanente ou temporaire, car les effets de la mondialisation ne se découpent pas en suivant les frontières nationales. Les effets sont internationaux et intergénérationnels. Effectivement, « la mondialisation introduit des lignes de partage qui ne suivent pas les frontières des nations, mais tendent à découper, au sein des pays, les secteurs capables de se brancher sur le marché mondial3 et ceux qui en sont exclus » (Husson, 2014, p. 116).

Or, parler le même langage lorsqu’on traite de la problématique des flux de migration favoriserait l’avancement du discours sur cette question pour différentes raisons : La première raison est le désordre international dans lequel cette question est ballottée. […] La seconde raison pour le traitement global des migrations est la privation de citoyenneté d’une partie des populations en situation de mobilité. […] [Finalement], [l]a troisième raison est l’hécatombe provoquée par les politiques de contrôle des frontières mises en œuvre sous couvert de dissuasion et de sécurité (Wihtol de Wenden, 2014, pp. 15-16).

Notons finalement que le processus de globalisation englobe dans l’étymologie francophone la mondialisation. En fait, il existe différentes interprétations relatives à l’utilisation de chacun de ces mots. Par exemple, Morin (2015) est d’avis que « [la] mondialisation signifie l’extension et l’amplification d’un processus d’intercommunications, d’interdépendances et cette amplification crée une réalité de nature globale » – dont le terme globalisation, compris alors comme le stade suprême de la mondialisation (E. Morin, 2015, p. 68).

C’est du moins une distinction que feront les Français alors que dans la littérature francophone en Amérique, l’utilisation du terme globalisation est très rare. Par exemple, un récent ouvrage intitulé Enjeux et défis du développement international produit avec le soutien de l’École de développement international et mondialisation (ÉDIM) de l’Université d’Ottawa fait référence seulement deux fois au terme «globalisation » (pour un ouvrage de 470 pages). Bien que l’approche européenne ait l’avantage d’enrichir le vocabulaire et de préciser parfois la portée d’un terme, il n’en demeure pas moins qu’à l’usage, le néophyte confond bien souvent les termes. Portons maintenant notre attention sur les répercussions de la mondialisation sur le droit social.

Crise du droit social

La montée en puissance, depuis les années 1980, du néolibéralisme – de l’idéologie de la main invisible et du laisser-faire – a remis en question les avancées du droit social; le législateur et les organisations syndicales rencontrent d’énormes difficultés à l’adapter pour le rendre conforme aux nouvelles réalités. Le droit du travail, pendant important du droit social, s’était en effet originellement construit dans un contexte où l’autorégulation du marché était loin d’être un concept dominant, alors que la théorie keynésienne de l’après-guerre (1939-45) privilégiait l’intervention du gouvernement dans la sphère économique pour y favoriser une croissance régulière (Supiot, 2010). Dans le modèle libéral, le droit doit essentiellement laisser cours à la concurrence (Supiot, 2010). Les rapports de droit, dans cette conception du droit social, traduisent des rapports de force qui favorisent la libre concurrence et la compétition sur les marchés. Ce modèle libéral, dans lequel le monde est enfoncé, n’encourage pas l’établissement de rapports de droit, qui favoriseraient l’égalisation des forces sociales; la nouvelle donne renforce plutôt le pouvoir des plus forts sur les faibles. Pour Supiot (2010), « liquider toutes espèces d’interdits au nom de la liberté économique ne peut qu’engendrer l’écrasement du faible par le fort et ouvrir les vannes de la violence » (Supiot, 2010, p. 88). La déréglementation des marchés mondiaux, la libre circulation des capitaux et des marchandises, sont pourtant à la base de l’émergence de bien des problématiques que nous connaissons aujourd’hui. En matière environnementale, les exemples ne manquent pas pour montrer à quel point, en allant au-delà des principes de prévention et de précaution, les entreprises en viennent à user de violence sur les territoires où elles opèrent. La délocalisation est un de ces effets. En matière de droit du travail, on doit constater l’utilisation du law shopping et le recours aux mécanismes juridiques nationaux les plus avenants, pour maximiser la rentabilité économique de l’entreprise. Ce rendement du capital doit être rapide et il amène ainsi, l’élément de la mobilité à l’avant-plan, avec l’utilisation de plus en plus fréquente de l’immigration temporaire pour combler le manque de main-d’œuvre dans des secteurs particuliers.

Aujourd’hui, travailler est peut-être synonyme à bien des égards, pour plusieurs individus, d’enfermement dans la pauvreté et la précarité. Le marché du travail est de plus en plus flexible et certaines catégories d’emplois, principalement celles qui ne sont pas protégées par des conventions collectives, se retrouvent plus loin du noyau dur de protection sociale (Noiseux, 2012b). Selon des données de 2017, 25% des travailleurs canadiens occuperaient un emploi qualifié de précaire (Fleury et Cahill, 2018). Une analyse des données de Statistiques Canada permet aussi de dégager que le nombre de ce type de travailleurs suit une tendance à la hausse depuis plus de 10 ans (Fleury et Cahill, 2018). Yerochewski (2014) illustre bien la façon selon laquelle les fondements du droit social ont été ébranlés avec les grandes transformations économiques ayant atteint le marché du travail. Ainsi, nous nous retrouvons de plus en plus dans une situation où les emplois vont d’un extrême à l’autre, comme s’il semblait n’y avoir que les riches et les pauvres. Il y a « dégradation des conditions de travail et de vie pour toute une frange de la population, il y a leur pouvoir de négociation face aux employeurs qui s’est affaibli, comme l’analysent de façon convergente juristes, chercheurs et différentes personnalités et organismes » (Yerochewski, 2014, p. 69). Dans ce contexte, ceux qui nieront l’existence d’une violence économique en matière de travail présenteront le succès (à l’inverse de la précarité) comme étant lié au mérite individuel, en le détachant complètement de l’influence que la position sociale a pu avoir sur le développement personnel et professionnel. Autant de stratagèmes qui visent à rejeter l’existence de la violence économique au niveau d’un droit social mis en position de faiblesse. La violence économique, « c’est prendre sur la violence […] le point de vue de la civilisation des mœurs, c’est-à-dire d’une part accorder à la violence le caractère d’un […] fait social primordial, et d’autre part se proposer d’examiner les formations sociales sous le rapport des mises en forme de la violence qu’elles réalisent par leurs arrangements politiques, institutionnels et symboliques » (Lordon, 2002, p. 46).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 | CADRE D’ANALYSE
1.1. MONDIALISATION ET GLOBALISATION
1.1.1 Crise du droit social
1.2. LES FLUX ET LA MIGRATION
1.2.1. Les incitatifs à la migration
1.2.2. Dynamique des flux humains : la théorie
1.2.3. Les forces d’ouvertures et de fermetures mues par la mondialisation
1.3. L’ÉMERGENCE DU DROIT DU TRAVAIL
CHAPITRE 2 | CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE
2.1. MISE EN CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE
2.2. OBJECTIF DE RECHERCHE
2.3. MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE 3 | LES INÉGALITÉS LÉGISLATIVES EN MATIÈRE DE TRAVAIL
3.1. LE PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE LE PARLEMENT FÉDÉRAL ET LES LÉGISLATURES PROVINCIALES
3.1.1. Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867
3.1.2. Les compétences concurrentes
3.1.3. Le droit de travail au Québec
3.2. EN GUISE DE SYNTHÈSE
CHAPITRE 4 | LES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS AU SAGUENAY – LAC SAINTJEAN : ANALYSE DESCRIPTIVE
4.1. L’AGRICULTURE AU QUÉBEC DEPUIS LES ANNÉES 1940
4.2. L’AGRICULTURE ET LE DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL
4.3. LES PROGRAMMES GOUVERNEMENTAUX D’ACCUEIL
4.3.1. La réforme des programmes gouvernementaux
4.4. LA PRÉSENCE DES TRAVAILLEURS AU SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN
4.5. LA SITUATION DES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS TEMPORAIRES AU SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN
CHAPITRE 5 | AMÉLIORATION DES DISPOSITIFS JURIDIQUES ET RECONFIGURATION SOCIO-ÉCONOMIQUE : UNE DISCUSSION
5.1. LA MUTATION DU DROIT DANS LES RAPPORTS DU TRAVAIL
5.2. RECOMMANDATIONS FINALES
CONCLUSION

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