Modules hypergéométriques
Définition des modules hypergéométriques et premières propriétés
L’opérateur différentiel hypergéométrique Hyp(P, Q) est défini pour P, Q ∈ C[t] par : Hyp(P, Q) := P(t∂t) − tQ(t∂t) On pose D = DGm dans toute la suite. On définit le D-module hypergéométrique H(P, Q) comme : H(P, Q) := D/D · Hyp(P, Q) On va supposer ici que P et Q sont unitaires de même degré n. On note (αi)1≤i≤n et (βj )1≤j≤n les racines de P et Q comptées avec multiplicité. On note alors : Hyp(α1,…,αn),(β1,…,βn) := Hyp(P, Q) = Yn i=1 (t∂t − αi) − t Yn j=1 (t∂t − βj ) On note H(α1,…,αn),(β1,…,βn) := H(P, Q), notation que l’on simplifiera en Hα,β si P et Q sont de degré 1. Ces modules hypergéométriques ont été beaucoup étudiés (voir [Lev61], [BH89] et [Kat90] notamment). Une première propriété importante est que ces D-modules sont irréductibles si et seulement si αi 6= βj modulo Z (corollaire 3.2.1 de [Kat90]). On suppose dans la suite que cette condition est satisfaite. On a en outre une propriété de stabilité par dualité : le dual D(H(P, Q)) d’un module hypergéométrique est isomorphe à un module hypergéométrique H(P 0 , Q0 ). Le terme dominant de l’équation différentielle étant t n(1−t)∂ n t , on en déduit que l’opérateur différentiel hypergéométrique induit une connexion sur le fibré vectoriel holomorphe trivial de rang n sur P 1\{0, 1, ∞}, soit un système local de rang n sur P 1\{0, 1, ∞}. Les trois singularités sont en outre régulières. Le théorème 3.5.4 de [Kat90] montre que le système local induit par l’équation hypergéométrique est rigide. Autrement dit, et Riemann avait déjà constaté ce fait dès 1857 dans [Rie57], l’équation hypergéométrique peut être reconstruite, à isomorphisme près, à partir de la connaissance de ses monodromies en 0, 1 et ∞. En notant A la matrice de taille n ayant comme blocs de Jordan les Jαi,mult(αi) et B celle ayant comme blocs de Jordan les J−βi,mult(βi) , on obtient une expression explicite des monodromies (définies à conjugaison près) en 0 et ∞ : exp(−2iπA) et exp(−2iπB) respectivement. La monodromie en 1 est quant à elle une pseudo-réflexion (somme de l’identité et d’une matrice de rang 1). Cela suffit à déterminer sa classe de conjugaison, déterminée par son déterminant, égal ici à (det(exp(2iπ(A + B)))). En particulier pour n = 1, les monodromies de Hα,β sont : exp(−2iπα) en 0, exp(2iπβ) en ∞ et exp(2iπ(α − β)) en 1. On déduit de la proposition 5.3.1 qu’il existe une variation de structure de Hodge polarisable sousjacente au système local induit par l’équation hypergéométrique, unique à décalage près (partie (i) de la proposition 1.13 de [Del87]). Remarque (Lien avec Lλ et L 0 λ définis en sous-sections 2.6 et 2.8). On fixe α ∈ ]0, 1[ et λ = exp(−2iπα). Au niveau des systèmes locaux sur P 1 \ {0, 1, ∞}, on a Lλ ‘ Hα,α et L 0 λ ‘ H0,α. Un premier argument est de comparer les monodromies en 0, 1 et ∞ et d’utiliser la rigidité du cas hypergéométrique. On peut aussi comparer les équations : pour Lλ, t∂t − α − t(t∂t − α) = (1 − t)(t∂t − α) est équivalente à t∂t − α car 1 − t est inversible ; pour L 0 λ , t∂t − t(t∂t − α) = −t((t − 1)∂t − α) est équivalente à (t − 1)∂t − α car t est inversible.
Transformation de Mellin
On aimerait avoir sur Gm une transformation avec des propriétés similaires à la transformée de Fourier sur A 1 , à savoir transformer le produit de convolution en produit tensoriel. Là encore, l’analyse est un bon point de départ et l’on dispose de la transformée de Mellin qui à une fonction ϕ ∈ C∞(]0, +∞[) (bornée en 0 et à décroissance rapide en +∞) associe : ϕb(s) = Z +∞ 0 t sϕ(t) dt t Si l’on note τ l’opérateur de translation s 7→ s + 1, on a tϕc = τϕb et une intégration par partie permet de montrer que t∂dtϕ = −sϕb. Ainsi, l’action d’un opérateur différentiel P(t, t∂t) ∈ D sur ϕ est changée en l’action d’un opérateur aux différences P(τ, −s) sur ϕb. Il est alors naturel de définir la C-algèbre (non commutative) C[s]hτ, τ −1 i engendrée par s, τ et τ −1 avec la relation τs = (s + 1)τ . On vient ni plus ni moins de voir que : C[t, t−1 ]ht∂ti → C[s]hτ, τ −1 i t 7→ τ t∂t 7→ −s est un isomorphisme de C-algèbre. Définition 7.2.1 La transformée de Mellin d’un D-module M, notée MM, est définie comme le C-espace vectoriel M sur lequel on a l’action suivante de C[s]hτ, τ −1 i : τ agit comme t, s agit comme −t∂t. Notons qu’on peut généraliser la construction faite ici sur Gm et définir la transformée de Mellin sur le tore (Gm) p (voir par exemple [Fab06]). Dans la situation qui nous intéresse ici, la transformée de Mellin de M n’est rien d’autre qu’un C[s]-module muni d’une action inversible de τ , qui n’est pas C[s]-linéaire mais qui vérifie la propriété τ (f · m) = τf · τm = f(s + 1) · τm pour f ∈ C[s] et m ∈ M. En reprenant les définitions de convolutions données en sous-section 2.6, on a, similairement à la proposition 2.7.2, pour M, N deux D-modules holonomes la propriété M(M ∗∗ N) = MM L ⊗ MN et par dualité M(M ∗! N) = D(DMM L ⊗ DMN) De manière parfaitement similaire à la transformée de Fourier sur A 1 , la sous-catégorie P n’est rien d’autre ici que la sous-catégorie pleine de Modhol(D) constituée des N tels que MN et DMN (ou de manière équivalente MDN) sont C[s]-plats. Une manière simple d’appréhender DMN dans la pratique est de considérer sur HomC[s](MM, C[s]) l’action de τ définie par (τϕ)m = τ −1 (ϕ(τm)).
Modules hypergéométriques et convolution
Une propriété fondamentale des modules hypergéométriques est le théorème 5.3.1 de [Kat90] : Théorème 7.3.1 Pour P, Q, R, S ∈ C[t] avec P R et QS sans racine commune modulo Z, on a H(P R, QS) ‘ H(P, Q) ∗ H(R, S), identité valable pour les trois types de convolutions. On a également le résultat suivant : Proposition 7.3.2 Si P et Q sont sans racine commune mod Z, alors H(P, Q) est dans la catégorie P. Preuve. Tout d’abord, comme H(P, Q) est irréductible en tant que D-module, il en est de même pour sa transformée de Mellin M = MH(P, Q) en tant que C[s]hτ, τ −1 i-module. Soit T un sous-C[s]-module de M de C[s]-torsion, posons T 0 = X k∈Z τ kT. Il s’agit d’un sous-C[s]hτ, τ −1 i-module de M de C[s]-torsion. Comme M n’est pas lui-même de C[s]- torsion, on en déduit, par irréductibilité de M en tant que C[s]hτ, τ −1 i-module, que T 0 = 0. Il en résulte que T = 0, ainsi l’on en conclut que M est C[s]-plat. Enfin, comme le dual D(H(P, Q)) est isomorphe à un module hypergéométrique H(P 0 , Q0 ), on en déduit que sa transformée de Mellin MD(H(P, Q)) est également C[s]-plate. Remarque. En lien avec le résultat précédent, on peut montrer que tout D-module holonome irréductible M tel que dimC(s)(C(s) ⊗C[s] MM) = 1 est isomorphe à un module hypergéométrique H(P, Q) (avec P et Q sans racine commune modulo Z), voir le théorème 3.7.1 de [Kat90] et le théorème 1 de [LS91]. 7.4 Formules de Fedorov Le théorème 6.3.1 et son corollaire multiplicatif la proposition 6.4.2 permettent de redémontrer avec une toute nouvelle approche un résultat récent de Fedorov sur l’expression de données numériques de Hodge des modules hypergéométriques. Nous nous intéresserons en particulier au théorème 3 de [Fed17] donnant l’expression des données numériques locales de Hodge cycles proches à l’infini et en 0. L’intérêt des propositions 6.4.2 et 6.4.5 réside dans le fait qu’elles donnent explicitement le comportement au voisinage de ces deux points, évitant notamment d’avoir à déplacer la singularité à l’infini en un autre point comme le fait Fedorov. On pose (α, β) = ((α1, …, αn),(β1, …, βn)) un couple de n-uplets de [0, 1[n (non nécessairement ordonnés) vérifiant αi 6= βj pour tous i, j ∈ {1, …, n}. On utilise la notation {·} pour désigner la partie fractionnaire. Commençons par faire un état des lieux de la situation au voisinage des trois singularités. 119 En ∞ : Pour m ∈ {1, …, n}, on note mult(βm) = #{j ∈ {1, …, n} | βj = βm}, `m(β) = mult(βm) − 1 et λm = exp(2iπβm). La matrice de la monodromie à l’infini de Hα,β est composée pour chacune des valeurs propres λm d’un unique bloc de Jordan de taille mult(βm). On en déduit que ν∞,λm,`(Hα,β) = 0 sauf pour ` = `m(β) pour lequel cette quantité vaut 1. L’étude de ν p ∞,λm,`(Hα,β) se réduit donc à déterminer la valeur de p ∈ Z pour laquelle cette quantité pour ` = `m(β) est non nulle (et égale à 1). En 0 : Pour m ∈ {1, …, n}, on note mult(αm) = #{j ∈ {1, …, n} | αj = αm}, `m(α) = mult(αm) − 1 et µm = exp(−2iπαm). La matrice de la monodromie en 0 de Hα,β est composée pour chacune des valeurs propres µm d’un unique bloc de Jordan de taille mult(αm). On en déduit que ν0,µm,`(Hα,β) = 0 sauf pour ` = `m(α) pour lequel cette quantité vaut 1. L’étude de ν p 0,µm,`(Hα,β) se réduit donc à déterminer la valeur de p ∈ Z pour laquelle cette quantité pour ` = `m(α) est non nulle (et égale à 1). En 1 : Commençons par préciser certaines propriétés de la monodromie en 1. Il s’agit d’une pseudoréflexion, à savoir la somme de l’identité et d’une matrice de rang 1. On sait par un résultat de Pochhammer qu’il y a n − 1 vecteurs propres indépendants associés à la valeur propre 1 (voir [BH89, prop. 2.8] et [Beu08, th. 1.1]). En notant γs = Pn k=1(βk −αk), on a que λs = exp(−2iπγs) est également valeur propre de la monodromie, appelée valeur propre spéciale. Par convention, on prendra γs ∈ ]0, 1]. Il y a alors deux possibilités : soit λs 6= 1 et alors la matrice de la monodromie est diagonalisable, soit λs = 1 et auquel cas la monodromie est une transvection. Notons que dans le cas n = 1, comme α1 6= β1, il n’y a qu’une valeur propre, la valeur propre spéciale, et elle est différente de 1. • Si λs 6= 1, alors d’une part µ1,λs (Hα,β) = ν1,λs (Hα,β) = 1 et d’autre part ν1,1(Hα,β) = n − 1 et µ1,1(Hα,β) = 0. La seule chose qui reste à déterminer est la valeur de p ∈ Z pour laquelle µ p 1,λs,0 (Hα,β) est non nul (et égale à 1). • Si λs = 1, alors ν1,1(Hα,β) = n et µ1,1(Hα,β) = 1. Plus précisément, µ1,1,`(Hα,β) = 0 sauf pour ` = 0 où cette quantité vaut 1. La seule chose qui reste à déterminer est la valeur de p ∈ Z pour laquelle µ p 1,1,0 (Hα,β) est non nul (et égale à 1).