Modulation de l’activité SOD par contrôle de la sphère de coordination du Ni(II) dans des complexes bioinspirés

Le nickel en biologie

De nos jours, le nickel est abondamment utilisé par l’Homme avec une production mondiale de plus de 2 millions de tonnes par an. Celui-ci est principalement utilisé dans des alliages, par exemple pour la fabrication d’aciers inoxydables (alliage Fe/Ni) ou des pièces d’un et deux euros (alliage Cu/Ni). Le nickel est aussi largement utilisé dans l’industrie chimique notamment comme catalyseur hétérogène avec le nickel de Raney développé en 1920 pour l’hydrogénation de nombreux composés insaturés. Néanmoins, il fallut attendre 1975, et la caractérisation de l’uréase, pour découvrir que la Nature l’utilisait aussi comme catalyseur dans des métalloenzymes.
En effet, le nickel n’est pas rare à la surface de la terre : c’est le 24ème élément en termes d’abondance dans la croûte terrestre où sa concentration est d’environ 80 µg/g. Il est aussi présent dans les océans à hauteur de 0,5 µg/L principalement sous la forme Ni2+.
La majorité des organismes vivants y est donc exposée, mais seules certaines bactéries, archées et plantes en contiennent dans des protéines. Dix enzymes contenant du nickel et essentielles au métabolisme de ces organismes ont été découvertes, ainsi que plusieurs protéines chargées de sa régulation et de son transport, c’est donc un élément vital pour de nombreuses espèces.

Les superoxydes dismutases

Le stress oxydant et le radical anion superoxyde : Lors de l’apparition de la vie sur Terre, l’environnement avait un caractère très réducteur, jusqu’à l’apparition de l’oxygène. Ce dernier était alors un déchet toxique issu principalement de la photosynthèse des cyanobactéries afin de produire de l’énergie à partir du CO2. L’augmentation brutale de la concentration d’oxygène dans l’atmosphère pendant la Grande Oxydation fut probablement une catastrophe écologique avec l’extinction de plusieurs espèces qui n’ont pas pu s’adapter à ce changement. En effet, les cellules ont besoin de garder un environnement réducteur pour vivre, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Or, en plus de son caractère oxydant, l’oxygène peut facilement être réduit en différentes espèces réactives de l’oxygène (ROS), principalement le superoxyde (O2-), le peroxyde d’hydrogène (H2O2) et le radical hydroxyle (HO) qui sont toutes des molécules oxydantes par rapport à l’eau. Les espèces survivantes sont donc parvenues à développer un système de défense contre ces oxydants et ont même réussi à en tirer profit. Si bien qu’aujourd’hui, les cellules ont besoin d’une certaine concentration de ROS pour fonctionner correctement : par exemple, une concentration trop faible empêche les cellules souches de se renouveler ou de se différencier normalement. De nombreuses enzymes sont donc chargées de produire ces ROS à partir d’oxygène : la NADPH oxydase ou la xanthine oxydase génèrent du superoxyde, et plus d’une trentaine d’enzymes produisant H2O2 ont été découvertes.32 Grâce à leurs propriétés physicochimiques, les ROS servent de sondes redox et jouent un rôle dans les voies de signalisation cellulaire, par exemple en transportant des informations redox de l’endroit où elles sont créées jusqu’à des cibles biologiques spécifiques. Néanmoins, une exposition trop importante aux ROS est aussi dangereuse et peut entraîner un dérèglement de cette signalisation, voire des dommages dans les cellules. Le stress oxydant est ainsi défini comme « un déséquilibre entre oxydants et antioxydants en faveur des oxydants, conduisant à un dysfonctionnement de la signalisation et du contrôle redox, et/ou à des dommages moléculaires ».

Les modèles de la Ni-SOD

Le terme chimie biomimétique est apparu dans les années 70. Elle consiste à reproduire des réactions effectuées par la Nature afin de développer de nouvelles catalyses ou synthèses. Cependant, elle permet aussi d’élucider les mécanismes d’action des enzymes en développant des complexes modèles du site actif centré sur le métal, et en étudiant sa réactivité. Dans le cas de la Ni-SOD, deux stratégies ont été mises en œuvre. La première utilise des modèles peptidiques avec une séquence d’acides aminés basée sur celle de l’enzyme, et la deuxième utilise des modèles synthétiques qui permettent de positionner différents groupes fonctionnels autour du nickel. Modèles peptidiques : Dans le site actif de l’enzyme, toutes les fonctions coordonnant le nickel se trouvent dans les six premiers acides aminés (H2N-HCDLPC…). L’idée a donc été de synthétiser des peptides d’au moins six acides aminés avec une séquence identique à celle de l’enzyme afin d’obtenir des complexes très similaires au site actif de la Ni-SOD. Cette stratégie a principalement été utilisée par l’équipe de Shearer, et plus particulièrement avec un peptide constitué des douze premiers acides aminés noté SODM1.
Le complexe de nickel correspondant reproduit bien les caractéristiques spectroscopiques de l’enzyme, et la structure du complexe est donc proche de celle du site actif . Les premiers tests ont montré que NiSODM1 possède une activité catalytique (non quantifiée dans un premier temps) vis-à-vis de la dismutation du superoxyde, fournissant la preuve de concept pour l’utilisation de tels modèles dans le but de reproduire une activité catalytique de type SOD. Afin d’étudier l’importance de la coordination amido/amine dans l’enzyme, la version acétylée en position N- terminale de SODM1, notée SODM1-Ac a été synthétisée. Le complexe acétylé NiSODM1-Ac se forme à pH légèrement plus haut que NiSODM1, en accord avec la coordination des deux amidos, ce qui a été confirmé par XAS. Par voltampérométrie cyclique (CV), NiSODM1 et NiSODM1-Ac comportent des oxydations quasi-réversibles à respectivement ≈ 0,5 V et 0,3 V vs NHE. Cette différence est aussi cohérente avec la coordination d’un amido qui augmente la densité électronique sur le NiII, facilitant ainsi son oxydation. Or, l’activité catalytique de NiSODM1-Ac est cent fois plus faible que celle de NiSODM1 alors que son potentiel d’oxydoréduction est plus proche de la valeur idéale (0,29 V vs NHE). Une explication pour la baisse d’activité est une moins bonne stabilité du complexe par rapport à O2- et H2O2.

Activité catalytique

Les superoxydes dismutases ont pour rôle d’accélérer la dismutation du superoxyde, réaction qui est déjà rapide à pH physiologique sans catalyseur. Mettre en évidence une activité catalytique de type SOD n’est donc pas trivial. Différentes méthodes ont été développées avec chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Elles peuvent être classées en deux catégories : les méthodes directes et les indirectes. Les méthodes directes permettent la détermination précise de l’activité d’une SOD ou d’un modèle en travaillant en conditions catalytiques, c’est-à-dire en excès de superoxyde. Les plus courantes sont la radiolyse pulsée et le Stopped-Flow. En radiolyse pulsée, l’oxygène dissous en solution aqueuse est irradié pour générer O2- in situ en présence de formate.25,26 Pour le Stopped-Flow, le principe consiste en un mélange rapide d’une solution contenant le superoxyde avec une autre contenant une SOD ou un modèle. Dans les deux cas, la dismutation du superoxyde peut être directement suivie par spectroscopie UV-Visible, le radical absorbant à 245 nm.
Les méthodes indirectes mettent en œuvre une compétition entre une SOD et un indicateur redox actif sensible au superoxyde. La réaction du superoxyde avec l’indicateur peut être suivie par spectroscopie UV-visible. La présence d’une SOD abaisse la concentration de superoxyde dans le milieu, ce qui aura un impact sur l’évolution de l’absorbance. Ces méthodes permettent de déterminer l’IC50 des SODs, c’est-à-dire la concentration nécessaire pour inhiber 50% de la réaction entre l’indicateur et le superoxyde. Le test le plus couramment utilisé a été développé par McCord et Fridovich.

Synthèse des ligands peptidiques

Tous les peptides présentés dans ce chapitre ont été synthétisés sur support solide (SPPS). Cette technique a été développée en 1963 par Merrifield et utilise des petites billes de polymères, appelées résine, comme support. Différents types de résine existent et sont choisies suivant les fonctions désirées en bout de chaîne peptidique et suivant les conditions de synthèse. La SPPS consiste à greffer un premier acide aminé en C-ter de manière covalente sur la résine. Les résidus suivants sont ajoutés successivement par couplage entre l’amine de l’acide aminé greffé et l’acide carboxylique de celui en solution, la réaction étant activée par un agent de couplage. Afin d’éviter des réactions intermoléculaires parasites, les fonctions amines des acides aminés en solution sont protégées, puis déprotégées après couplage pour permettre la réaction avec l’acide aminé suivant. Les chaînes latérales sont, elles aussi, protégées de manière orthogonale : les groupements protecteurs doivent être stables en conditions de synthèse, mais facilement clivables. Les principaux avantages de cette technique sont l’utilisation des réactifs en excès et la facilité de lavage du support par filtration après chaque couplage.
La stratégie Fmoc est utilisée dans ce chapitre : les amines sont protégées par le 9-fluorénylméthoxycarbonyl (Fmoc), qui peut être clivé par une base, comme la pipéridine, et les chaînes latérales par des groupements trityles, déprotégés en milieu acide. La résine choisie (Rink Amide) permet d’obtenir des fonctions C-terminales protégées par des amides lors du clivage, qui a lieu en même temps que la déprotection des chaînes latérales. Pour les couplages, le diméthylformamide (DMF) est utilisé comme solvant avec l’ajout de diisopropyléthylamine (DIEA) pour être en conditions légèrement basiques, et d’hexafluorophosphate de (Benzotriazol-1-yloxy)tripyrrolidinophosphonium (PyBOP) comme agent de couplage. Afin de suivre l’évolution de la synthèse, le dibenzofulvène, qui est le produit de déprotection du Fmoc, peut être quantifié par spectroscopie UV-Visible. De même, un test qualitatif destructif avec l’acide 2,4,6-Trinitrobenzenesulfonique (TNBS) permet de s’assurer que les fonctions amines du résidu greffé ont bien réagi. Néanmoins, après chaque couplage, les fonctions amines qui n’auraient pas réagi sont acétylées afin de limiter le nombre de sous-produits et de faciliter la purification. En fin de synthèse, la résine et les groupes trityles sont clivés dans un mélange acide trifluoroacétique (TFA), triisopropylsilane (TIPS) et eau . Finalement, les peptides sont purifiés par HPLC préparative et lyophilisés pour obtenir des solides blancs.

Table des matières

ACIDES AMINES ET PEPTIDES 
1. LISTE DES ACIDES AMINES
2. NOMENCLATURE
INTRODUCTION 
CHAPITRE I. LA NICKEL SUPEROXYDE DISMUTASE ET SES COMPLEXES MODELES 
1. PROPRIETES DU NICKEL
2. LE NICKEL EN BIOLOGIE
2.1. ENZYMES SANS ACTIVITE REDOX
2.2. ENZYMES REDOX ACTIVES
2.3. DE NOUVELLES ENZYMES AVEC UN ION NICKEL COMME COFACTEUR
3. LES SUPEROXYDES DISMUTASES
3.1. LE STRESS OXYDANT ET LE RADICAL ANION SUPEROXYDE
3.2. LES SUPEROXYDES DISMUTASES (SODS)
3.3. LA NI-SOD
4. LES MODELES DE LA NI-SOD
4.1. MODELES PEPTIDIQUES
4.2. MODELES SYNTHETIQUES
5. OBJECTIFS ET PLAN DE LA THESE
6. RÉFÉRENCES
CHAPITRE II. LIGANDS TRIPODES FONCTIONNALISES PAR DES ACIDES AMINES 
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. SYNTHESE DES LIGANDS
2.1. SYNTHESE DE L2S
2.2. SYNTHESE DE L3S
3. PREPARATION DES SOLUTIONS DE LIGAND 
4. LIGAND DISSYMETRIQUE 
4.1. STŒCHIOMETRIE DES COMPLEXES
4.2. EFFET DU PH
4.3. STRUCTURE DE NIL 2S(OH2)
4.3.1 Spectroscopie d’absorption des rayons X
4.3.2 Etude par DFT
4.4. PROPRIETES REDOX
4.5. ACTIVITE CATALYTIQUE
4.5.1 Description du test à la Xanthine Oxydase
4.5.2 Détermination de l’IC50
5. LIGAND SYMETRIQUE 
5.1. STŒCHIOMETRIE DES COMPLEXES
5.2. EFFET DU PH
5.3. STRUCTURE DES COMPLEXES
5.3.1 Analyse par RMN 1H
5.3.2 Spectroscopie d’absorption des rayons X
5.3.3 Etude par DFT
5.4. PROPRIETES REDOX
5.5. DETERMINATION DE L’IC50
5.6. STOPPED-FLOW
5.6.1 Principe de fonctionnement
5.6.2 Application pour évaluer une activité SOD
5.6.3 Lois de vitesse
5.6.4 Détermination de l’activité catalytique
6. DISCUSSION ET CONCLUSION
7. REFERENCES 
CHAPITRE III. SYNTHESE ET CARACTERISATION DE MODELES PEPTIDIQUES 
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
1.1. COMPLEXES PEPTIDIQUES DE NI II DECRITS DANS LA LITTERATURE
1.2. CHOIX DES SEQUENCES PEPTIDIQUES
2. SYNTHESE DES LIGANDS PEPTIDIQUES 
2.1. PEPTIDES LINEAIRES
2.2. PEPTIDE NON LINEAIRE CE(H)C
3. FORMATION DES COMPLEXES DE NI(II)
3.1. CINETIQUE DE FORMATION DES COMPLEXES
3.2. STŒCHIOMETRIE DES COMPLEXES
3.3. EFFET DU PH
3.3.1 Evolutions spectroscopiques
3.3.2 Modélisations
4. STRUCTURE DES COMPLEXES
4.1. ETUDE PAR RMN 1H
4.2. ETUDE PAR SPECTROSCOPIE D’ABSORPTION DES RAYONS X (XAS)
4.2.1 XANES
4.2.2 EXAFS
4.3. ETUDE PAR DFT
5. PROPRIETES REDOX
5.1. VOLTAMPEROMETRIE CYCLIQUE
5.2. STABILITE DES COMPLEXES A L’AIR
6. ACTIVITE CATALYTIQUE
6.1. DETERMINATION DE L’IC50
6.2. STOPPED-FLOW
7. DISCUSSION ET CONCLUSION
8. REFERENCES 
CHAPITRE IV. ETUDE MECANISTIQUE EN MILIEU ORGANIQUE 
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. CARACTERISATION DES COMPLEXES EN PHASE ORGANIQUE 
2.1. SYNTHESE DES COMPLEXES
2.2. CARACTERISATION PAR SPECTROSCOPIE
2.2.1 Spectroscopie UV-Visible
2.2.2 Spectroscopie d’absorption des rayons X
3. INTERACTION AVEC LE SUPEROXYDE
3.1. SPECTROMETRIE DE MASSE
3.2. RESONANCE PARAMAGNETIQUE ELECTRONIQUE
4. SPECTRO-ELECTROCHIMIE UV-VIS
5. DISCUSSION ET CONCLUSION
6. REFERENCES 
CONCLUSION 
EXPERIMENTAL PART 
1. SYNTHESIS
1.1. GENERAL PROCEDURE
1.1.1 Electrospray ionisation mass spectrometry (ESI-MS)
1.1.2 Nuclear magnetic resonance (NMR)
1.1.3 High performance liquid chromatography (HPLC)
1.2. LIGAND L2S
1.2.1 Synthetic pathway in solution
1.3. LIGAND L3S
1.4. SOLID PHASE PEPTIDE SYNTHESIS (SPPS)
1.4.1 Linear peptides (AcCAC, FAC, HAC, CAC, CHC)
1.4.2 Nonlinear peptide CE(H)C
2. METAL BINDING STUDIES
2.1. SOLUTION PREPARATION
2.2. UV AND CD SPECTROSCOPY
2.3. MASS SPECTROMETRY
2.4. 1H NMR SPECTROSCOPY
2.5. ELECTROCHEMISTRY
2.6. X-RAY ABSORPTION SPECTROSCOPY
2.7. XANTHINE/XANTHINE OXIDASE ASSAY
2.8. KO2 SOLUTION IN DMSO
2.9. STOPPED-FLOW
2.10. COMPUTATIONAL DETAILS
3. MECHANISTIC STUDY 
3.1. ELECTRON PARAMAGNETIC RESONANCE
3.2. SPECTROELECTROCHEMISTRY
4. REFERENCES 
ANNEXES CHAPITRE II
3. LIGAND DISSYMETRIQUE
3.1. CARACTERISATIONS
3.2. EFFET DU PH
3.3. STRUCTURE DE NI(N2S2)
4. LIGAND SYMETRIQUE 
4.1. RMN 1H
4.2. CV DE L3S
ANNEXES CHAPITRE III
3. CARACTERISATION DES PEPTIDES
3.1. ACCAC
3.2. FAC
3.3. HAC
3.4. CAC
3.5. CHC
3.6. CE(H)C
4. DOSAGES DES PEPTIDES 
4.1. SPECTROSCOPIE UV-VISIBLE
4.2. DICHROÏSME CIRCULAIRE
5. SPECTROMETRIE DE MASSE
6. EFFET DU PH
6.1. SPECTROSCOPIE UV-VISIBLE
6.2. DICHROÏSME CIRCULAIRE
7. RMN 1H 
8. SPECTROSCOPIE D’ABSORPTION DES RAYONS X 
9. DFT
10. ELECTROCHIMIE
11. XANTHINE OXYDASE 
12. STOPPED-FLOW
ANNEXES CHAPITRE IV
3. SPECTROSCOPIE UV-VIS 
4. SPECTROSCOPIE D’ABSORPTION DES RAYONS X 
5. SPECTROMETRIE DE MASSE
RESUME

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